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Dossier

Instantanés de la « manif »…

Snapshots of the demonstration
Henri Eckert

Résumés

L’analyse iconographique de la manifestation proposée ici porte sur des photographies réalisées lors des manifestations contre la réforme des retraites, au cours du premier semestre de l’année 2023 à Lyon. Si l’auteur, sociologue et photographe, a constitué, au fil des manifestations, une archive consistante d’un mouvement social puissant, son approche sociologique l’a conduit à choisir, dans le matériau réuni, les photographies le plus à même de favoriser le décryptage des modes d’expressivité mis en œuvre par les manifestants, depuis les banderoles portées par des groupes structurés au sein de la manifestation jusqu’aux pancartes brandies par des individus. Ce décryptage lui a permis de cerner ce qui, au-delà des slogans contre la réforme des retraites, a fait l’unité fondamentale des manifestants, préoccupés du sens d’une vie sous l’emprise croissante du travail dans les sociétés post-industrielles actuelles.

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Texte intégral

  • 1 Ces gravures étaient généralement réalisées à partir de photographies. Les techniques d’impression (...)

1Évoquant l’émergence de la manifestation comme « nouveau répertoire d’action » du mouvement ouvrier à la fin du xixe siècle, O. Filleule et D. Tartakowski soulignent le rôle décisif des gravures1 qui ont, affirment-ils, contribué à la doter « d’une portée symbolique propre à accroître ses capacités mobilisatrices » (2013, 42) : puissance des images au service de « l’expressivité » (ibid., 16) d’une pratique sociale qui vise, précisément, à rendre visible un groupe social et à faire entendre ses revendications. La reproductibilité accrue des photographies au siècle suivant et leur plus large diffusion dans la presse, ont, par la suite, accentué encore le phénomène et suscité un débat, jamais clos depuis, entre partisans et adversaires des groupes sociaux engagés dans les manifestations à propos d’images susceptibles d’exalter comme de vilipender les actions dont elles prétendent rendre compte. Une même photographie peut, en effet, donner lieu à des interprétations diverses selon le récit dans lequel elle est enchâssée, alimenter des argumentaires opposés ou, pour le moins, divergents. Cette observation permet-elle pour autant de lever toute responsabilité du photographe dans l’usage de ses images pour la renvoyer à ceux qui s’en servent ?

  • 2 Même si elle est soumise à une obligation de déclaration préalable imposée par le décret-loi du 23  (...)
  • 3 À ce propos, voir l’article précédent, de Laurent Gayer.

2L’institutionnalisation progressive de la manifestation2 et la multiplication des défilés comme des causes défendues ont banalisé ce mode d’action. Inscrite dans cette évolution, l’intervention du photographe, également banalisée, n’en pose pas moins toujours question : que fait-il, volontairement ou non, lorsqu’il entreprend de produire des images de manifestations ? La question ne peut être esquivée sauf à se réfugier dans l’illusion d’une pratique naïve de la photographie, c’est-à-dire insouciante des effets que produiront ses images. La réponse ne saurait s’en tenir à la revendication d’une prise de position – en gros : affirmer l’adhésion aux objectifs poursuivis par les manifestants ou leur opposer un regard critique – sauf à expliciter clairement les conséquences de l’attitude adoptée par le photographe sur sa pratique. Ni à la déclaration des intentions plus larges du photographe : documenter une pratique sociale, constituer une archive, récolter un matériau d’enquête ou produire des photos en vue de les vendre à un client potentiel3, etc. Si elle ne peut guère plus se satisfaire de l’évocation des conditions éthiques d’une approche délibérément documentaire, elle doit prendre en compte avant tout la spécificité de l’objet manifestation.

  • 4 Dans le cas de la photographie : qui refuse tout effet de style pour privilégier la clarté du propo (...)

3Toute manifestation est interpellation, en tant qu’elle adresse un message explicite, généralement affiché en toutes lettres sur la banderole de tête, et sollicite une réaction de la part de celui qui le reçoit. D’adhésion ou de rejet, rarement d’indifférence. Or l’acte de photographier la manifestation redouble d’une certaine manière ce message en ce qu’il le rend disponible pour sa reproduction sur différents supports, journaux, revues, réseaux sociaux, etc. Toute photographie répercute dès lors, plus ou moins fidèlement, l’image que la manifestation propose d’elle-même et permet de la démultiplier. Photographier une manifestation consiste ainsi, plus clairement qu’en toute autre circonstance, à soumettre, au regard de celui qui examine l’image produite, une réalité « qui se donne à voir » (Terrenoire, 1985, 513). Plus précisément, elle propose la « mise en scène iconographique d’une mise en scène in situ » (ibid.), quitte à prendre acte du fait qu’elle en isole un moment, décale son objet, le restitue sous différentes facettes, à chaque fois comme une totalité en soi. Elle Instaure par là même « un écart dont il faut savoir ce qu’il peut engendrer » (ibid., 516). Sa reproductibilité, enfin, le contraint à se déprendre de toute manière ingénue, notamment « de la pratique de tous les jours » qui ignore « que l’image ordinaire participe d’un système conventionnel fonctionnant essentiellement sur le mode implicite » (Terrenoire citant Bourdieu, 1965), pour expliciter clairement sa démarche. Une certaine neutralité pourrait-elle, à cette condition, être préservée ? Notamment lorsque le photographe s’attache, en outre, à une manière « plate » de photographier, dans le sens qu’Annie Ernaux donne à ce mot lorsqu’elle affirme s’en tenir à une « écriture plate » (1983, 24)4 ?

  • 5 Qui nous avait accordé un long entretien dans le numéro 2 de la revue.

4Qu’en est-il, dès lors, de l’intervention du photographe-sociologue/sociologue-photographe ? Il ne peut ignorer ni les usages auxquels prêtent ses images ni les discours ou prises de position qu’elles sont susceptibles d’alimenter, de conforter, éventuellement d’infirmer, même quand il affirme ou nie photographier pour défendre une position quelconque. Un espace subsiste-t-il alors pour une photographe-sociologue qui s’attacherait à restituer fidèlement la réalité, sans la déformer et en évitant de prêter à l’ambiguïté ? Qui rendrait compte des réalités de manière neutre, en toute impartialité ? Des photographes ont tenté de répondre à cette exigence, au cours de la brève histoire de leur pratique, en se revendiquant de l’effacement du photographe au profit de la réalité qu’il proposait de saisir, voire de dénoncer, pour le moins de documenter. Sans retracer ici l’évolution de la photographie documentaire, il reste possible de remarquer combien les noms de certaines figures majeures de ce courant sont, paradoxalement, restés dans les mémoires. Rappelons simplement ceux, prestigieux, de Walker Evans ou Dorothéa Lange ou, plus récemment, Robert Frank. Voire, issus d’un autre courant, les grands noms du photojournalisme, de Robert Capa, figure légendaire, à Don McCullin, en passant par Marc Riboud et Gilles Caron, entre autres. Voire Élie Kagan ou Gérald Bloncourt5. Tous soucieux de restituer fidèlement la réalité. Serait-il, dès lors, illusoire de vouloir nier toute empreinte personnelle dans la production photographique ? Michel Poivert, dans sa Brève histoire de la photographie, pose la question du rôle du photojournaliste en ces termes : « …soldat de l’information ou serviteur du pouvoir ? » (2015, 167), avant d’aborder la question éthique sous-jacente à cette alternative.

  • 6 Le 13 avril 2023, il était au Mans et a donc photographié ce jour-là les manifestants du Mans !
  • 7 Prises à l’aide d’appareils numériques, il s’agit donc de photos enregistrées en noir et blanc par (...)

5L’analyse iconographique de la manifestation proposée ici portera sur des photographies réalisées lors des manifestations contre la réforme des retraites, au cours du premier semestre de l’année 2023 à Lyon6. Si l’auteur de ce texte – auteur aussi des photos présentées – n’a pas été guidé dans ses choix par les effets esthétiques, pour plagier la formule de Philippe Artières (2013, 65) à propos d’images d’Élie Kagan, ses critères de choix au moment où il a entrepris la rédaction de cet article l’ont amené à privilégier celles qui lui paraissaient le plus à même de saisir ce qu’exprimaient les participants à ces manifestations. Sont donc exclues celles qui pouvaient, lorsqu’il se laissait aller à la connivence avec les manifestants et son intime solidarité avec eux, tendre à magnifier ou exalter ces manifestations dans une perspective épique. Exclues encore celles portées par l’emphase et le lyrisme auxquels l’invitaient certaines humeurs au cours des manifestations, souvent prises latéralement, comme portées par le mouvement de la manifestation, entraînées dans sa dynamique et invitant à s’y inscrire. Le choix privilégie des photos prises frontalement ou perpendiculairement au mouvement du cortège, des photos visant à recenser les banderoles ou les pancartes portées par les manifestants, leurs tenues particulières, à la manière de celui qui entend restituer un maximum d’informations sur la manifestation. L’auteur a aussi, dans cette intention, renoncé à convertir en noir et blanc des photos prises en couleurs7, pour éviter la stylisation et la dramatisation souvent induites par ce procédé. Le matériau sur lequel portera l’analyse comporte ainsi des photos sélectionnées dans le souci de répertorier l’essentiel des écritures proposées, lors de ces manifestations, sur les banderoles, les pancartes ou les vêtements des manifestants, et même les graffitis bombés sur les murs le long des cortèges ou sur les trottoirs. Il ne prétend pas, pour autant, à une quelconque exhaustivité des informations rassemblées. Si le photographe a constitué, au fil des manifestations, une archive du mouvement social du premier semestre de l’année 2023 à Lyon, sa qualité de sociologue l’a conduit à choisir, dans le matériau réuni, les photographies le plus à même de favoriser le décryptage des modes d’expressivité mis en œuvre par les manifestants, depuis les banderoles portées par des groupes structurés au sein de la manifestation jusqu’aux pancartes brandies par des individus. Le but était d’interroger l’unité affichée ou revendiquée de la manifestation et la diversité qui la conteste.

6L’exposé qui suit comporte trois parties, correspondant à trois moments de l’analyse du matériau mobilisé, focalisés successivement sur les types de banderoles et leur style, puis sur les pancartes individuelles, sur fond de la question de l’unité des manifestations.

1. De l’unité affichée sur les banderoles syndicales…

  • 8 Voir l’article de Sylvie Monchatre et Marie-Thérèse Têtu (2022) sur les dos des Gilets jaunes.

7Toute manifestation dans l’espace public, dans la rue en l’occurrence, se fait, d’abord et avant tout, entendre, portée par les éclats de voix des manifestants scandant des slogans, lancés et relancés par les animateurs de la manifestation ou par les manifestants eux-mêmes, quand ils ne chantent pas des chansons de circonstance ou tirées des différents répertoires des mouvements de contestation. Voire en « faisant du bruit » à l’appel des animateurs ! Les enregistrements sonores ou vidéos permettent de rendre compte de ces aspects de la manifestation qui, par leur nature, échappent à la photographie, plus à même de saisir des attitudes, des postures, des portraits d’individus ou de groupes et, bien sûr, le foisonnement de dessins, caricatures ou écritures sur les banderoles, pancartes, affichettes et autres supports tels que les gilets des manifestants8 notamment.

8La photographie permet en outre de saisir des tableaux ou des scénettes de plus en plus fréquentes, proposées par des groupes au sein des cortèges, dans le cadre de mises en scènes sommaires, souvent accompagnées de textes explicatifs, parfois de tracts distribués pour l’occasion. Elle permet ainsi le recueil, outre les dessins, d’écritures très variées, saisies sur leurs supports spécifiques et dans les contextes concrets d’énonciation de la manifestation. Elle permet encore de saisir les tags et graffitis peints en marge des manifestations ou les slogans écrits à la sauvette sur les trottoirs ou sur les murs, les parois des abris-bus ou les rampes des métros, des vitrines de banques ou d’agences de travail temporaire, etc. Disons, pour résumer, que si la manifestation se donne à entendre, elle se donne aussi à voir, à lire. Notre attention se portera d’abord sur la banderole de tête des manifestations, celle qui, traditionnellement, ouvre le cortège.

Photo 1. Lyon, 19 janvier 2023, banderole de tête, à un moment d’arrêt

Photo 1. Lyon, 19 janvier 2023, banderole de tête, à un moment d’arrêt

© Henri Eckert

919 janvier 2023 : c’est la première manifestation contre la réforme des retraites, elle vient de démarrer mais marque un petit temps d’arrêt (photo 1). L’unité des participants est convoquée d’emblée : « Tous et toutes ensemble… ». Suit l’énoncé des motifs : « … contre l’allongement de la durée des cotisations, contre le report de l’âge légal de départ en retraite ». Si ces deux revendications désignent les deux points d’accord principaux entre les parties prenantes de la manifestation, leur unité est signifiée de deux autres manières encore, par l’affichage des logos des organisations syndicales qui ont appelé, en commun, à la manifestation et par la présence physique de représentants de ces organisations qui arborent, en outre, le drapeau de leur syndicat. Chaque organisation est représentée par un seul de ses membres et les logos sont tous de la même taille, sans égard pour la représentativité de chacune ou le nombre de manifestants mobilisés. La floraison des drapeaux, derrière les porteurs de la banderole, peut toutefois suggérer une participation inégale des différentes organisations. Au milieu de l’image, l’orange adopté par l’une d’entre elles pourrait induire une présence plus massive de ses militants et rend plus difficilement visible celle des militants dont le drapeau rouge se distingue mal ; or la présence des seconds dans toutes les manifestations contre la réforme des retraites a toujours largement surpassé celle des premiers. L’abondance de bleu, d’intensité variable, de part et d’autre ne donne guère la mesure de la présence effective des militants des syndicats qui ont adopté cette couleur, plus marginaux dans les différents cortèges. Ces remarques ne visent pas à esquisser un palmarès des participations des différentes organisations aux manifestations successives ni même à contrer des interprétations hâtives de la photo mais plutôt à mettre en garde contre toute forme d’interprétation rapide. De fait, cette image répercute avant tout la volonté affichée d’unité, rigoureusement mise en scène par les organisations syndicales engagées dans la bataille contre la réforme des retraites voulue par le gouvernement. En ce sens, elle reproduit l’image que les organisateurs de la manifestation voulaient en donner.

Photo 2. Lyon, 16 février 2023, banderole de tête

Photo 2. Lyon, 16 février 2023, banderole de tête

© Henri Eckert

10La banderole de tête, comme le montre la photo 2, n’a pas changé lors de la manifestation suivante, ni durant toute la durée du mouvement de lutte contre la réforme des retraites. Cette deuxième image n’est pourtant pas tout à fait la même que la précédente, bien qu’elle ait été prise approximativement au même endroit, également en début de manifestation. Certains porteurs de la banderole du 19 janvier sont toujours là alors que d’autres ont disparu, remplacés par un autre militant de leur organisation d’appartenance. Les manifestants ne sont pas non plus les mêmes. Surtout, le rouge domine cette fois au milieu de la photo et d’autres drapeaux sont plus visibles que sur la photo précédente. Les deux photos n’apportent donc pas strictement la même information. Mais l’essentiel est ailleurs : elles répliquent l’unité syndicale mise en scène par les organisateurs des deux manifestations, de la même manière les 19 janvier et 16 février. Elles montrent qu’il s’agit de la même manifestation unitaire, identique à elle-même, au sens où « deux express “Genève-Paris 8 h 45 du soir” qui partent à vingt-quatre d'intervalle » sont les mêmes bien que les passagers ne sont certainement pas les mêmes, ni les personnels du train ni, peut-être, les wagons ! (Saussure, 1972, 151) Ce qui est répliqué, démultiplié d’une manifestation à l’autre et d’une photo à l’autre, par le recours à la même banderole de tête, c’est bien le message d’unité syndicale, unité qui s’est vérifiée jusqu’à la fin du mouvement de lutte. Cette unité-identité est encore soulignée par le photographe dès lors qu’il suggère le mouvement, dans le but d’insister sur la détermination des porteurs de la banderole de tête et leur capacité d’entraînement. La photo 3 est cadrée de plus près que les deux précédentes et saisit la banderole de tête non de face mais depuis le flanc gauche de la manifestation alors que les manifestants débordent sur les côtés et avancent avec les porteurs de la banderole. Ici, le photographe accompagne le mouvement de la manifestation et entraîne avec lui celui qui regarde sa photo. Il l’emporte dans le mouvement, l’implique dans la mise en scène réalisée par les organisateurs, il l’engage dans la manifestation, au risque de laisser transparaître sa connivence avec la cause défendue par les manifestants.

Photo 3. Lyon, 7 mars 2023, banderole de tête, fin de manif après des incidents violents

Photo 3. Lyon, 7 mars 2023, banderole de tête, fin de manif après des incidents violents

© Henri Eckert

Photo 4. Lyon, 19 janvier 2023, banderole d’une union locale de la CGT, à un moment d’arrêt

Photo 4. Lyon, 19 janvier 2023, banderole d’une union locale de la CGT, à un moment d’arrêt

© Henri Eckert

Photo 5. Lyon, 19 janvier 2023, banderole du syndicat lyonnais de l’énergie, CGT, à un moment d’arrêt

Photo 5. Lyon, 19 janvier 2023, banderole du syndicat lyonnais de l’énergie, CGT, à un moment d’arrêt

© Henri Eckert

  • 9 Nous renvoyons sur ce point au livre de Philippe Artières (2013), consacré à la banderole comme obj (...)

11Si la banderole de tête ouvre la manifestation, les autres banderoles la segmentent, l’organisent et la rythment, pour en articuler le corps vivant9. La plupart d’entre elles font écho à la banderole de tête mais certaines n’en infléchissent pas moins la perspective. Donnant à lire des nuances qui peuvent aller jusqu’à l’expression de différences, à l’extrême de divergences. La banderole déployée par les membres d’une union locale CGT de la banlieue lyonnaise (photo 4) propose un message propre, par-delà l’appel à l’unité porté par la banderole de tête de la manifestation, un message qui invite certes à la lutte commune : « luttons pour… ». Mais pour un retour à la retraite à 60 ans, remise en cause par le report progressif à 62 ans de l’âge légal de départ à la retraite, enclenché en 2010 et, potentiellement, repoussé à 64 ans dans l’éventualité de l’adoption de la réforme contre laquelle a été organisée la manifestation en cours. Cet appel à un retour à la situation d’avant 2010 réitère à sa façon la revendication plus large de prise en compte de l’exigence de dignité des travailleurs. L’inscription de la lutte actuelle dans l’histoire longue induit dès lors un ton plus ferme, plus volontariste. On trouve la même tonalité sur la banderole du Syndicat lyonnais de l’énergie, affilié à la CGT (photo 5). Est cette fois revendiquée une « retraite de notre vivant », possible dès l’âge de 60 ans et « avec une pension à 75 % minimum » du revenu antérieur, vraisemblablement. À la radicalité des slogans fait écho le logo du syndicat, dont le nom est inscrit dans la gueule ouverte d’un lion. Mais l’essentiel est sans doute à rechercher au-delà de la radicalité affichée. La revendication d’« une retraite de notre vivant » pointe une préoccupation qui n’a cessé de traverser les manifestations de 2023 contre la réforme des retraites, d’un cortège à l’autre, dans des expressions variées : avoir du temps pour vivre pleinement l’âge de la retraite, cet âge d’après la vie dite active. Laissant émerger ce qui a, sans doute, fait l’unité profonde des manifestations contre la réforme des retraites. Nous y reviendrons plus loin.

Photo 6. Lyon, 31 janvier 2023, début du cortège de la CFDT

Photo 6. Lyon, 31 janvier 2023, début du cortège de la CFDT

© Henri Eckert

12Continuons sur la segmentation-articulation de la manifestation produite par les différentes banderoles et ce qu’elle induit au regard de l’unité affichée de la manifestation par la banderole de tête. La CFDT a constitué, tout au long des manifestations, le groupe le plus dense et le plus nombreux après ceux de la CGT et de CGT-FO, nettement plus fournis. Un énorme ballon orange (photo 6) portant le sigle du syndicat, arrimé à une structure métallique installée sur un petit camion, marque le début de son cortège, déjà signalé plus banalement par quelques rangs de militants qui arborent la chasuble du syndicat. Ceux-ci maintiennent en outre une distance avec les manifestants qui les précèdent et, plus étonnant, matérialisent une sorte de frontière entre eux et leurs prédécesseurs par un cordon, également orange, tenu par les premiers militants. Pour autant, l’écart physique ainsi marqué ne met pas en cause l’unité syndicale affichée en tête de cortège. La formule qui apparaît sur la banderole portée par les premiers militants se distingue certes de celle qui figure sur la banderole de tête. Il n’est pas ici question, au premier regard, de s’opposer, de manifester contre mais plutôt pour, en l’occurrence « pour un système de retraite juste et solidaire ». L’opposition au report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans figure toutefois, répété deux fois en caractère plus petits sur le bas de la banderole. La banderole portée par les manifestants quelques semaines plus tard (photo 7) ajuste le propos : le refus du report de l’âge légal de départ à la retraite apparaît cette fois en grosses lettres, qui plus est, sous un slogan plus percutant. Il ne s’agit plus de manifester pour mais, clairement, de dire « non à une réforme des retraites injuste et brutale ». Le ton s’est rapproché de celui des slogans affichés sur les banderoles des militants de la CGT ou de FO et le cordon qui faisait frontière a disparu. L’unité syndicale semble confortée tandis que l’engagement dans la lutte paraît plus ferme.

Photo 7. Lyon, 16 février 2023, cortège de la CFDT, nouvelle banderole principale

Photo 7. Lyon, 16 février 2023, cortège de la CFDT, nouvelle banderole principale

© Henri Eckert

13Si la banderole principale de chaque syndicat ouvre ainsi un cortège propre, plus ou moins séparé des autres, articulant le corps-organisme de la manifestation plus qu’il ne le disloque, elle signale donc aussi des petites différences entre syndicats, susceptibles, sinon de douter de l’unité réalisée lors des manifestations de 2023 contre la réforme des retraites, du moins de révéler des nuances. Ce sont autant de témoignages de sensibilités différentes qui ne tiennent pas seulement aux positionnements officiels des syndicats dans leur champ mais, plus fondamentalement, aux effets induits par leur composition socioprofessionnelle propre. L’ancrage ouvrier des syndicats CGT et CGT-FO permet – c’est l’hypothèse que nous proposons – sans doute de rendre compte des différences de formulation des slogans inscrits sur leurs banderoles particulières et, plus encore, de la tonalité des slogans. À la différence des formulations et du ton des banderoles de syndicats plus ancrés dans des activités tertiaires, voire des activités d’encadrement, à l’instar de la CFDT ou de la FSU et, plus nettement encore, de la CFE-CGC par exemple. Sans doute faudrait-il évoquer aussi les mots des slogans ou le ton des banderoles du syndicat Solidaires notamment. Pour l’instant, nous voulons surtout insister sur le style des banderoles évoquées jusqu’ici, que nous qualifierons de sobre. Celui-ci pourrait, au vu de ces banderoles mais aussi de la plupart de celles que nous ne pouvons montrer dans le cadre de cet article, par les caractéristiques visibles suivantes : sur fond blanc le plus souvent, usage de caractères typographiques majuscules, droits, épais, de grande taille, généralement de couleur noire, plus rarement de la couleur adoptée par le syndicat, avec possibilité de deux couleurs, texte disposé sur deux ou trois lignes, de manière à être facilement lisible, sigles des syndicats au bord des banderoles. Cette sobriété tend à souligner le sérieux et la rigueur des syndicats. Pour le dire en un mot : leur respectabilité. Il n’en va pas de même pour tous les syndicats et leurs organisations ou pour d’autres parties prenantes des manifestations. Les styles varient, au point de révéler d’autres facteurs de différenciation.

Photo 8. Lyon, 15 mars 2032 : On n’en a pas fini

Photo 8. Lyon, 15 mars 2032 : On n’en a pas fini

© Henri Eckert

2. … à la colère exprimée par des groupes plus restreints

14Les banderoles arborées par certains groupes au sein de la CGT, unions professionnelles ou unions locales notamment, donnent à voir des styles nettement différents de celui des banderoles décrites précédemment. Il en va ainsi des banderoles déployées par les cheminots lyonnais. Lors de la manifestation du 15 mars (photo 8), ils se sont rangés, derrière une banderole dont le style tranche nettement avec le style sobre des banderoles de leurs camarades d’autres groupes du syndicat. Le texte du slogan, court, occupe toute la surface de la banderole, les lettres majuscules qui le composent en ont la hauteur, elles sont épaisses, d’un rouge vif, cerclées d’un mince filet jaune et entourées d’un épais filet noir. Elles se détachent nettement sur le fond écru de la banderole et contribuent ainsi à la lisibilité du slogan, même aperçu de loin. Malgré la présence de militants du syndicat devant la banderole et leurs gesticulations qui le cachent en partie et obligent celui qui veut le lire à des contorsions ! Le photographe lui-même a fini par renoncer à sa volonté de le saisir en entier. Mais la visibilité-lisibilité du slogan apparaît plus nettement sur la photo suivante (photo 9) et montre la force d’un lettrage similaire : de grandes lettres jaunes entourées d’un épais filet noir qui se détachent nettement sur le fond rouge de la banderole. La manifestation a été appelée par les seuls cheminots de la CGT et regroupe, outre les membres du syndicat, quelques sympathisants. Il s’agit en fait d’une démonstration de force du groupe et, plus encore, d’une démonstration de la vigueur de son engagement et de sa détermination. Le style de la banderole s’accorde à cette résolution, il la souligne, il en atteste à la veille de la journée nationale de manifestation du lendemain (photo 10). La nouvelle banderole reprend ce jour-là, sans surprise, les mêmes codes : grosses lettres jaunes entourées d’un épais filet noir et d’un mince filet blanc sur fond rouge vif. Mais le lettrage a évolué : les majuscules sont moins raides et le slogan est ponctué. Il est disposé sur deux lignes, la ligne du bas chevauchant légèrement celle du haut dans la partie gauche de la banderole, sans trop altérer la lecture du slogan.

Photo 9. Lyon, 22 mars 2023 : Jusqu’au retrait

Photo 9. Lyon, 22 mars 2023 : Jusqu’au retrait

© Henri Eckert

Photo 10. Lyon, 23 mars 2023 : Le retrait un point c’est tout !

Photo 10. Lyon, 23 mars 2023 : Le retrait un point c’est tout !

© Henri Eckert

15Même si, sur cette photo (photo 10) aussi, quelques militants devant la banderole la cachent en partie, elle reste bien lisible, le chevauchement des lignes rapprochant les deux termes essentiels du slogan : le mot « retrait » et l’expression « c’est tout ! ». Le slogan dans son intégralité – « Le retrait. Un point c’est tout ! » – sonne comme une mise en demeure adressée à tous, au gouvernement en particulier, après l’adoption de la loi de réforme par le sénat et le passage en force du gouvernement à l’assemblée, qui entérine la loi sans vote, par recours à l’article 49-3 de la constitution. Les manifestants répètent ainsi la détermination qu’ils affichaient depuis un moment. Dès la mi-mars, ils affirmaient qu’ils n’en avaient pas fini avec leur résistance, malgré l’adoption de la loi par le sénat et avant le coup de force du gouvernement à l’assemblée nationale. Puis le 22 mars en signifiant que leur lutte se poursuivrait jusqu’au retrait du projet contesté. Enfin le 23 mars, en exhibant un slogan radical sur une banderole orné de poings fermés. La forme du slogan témoigne ainsi de la force de leur engagement syndical. Mais surtout, s’affirme ici un style différend que nous proposons de désigner comme un style expressif. L’expressivité est recherchée à travers l’usage de couleurs vives fortement contrastées, qui découpent avec force le slogan du fond, neutre ou lui-même d’une couleur vive. La forme des lettres emprunte davantage à un registre graphique plus proche des graffitis muraux. Le texte occupe toute la place sur la banderole, au point de reléguer le sigle du syndicat dans les points sur les deux « i » du mot « fini » ou au bas de l’une des deux lettres comme une signature discrète (photo 11). Le souci quasi bureaucratique du style sobre laisse la place à l’affirmation d’un état d’esprit, d’une intention farouche et d’une volonté tranchée de combattre la réforme proposée. La respectabilité recherchée dans le style sobre n’est plus de mise dans une situation où l’antagonisme sous-jacent entre les travailleurs et le gouvernement s’est tendu. La lutte n’est pas terminée, l’affrontement continue, ils n’en ont pas fini. Mais si l’intensité de l’engagement et la détermination des militants sont exprimées par la forme des slogans, le style expressif relève davantage d’une intention.

Photo 11. Lyon, 6 avril 2023 : On n’en a pas fini

Photo 11. Lyon, 6 avril 2023 : On n’en a pas fini

© Henri Eckert

16Cette intention – nous pourrions parler de « vouloir-dire » (Derrida, 2003 [1967]) – transparaît certes dans la manière dont le slogan est présenté mais davantage encore dans les décalages formels dont cette manière procède. Le code stylistique traditionnel, commun à la majorité des banderoles déployées par les militants de la CGT comme à la plupart des autres syndicats, est débordé, au sens premier de l’adjectif : la rigidité de l’écriture est cassée et les bordures des lettres sont démultipliées. Si bien que le message déborde la surface qui lui est traditionnellement réservée, au point que le sigle même du syndicat doit être glissé furtivement dans le pied d’une lettre (photo 11) quand il n’est pas tout simplement omis (photo 9). L’engagement dans la lutte, la détermination des militants l’emportent sur l’apparentement syndical. Et la banderole apparaît soudain bien étroite, trop étroite pour contenir l’intention dont elle procède. La bienséance, qui va de pair avec la respectabilité conférée par le recours à une présentation sobre et conventionnelle, est outrepassée au profit d’un discours nouveau, ajusté au tempo de l’action revendicative. Les discours traditionnels sont relégués à l’arrière-plan pour avoir été dépassés par les urgences de l’action en cours. Briser l’emprise des bonnes manières permet dès lors d’ouvrir à la possibilité d’un autre discours, plus en prise avec la situation du moment. Peuvent ainsi s’exprimer la colère ou la détermination de militants désireux d’affirmer la nécessité de poursuivre la lutte et leur volonté d’aller au bout de leurs revendications. Le vouloir-dire renvoie ici à ses deux dimensions intriquées, la nécessité urgente de dire et ce qui est dit. Dans les termes plus pragmatiques : quand le vouloir-dire tend vers un faire. Cette pratique peut aussi se nourrir d’un rappel de l’histoire antérieure, d’événements ou d’actions passés et s’inscrire dans l’histoire longue du mouvement ouvrier. En 1910 déjà, la CGT appelait les ouvriers à s’opposer à « la retraite des morts ».

Photo 12. Lyon, 11 février 2023 : Non à la retraite des morts

Photo 12. Lyon, 11 février 2023 : Non à la retraite des morts

© Henri Eckert

17Le slogan – « Non à la retraite des morts » – a été repris lors des manifestations lyonnaises du premier semestre 2023 (photo 12). Mais il n’apparaît pas sur une banderole conforme au style sobre adopté sur la plupart des banderoles du syndicat. Le slogan est certes écrit en lettres rouges sur une toile blanche, majuscules pour certaines, minuscules pour les autres, sans plus, tandis que le sigle CGT apparaît mais en tout petits caractères stéréotypés, dans le coin droit en bas de la banderole. Celle-ci pourrait donc, quitte à s’en tenir à ces caractéristiques-là, éventuellement relever du style sobre. Mais l’écriture est irrégulière, un peu gauche sinon maladroite, en comparaison avec les banderoles habituelles du syndicat. Comme si elle avait été réalisée à la va-vite, à l’aide d’une seule et même bombe de peinture. Comme si la rigueur dans la manière importait peu face à l’effet recherché, comme si ceux qui ont peint la banderole visaient davantage un effet choc, à l’instar des cheminots lyonnais. Comme s’ils avaient décidé d’en appeler à l’histoire, par la citation, comme l’indiquent les guillemets qui l’encadrent, d’un slogan lancé par le syndicat en 1910, à un moment où avait été proposée la mise en place d’un système national de retraite pour les ouvriers et les paysans, dont ceux-ci pourraient, sous réserve d’avoir cotisé, bénéficier au-delà de 65 ans… À une époque où leur espérance de vie oscillait, en moyenne, entre 55 et 65 ans ! La revendication est ici, au-delà du retrait des mesures d’allongement de la durée de cotisation et de report de l’âge légal d’accès à la retraite, de pouvoir jouir de ce temps de la retraite, dégagé par les ordonnances de 1945. Une banderole encore plus sommaire que la précédente, accrochée au dos d’une fourgonnette de la CGT (photo 13), réalisée dans des conditions sans doute identiques porte cette revendication : « Nous voulons le meilleur de la vie », écrite en lettres rouges, partiellement en majuscule et, pour la fin, en minuscules, sans doute parce qu’il n’y aurait plus eu de place sur le drap blanc sinon ! Le style expressif se donne ainsi pour ce qu’il permet in fine : affirmer des revendications formulées de l’intérieur même du mouvement de contestation de la réforme des retraites.

Photo 13. Lyon, 7 février 2023 : Nous voulons le meilleur de la vie

Photo 13. Lyon, 7 février 2023 : Nous voulons le meilleur de la vie

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Photo 14. Lyon, 7 février 2023 : Cortège du Black bloc

Photo 14. Lyon, 7 février 2023 : Cortège du Black bloc

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Photo 15. Lyon, 7 mars 2023 : Cortège du Black bloc, à l’arrêt à un carrefour

Photo 15. Lyon, 7 mars 2023 : Cortège du Black bloc, à l’arrêt à un carrefour

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18La banderole arborée le 7 février par des militants « antifa » (photo 14) rompt de même avec les codes traditionnels de la banderole syndicale : le lettrage est comparable à celui des banderoles des cheminots lyonnais et le texte ne prend sens que dans le contexte de la manifestation, organisée contre la réforme des retraites. Si la tenue des manifestants, masqués pour la plupart et majoritairement vêtus de noir, tranche nettement avec celle des cheminots de la CGT, elle n’en témoigne pas moins d’une affiliation à un groupe militant identifiable. Les masques induisent le soupçon d’une intention différente de celle des militants de la CGT, qui ne se soucient pas de cacher leur visage, cette intention s’ébauche plus nettement sur d’autres banderoles, notamment celles arborées par le Black bloc lors de la manifestation du 7 mars 2023 (photo 15). La volonté de provoquer s’affirme de deux manières différentes. D’abord par le style des banderoles, en rupture totale avec celui des banderoles traditionnelles, voire avec celui de la banderole arborée lors de la manifestation du 7 février. Les références à un univers onirique dans un cas, fantastique dans l’autre, en témoignent. Mais le contraste entre ces deux banderoles répercute et amplifie l’ironie provocante de chacune, jusqu’à suggérer comme un pied-de-nez aux porteurs des banderoles traditionnelles et un défi aux revendications portées par le mouvement de lutte contre la réforme des retraites. Toujours masqués et vêtus de noir, les porteurs des deux banderoles se tiennent cachés derrière, s’en servant comme d’un masque géant pour protéger l’ensemble de leur groupe alors que les couleurs, chatoyantes dans un cas et inquiétantes dans l’autre, participent à une mise en scène spectaculaire, accentuée encore par les ballons jaunes et noirs qui couronnent la seconde banderole.

Photo 16. Lyon, 7 mars 2023 : La police vient de s’emparer d’une banderole du Black bloc

Photo 16. Lyon, 7 mars 2023 : La police vient de s’emparer d’une banderole du Black bloc

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Photo 17. Lyon, 11 février 2023 : Le Black bloc s’adresse aux « forces de l’ordre »

Photo 17. Lyon, 11 février 2023 : Le Black bloc s’adresse aux « forces de l’ordre »

© Henri Eckert

  • 10 La question n’est pas, ici d’apprécier la pertinence du propos bien que les syndicats ou partis de (...)

19Si le pied-de-nez s’adresse aussi aux autres manifestants, la provocation qu’il implique vise davantage la police. Les heurts avec elle n’ont d’ailleurs pas tardé, ils ont éclaté quelques instants seulement après la prise de la photo 15. La charge de la police, à grand renfort de gaz lacrymogène, a dispersé les porteurs des deux banderoles et les manifestants proches (photo 16) tandis que les policiers s’emparaient de l’une d’elles. Devenues un enjeu des affrontements récurrents avec les forces de l’ordre, les banderoles du Black bloc risquent ainsi de mettre en péril l’unité de la manifestation. D’abord par la critique tacite qu’elles impliquent d’une pratique ordonnée de la manifestation, voulue par les syndicats jusque dans leur déroulement pacifique, excluant toute violence, à l’égard des forces de l’ordre notamment. Ensuite par le fait que les membres du Black bloc cherchent systématiquement à s’installer en début du cortège, devant la banderole de tête, moins visible du coup et donc moins facilement lisible. Avec pour conséquence, en outre, le ralentissement des cortèges, provoqué par les actions diverses menées par des membres du Black bloc, de l’écriture de graffitis au saccage de panneaux publicitaires, de vitrines d’agences bancaires ou d’agences de travail temporaire. Ces pratiques heurtent de nombreux manifestants venus pour soutenir les objectifs syndicaux, quand elles ne les dissuadent pas de revenir dans les cortèges. Enfin en crispant les relations avec les forces de l’ordre. Lors de la manifestation du 11 février, le Black bloc avait déployé une banderole, plus banale par son style graphique, qui tendait à inverser les termes de sa relation avec les forces de l’ordre (photo 17). Sur fond blanc et sous une première ligne renvoyant, en petits caractères majuscules rouges, aux retraites et aux services publics, il était écrit en lettres majuscules de couleur verte, plus grandes, dans une adresse aux forces de l’ordre et, au-delà, au pouvoir politique, que celles-ci étaient les casseurs10.

Photo 18. Lyon, 19 janvier 2023 : Graffiti réalisé durant la manifestation contre la réforme des retraites

Photo 18. Lyon, 19 janvier 2023 : Graffiti réalisé durant la manifestation contre la réforme des retraites

© Henri Eckert

3. Des pancartes aux graffitis, les expressions individuelles au cours des manifestations

20Si les intentions de rupture avec les pratiques consensuelles de la manifestation, lisibles dans le style des banderoles, peuvent aller jusqu’à la provocation et la volonté d’affrontement avec la police, au risque de mettre en péril l’unité organique des manifestations, il n’en paraît pas moins important d’insister sur l’inquiétude qui a couru tout au long des manifestations contre la réforme des retraites et – nous le laissions entendre plus haut – en a constitué, au contraire, le socle unitaire véritable : la hantise de la mort. Hantise de la mort avant d’avoir pu vivre le temps de la retraite. Elle a, comme signalé plus haut, été exprimée en creux, mais d’emblée et tout au long des manifestations, par la banderole qui disait « non à la retraite des morts ». Cette hantise de la mort avant d’avoir atteint l’âge de la retraite est apparue avec plus d’insistance sur les pancartes individuelles, produites par des manifestants, ou sur des murs le long du parcours des manifestations. C’est ainsi que la plupart des manifestants du 19 janvier 2023 et de nombreux passants les jours suivants ont pu lire cette déclaration, peinte sur un garde-fou de la station du métro Gabriel Péri, à Lyon : « On veut une retraite au soleil pas au cimetière » (photo 18). Ils ont certainement remarqué que le graffeur, qui a sans doute dû réaliser son graffiti rapidement, n’en a pas moins apporté une attention particulière au choix des couleurs : une couleur chaude pour la partie haute du texte, une couleur froide pour la partie basse. Ce genre d’attention n’est pas rare et constitue une des caractéristiques marquantes d’un grand nombre de graffitis, inscrits sur les murs, les abribus ou les trottoirs, voire sur les vitrines de banques notamment ou d’agences de travail temporaire… Quand l’urgence de la situation ne contraignait pas l’auteur à réaliser son inscription dans un temps très court ! Les pancartes, généralement fabriquées avant la manifestation, en témoignent davantage.

Photo 19. Lyon, 19 janvier 2023 : Pancarte portée durant la manifestation contre la réforme des retraites

Photo 19. Lyon, 19 janvier 2023 : Pancarte portée durant la manifestation contre la réforme des retraites

© Henri Eckert

Photo 20. Lyon, 31 janvier 2023 : Pancarte brandie au bout d’une perche, contre la réforme des retraites

Photo 20. Lyon, 31 janvier 2023 : Pancarte brandie au bout d’une perche, contre la réforme des retraites

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Photo 21. Lyon, 31 janvier 2023 : Pancarte contre la réforme des retraites accrochée au cou

Photo 21. Lyon, 31 janvier 2023 : Pancarte contre la réforme des retraites accrochée au cou

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21Ce souci d’expressivité et d’une cohérence entre la forme et le fond du message se manifeste de différentes manières. Lors de la manifestation du 19 janvier 2023, une manifestante arbore une pancarte en carton (photo 19) sur laquelle le texte, en deux couleurs, est illustré d’un petit dessin, sans doute rajouté après l’écriture du texte, représentant une chope de bière mousseuse brandie par la main d’un mort. Le dessin est coincé entre les deux occurrences du mot bière qu’il relie et distingue, en quelque sorte, malgré la différence des significations du mot dans l’un et l’autre cas. La pancarte joue en effet sur la polysémie du mot et, par le dessin plus que par la calligraphie ou l’opposition des couleurs, sur le registre de l’humour noir. Cet humour grinçant apparaît sur une autre pancarte (photo 20), hissée au bout d’une perche tenue par un couple gouailleur, en marge du cortège, qu’il regarde défiler, quitte à s’y joindre par moments avant de s’arrêter à nouveau. L’humour noir ne procède pas, cette fois, de la polysémie d’un mot mais des deux occurrences différentes du nombre 64. Celui-ci apparaît en effet dans le nom d’une bière bien connue mais il indique aussi le nouveau seuil légal d’accès à la retraite. « Boire une 1664 oui mais bosser jusqu’à 64 ans, non. » Si le lettrage est moins rigoureux que celui de la pancarte précédente, plus impulsif, la pancarte n’en témoigne pas moins d’un évident souci esthétique : elle est ornée d’une rose rouge vif, dont la couleur contraste avec le vert des lettres et des deux flocs qui entourent le non final. La convergence du soin particulier apporté à la réalisation des pancartes avec l’humour noir qui s’en dégage témoigne d’une même gravité, que l’on retrouve encore dans la pancarte qu’un manifestant porte autour de son cou lors de la manifestation du 31 janvier (photo 21). L’humour noir procède cette fois de l’ambiguïté du mot caisse qui, dans le contexte de report à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite, fait résonner l’expression commune caisse de retraite avec cette caisse en bois – entendre le cercueil dans lequel est déposé le corps du mort avant la sépulture. Les variantes de ces pancartes ont fleuri tout au long des manifestations même si la propension à l’humour noir a cédé, peu à peu, la place à la colère.

Photo 22. Lyon, 31 janvier 2023 : Pour Mario, la retraite à 64 ans c’est non !

Photo 22. Lyon, 31 janvier 2023 : Pour Mario, la retraite à 64 ans c’est non !

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Photo 23. Lyon, 7 février 2023 : Travailler jusqu’au bout de la vie ?

Photo 23. Lyon, 7 février 2023 : Travailler jusqu’au bout de la vie ?

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Photo 24. Lyon, 11 mars 2023 : Mort au travail

Photo 24. Lyon, 11 mars 2023 : Mort au travail

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22Il en reste une trace dans cette autre pancarte arborée le même jour que la précédente mais d’une tonalité différente (photo 22). Un Mario vieilli, à l’épaisse moustache blanche pour l’occasion, se tient les reins douloureux et marche en prenant appui sur une canne : l’humour est encore là mais la colère pointe, signifiée par le « c’est non » en grosses lettres rouges bordées d’un liséré blanc. La pancarte fait écho au style expressif de certaines banderoles syndicales. Elle met vigoureusement l’accent sur le refus catégorique du report à 64 ans de l’âge de départ à la retraite et laisse affleurer la colère sous-jacente. Pour beaucoup de salariés, travailler deux ans de plus avant de bénéficier de la retraite pourrait, en effet, signifier travailler jusqu’au bout de la vie (photo 23). Et peu importe que les données statistiques sur l’espérance de vie après 60 ans laissent entrevoir la possibilité de vivre en bonne santé pendant bien plus de 4 ans, donc, pour la plupart des individus, de continuer de vivre quelques années au-delà de 64 ans. Quels que soient le sexe, la catégorie socioprofessionnelle ou le niveau de vie, et malgré les importantes inégalités qui affectent l’espérance de vie en fonction de la position sociale de l’individu ou de son sexe, la hantise de la mort ne tient pas aux données élaborées par les démographes. La pancarte « Travailler jusqu’au bout de la vie » (photo 23) en témoigne à sa façon. Son auteur/autrice ne fait référence à aucune donnée objective. Sa pancarte focalise l’attention sur l’angoisse éprouvée, exprimée avec force par le contraste saisissant des lettres blanches avec le fond rouge sang, d’une vie tout entière accaparée par le travail. Potentiellement abrégée dans la mesure où le travail lui-même peut tuer, comme le rappelle la personne qui, lors de la manifestation du 11 mars, brandit une affichette détournée, d’une géométrie rigoureuse, sur laquelle apparaissent les mots « Dead at work ». La mort frappe trop souvent les égoutiers ou les travailleurs du bâtiment, par exemple, qui n’ont pas manqué de le rappeler régulièrement lors des manifestations contre le report de l’âge légal de départ à la retraite (photos 25 et 26).

Photo 25. Lyon 31 janvier : Les égoutiers…

Photo 25. Lyon 31 janvier : Les égoutiers…

© Henri Eckert

Photo 26. Lyon 31 janvier : Les travailleurs du BTP…

Photo 26. Lyon 31 janvier : Les travailleurs du BTP…

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Photo 27. Lyon, 15 mars 2023 : Partir à la retraite plus tard…

Photo 27. Lyon, 15 mars 2023 : Partir à la retraite plus tard…

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Photo 28. Lyon, 15 mars 2023 : On ne se laissera pas voler…

Photo 28. Lyon, 15 mars 2023 : On ne se laissera pas voler…

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23Ainsi, au fur et à mesure des manifestations, la propension des manifestants à affronter avec humour la menace concrète du report de l’âge légal de départ à la retraite a cédé le pas au profit d’expressions plus rageuses. Lors de la manifestation du 15 mars, une pancarte affirme que « partir plus tard c’est mourir plus tôt » (photo 27). La phrase est écrite en lettres majuscules sur un carton sommairement découpé. Elle use de couleurs différentes pour focaliser l’attention sur certains mots, sur le mot mourir en particulier, manifestant par-là l’intention expressive de l’auteur-autrice. Malgré le ton global affirmatif sinon détaché, la pancarte laisse poindre une sorte d’exaspération, que trahissent les deux doigts d’honneur dessinés dans les deux coins bas, sur lesquels figure le nom du président de la République, ou la violence du contraste entre deux registres d’expression dissonants. Une autre pancarte (photo 28) pointe davantage la froide détermination d’une manifestante qui n’entend pas se laisser voler sa vie en silence. Le carton a été soigneusement découpé, les angles biseautés et le texte, en caractères d’imprimerie majuscules, est parfaitement lisible. D’un style qui rappelle la sobriété de la plupart des banderoles syndicales, elle ne laisse guère filtrer les sentiments de son autrice mais n’en affiche pas moins sa détermination. Elle dit, plus particulièrement, l’enjeu des manifestations, qui ne saurait être réduit au seul report de l’âge légal de départ à la retraite. L’enjeu véritable est dans la vie elle-même, dans la possibilité de disposer de sa vie à son gré. Il s’agit dès lors de résister à l’emprise du travail sur la vie, cette emprise qui réduit l’existence aux trois mots : « métro, boulot, caveau » ou au slogan tant de fois répété sur les pancartes ou de vive voix, depuis les manifestations des Gilets jaunes en 2019-2020 : « Travaille, consomme et ferme ta gueule » (photo 29).

Photo 29. Lyon, le 19 janvier 2023 : Le travail contesté…

Photo 29. Lyon, le 19 janvier 2023 : Le travail contesté…

© Henri Eckert

Photo 30. Lyon, 15 mars 2023 : Travailler, consommer…

Photo 30. Lyon, 15 mars 2023 : Travailler, consommer…

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24Ainsi, les préoccupations exprimées sur les pancartes brandies par les manifestants débordent largement les revendications syndicales. Pas question pour les manifestants de s’en tenir à l’exigence placée au centre des débats par la réforme des retraites. Une autre a pris le pas, qui interroge la place du travail dans la vie, allant jusqu’à questionner le sens même du travail dans le contexte contemporain. La pancarte (photo 30) liste quatre verbes : travailler, produire et consommer, auxquels s’en ajoute un autre, moins fréquemment associé aux précédents : détruire, écrit en lettres plus grasses et d’un noir plus intense. Les quatre sont chaque fois suivies du signe de l’addition, en rouge. Tout en bas de la pancarte la somme qui résulte de l’addition : « Quel avenir ? » Une invitation à s’intéresser aux finalités du travail dans un monde que l’activité productive détruit. La réponse n’est pas apportée immédiatement, dans le cortège, à chacun de réfléchir et de réagir à sa guise. Il s’agit d’autre chose encore avec le slogan bombé ce jour-là sur la vitrine d’une banque (photo 31). Il a été écrit à la sauvette, pas le temps de dessiner de belles lettres ni même d’écrire droit. Mais il se détache bien sur le fond plus clair d’un rideau gris, qui reçoit l’ombre du slogan. Il est brutal, sec, violent. « On veut pas vos travail de merde !!! » Aucune précaution n’a été prise par son auteur, ni orthographique ni stylistique. Plus qu’un slogan, c’est un cri de rage qui rejette le monde du travail proposé aux jeunes, un geste de révolte. Sans doute le fait d’un membre du Black bloc, dont un autre a tenté ensuite de briser la vitrine. Inacceptable diront certain·e·s. Le photographe s’est contenté d’enregistrer la trace de ce geste et la question qu’il pose. Parce qu’il pousse à la limite la question du sens et de la place du travail, dans l’exact fil des pancartes évoquées plus haut.

Photo 31. Lyon, le 28 mars 2023 : On veut pas de vos…

Photo 31. Lyon, le 28 mars 2023 : On veut pas de vos…

© Henri Eckert

Photo 32. Lyon, le 28 mars 2023 : Société tu m’auras pas…

Photo 32. Lyon, le 28 mars 2023 : Société tu m’auras pas…

© Henri Eckert

25L’ambiance s’est tendue après que le sénat a voté la loi sur la réforme des retraites et que le gouvernement est passé en force à l’assemblée nationale, imposant sa loi sans vote des députés. Un peu plus encore après les événements tragiques de Sainte Soline. Une pancarte brandie lors de la manifestation du 28 mars se contente d’un texte sobrement écrit en lettres majuscules noires de tailles diverses sur un carton ondulé. Celui-ci emprunte au texte d’une chanson de Renaud pour dire la colère et l’exaspération de la manifestante qui la tient à bout de bras (photo 32). Si la référence à la Commune de Paris, simplement reprise sur la pancarte, figurait dans la chanson, nombreuses ont été les références à cet événement sur d’autres pancartes, affichettes ou graffitis. Comme ont été nombreuses les citations de Victor Hugo par exemple, fréquemment invoqué lors des manifestations des Gilets jaunes quelques années plus tôt avant d’apparaître à nouveau dans les cortèges contre la réforme des retraites. L’inscription dans l’histoire, dans l’histoire longue des mouvements sociaux qui ont agité la France au cours des deux siècles écoulés constitue l’un des traits majeurs des expressions individuelles dans les cortèges lyonnais du printemps 2023. Cette inscription dans le temps long des revendications populaires pointe sans doute l’unité profonde des manifestations contre la réforme des retraites, au-delà de l’unité réalisée par les syndicats autour du refus de la réforme des retraites et notifiée sur les banderoles principales. Elle se cristallise de la manière la plus simple et, sans doute, la plus forte dans le slogan affiché sur cette pancarte (photo 33) : « Travailler moins pour vivre plus. » Écrite sur un carton usé, au feutre, en grands caractères bleus, bien lisibles, elle dit la revendication fondamentale, pour laquelle ont marché tous les manifestants, des plus paisibles aux plus fâchés.

Photo 33. Lyon, le 28 mars 2023 : Travailler moins…

Photo 33. Lyon, le 28 mars 2023 : Travailler moins…

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Les embarras du photographe-sociologue

  • 11 Un tel travail pourrait faire l’objet d’un autre article sur la manifestation !

26Toute manifestation est interpellation, rappelions-nous au début de ce texte. Et toute photo de manifestation, quelle qu’elle soit et quelles qu’aient été les intentions du photographe, tend à répercuter cette interpellation. Quitte à ce qu’il l’infléchisse ou la torde dans un sens ou un autre. C’est toutefois bien davantage dans la légende ou, plus nettement, dans le propos oral ou écrit qui l’enserre que l’auteur dudit propos ou de la légende formule quelque chose de l’ordre d’une prise de position, voire d’une tentative d’imposition d’une interprétation. Ou encore dans le montage des photos quand il en aligne plusieurs. Patrick Champagne (1984) a montré comment, dans le cas d’une manifestation d’agriculteurs à Paris, les organisateurs avaient tenté d’imposer une image du monde agricole, plus ou moins relayée, transformée, ajustée par les médias selon leurs positions dans le champ médiatique. Photographier la manifestation ne s’accomplit que dans cette dialectique entre la réplique de l’intention des manifestants et les objectifs des commentateurs qui en rendent compte. L’auteur de ce texte n’a pas, pour autant, voulu mener une analyse comparée des manières dont les uns ou les autres ont rendu compte des manifestations du premier semestre 2023 contre la réforme des retraites, en France en général ou à Lyon en particulier11. Il s’est plutôt penché sur les modes d’expressivité dont témoignent les banderoles, pancartes et autres graffitis produits pour ou au cours de la manifestation.

  • 12 Brice Le Gall en témoigne dans un entretien avec Marie-Pierre Pouly (2022) au sujet de l’ouvrage qu (...)

27Si le souci du sociologue-photographe, souvent amené à se demander pourquoi prendre telle photo plutôt que telle autre, pourquoi renoncer à telle photo ou à telle autre, commence dès la prise de vue, son embarras prend une autre tournure au moment de choisir, souvent parmi plusieurs centaines, celles qu’il va utiliser pour son montage et/ou son analyse12. Il s’est, en l’occurrence, résolu à préférer des images plates, au détriment d’images trop marquées par une intention esthétique ou le sensationnalisme souvent privilégié dans les médias. Puis il s’est attaché à définir le fil conducteur de l’article qu’il se proposait de rédiger, c’est-à-dire arrêter les critères d’un choix raisonné, établi en fonction de la problématique qu’il souhaitait développer. Une idée s’est alors imposée, petit à petit. Comme s’impose au sociologue une ligne interprétative à force de lire et relire les entretiens qu’il a réalisés. Comme s’impose au vidéaste-cinéaste un principe d’organisation face à ses rushes. Visionner ses photos l’a, très vite, amené à se concentrer sur la question de l’unité de la manifestation : vérifier si l’unité décidée au niveau des états-majors syndicaux, affichée en tête des manifestations, s’exprimait dans les rues, lors des manifestations et en cerner le comment dans les cortèges. Si donner à voir une image d’unité des manifestants tout au long des défilés successifs s’était avéré crucial pour les organisateurs des manifestations, avaient-ils pu l’entretenir d’une manifestation l’autre ? La question se posait d’autant plus que la longue durée de la lutte, scandée par la récurrence des manifestations, était susceptible de provoquer des réactions d’impatience ou des remises en cause de la forme, jugée trop paisible par d’aucuns, des manifestations syndicales habituelles. Voire d’entraîner des heurts entre manifestants attachés à la forme pacifique de celles-ci et manifestants désireux de sortir de ce cadre en vue de montrer leur détermination, quitte à provoquer des débordements, des affrontements avec les forces de l’ordre, voire des débuts d’émeutes. La question posée aurait donc pu se formuler ainsi : quelle sélection en vue de quel montage et donc de quel récit ?

28Ce n’est pas l’idée qui a dicté le choix des photos, c’est le choix des photos qui a fait émerger l’idée. Qui l’a étayée et façonnée au fur et à mesure des allers et retours entre les photos et l’ébauche progressive d’un texte. Qui l’a fait passer d’une question a priori – qu’est-ce qui fait l’unité d’une manifestation malgré sa diversité de ses composantes ? – à cette question a posteriori – qu’est-ce qui a fait la force réelle de ces manifestations ? C’est à ce moment-là que s’affirme la hantise d’une mort avant d’avoir pu jouir d’une retraite au soleil, comme le rappelle le graffiti sur le garde-fou de la station du métro Gabriel Péri. Le photographe soucieux de constituer une archive du mouvement de résistance à la réforme des retraites durant le premier semestre 2023 à Lyon n’était pas encore le sociologue qui a entamé la rédaction du présent texte ; inversement, le sociologue n’est plus tout à fait le photographe qui lui a fourni son matériau ! S’il s’agit du même individu dans les deux cas, le photographe-sociologue ou sociologue-photographe ne s’est affirmé que chemin faisant. Autant dire que, le photographe-sociologue n’observe pas la réalité pour la photographier ensuite ; il photographie la réalité pour l’observer et l’analyser par la suite (Lallier, 2011 à propos du « Je filme pour observer » de F. Wiseman), dans un mouvement dialectique d’allers-retours entre les documents sélectionnés et le texte élaboré. La photo se donne alors pour ce qu’elle est entre ses mains : un matériau semblable aux matériaux que le sociologue recueille par d’autres moyens – lors d’entretiens ou de séquences d’observation notamment – et susceptible d’être traité de la même manière. La multiplication des prises de vue prend fin à partir du moment où, comme pour l’entretien, un effet de saturation se manifeste et donne à entendre au sociologue-photographe qu’il a rassemblé l’information nécessaire, toute nouvelle photo n’ajoutant rien à celles déjà prises/sélectionnées.

29L’objectif n’est donc pas de rendre accessible le discours sociologique par l’image ou la photographie mais de travailler un matériau en lien avec le propos qui pourra être tenu. Les instantanés de la manifestation ne parlent pas d’emblée quand bien même ils reproduisent quelque chose qui a été, à un moment précis et en un lieu donné (Barthes, 1980), comme en témoigne, a minima, la légende qui l’accompagne. L’image est aussi peu loquace que la réalité dupliquée et le photographe-sociologue se heurte à l’une comme à l’autre. Si la sélection procède sans doute de l’effet produit par telle photo sur celui qui l’observe – cet effet que Barthes désigne par le mot latin punctum (ibid.) –, c’est à partir du moment où il organise celles qu’il a retenues, en vue d’élaborer un récit particulier qu’il peut les faire parler et avancer une interprétation du corpus de photos sélectionnées. Le photographe-sociologue – à l’instar du vidéaste ou du cinéaste qui monte son propre film – s’inscrit dans une démarche qui lui rend l’initiative du discours proposé sur les photos qu’il a réalisées. Les différences enregistrées entre les banderoles, les pancartes ou les graffitis lui permettent ainsi de donner à voir et à entendre quelque chose qui a trait, dans notre cas, à la force des manifestations du premier semestre de l’année 2023, à Lyon en l’occurrence : cette inquiétude profonde qui reliait les manifestants entre eux, par-delà les modes d’expression des groupes et/ou des individus, tous préoccupés du sens d’une vie sous l’emprise croissante du travail dans les sociétés post-industrielles actuelles.

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Bibliographie

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Barthes R. (1980), La chambre claire, Paris, Gallimard, coll. « Cahiers du cinéma Gallimard ».

Bourdieu P. (dir.) (1965), Un art moyen, essai sur les usages sociaux de la photographie, Paris, Éditions de minuit.

Champagne P. (1984), « La manifestation. La production de l’événement politique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 52-53, pp. 19-41.

Derrida J. (2003 [1967]), La voix et le phénomène, Paris, PUF.

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Filleule O. & Tatakowsky D. (2013), La manifestation, 2e édition, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques.

Lallier C. (2011), « L’observation filmante, une catégorie de l’enquête ethnographique », L’Homme, [En ligne], n°198-199 ; mis en ligne le 18 juillet 2013, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://journals.openedition.org/lhomme/22718

Le Gall B., Cizeau T. & Traverse L. (2019), Justice et respect, Le soulèvement des Gilets jaunes, Paris, Syllepse.

Le Gall B. & Pouly M.-P. (2022), « L’œil sociologique. Transmettre l’analyse sociologique par le documentaire photographique. Entretien avec Brice Le Gall », Biens symboliques, Symbolic Goods, [En ligne], no 10 ; mis en ligne le 01 septembre 2022, consulté le 20 janvier 2025. URL : https://journals.openedition.org/bssg/1124

Monchatre S. & Têtu M.-T. (2022), « Du dos des gilets à l’action protestataire : affirmer la citoyenneté », in Béroud S., Dufresne A., Gobin C. &  Zune M., Sur le terrain avec les Gilets jaunes, Presses universitaires de Lyon, p. 189-207.

Poivert M. (2015), Brève histoire de la photographie, Paris, Éditions Hazan.

Saussure F. (1972), Cours de linguistique générale, Paris, Payot.

Terrenoire J.-P. (1985), « Images et sciences sociales : l’objet et l’outil », Revue française de sociologie, n°26-3, p. 509-527.

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Notes

1 Ces gravures étaient généralement réalisées à partir de photographies. Les techniques d’impression de l’époque ne permettaient pas l’impression simultanée des photographies et du texte sur les pages des journaux.

2 Même si elle est soumise à une obligation de déclaration préalable imposée par le décret-loi du 23 octobre 1935, la manifestation relève depuis lors d’un droit consenti et constitue une liberté de fait.

3 À ce propos, voir l’article précédent, de Laurent Gayer.

4 Dans le cas de la photographie : qui refuse tout effet de style pour privilégier la clarté du propos.

5 Qui nous avait accordé un long entretien dans le numéro 2 de la revue.

6 Le 13 avril 2023, il était au Mans et a donc photographié ce jour-là les manifestants du Mans !

7 Prises à l’aide d’appareils numériques, il s’agit donc de photos enregistrées en noir et blanc par le capteur électronique mais délivrées en couleurs par l’intermédiaire d’une matrice colorée, en général une matrice de Bayer, au risque d’une légère perte de netteté de la photo. Il aurait donc fallu convertir l’image en couleurs pour retrouver une image en noir et blanc. Pour un autre point de vue sur l’usage du noir et blanc dans la photographie de manifestations, voir ici même l’entretien avec Serge d’Ignazio.

8 Voir l’article de Sylvie Monchatre et Marie-Thérèse Têtu (2022) sur les dos des Gilets jaunes.

9 Nous renvoyons sur ce point au livre de Philippe Artières (2013), consacré à la banderole comme objet politique.

10 La question n’est pas, ici d’apprécier la pertinence du propos bien que les syndicats ou partis de gauche accusent régulièrement – et à juste titre nous semble-t-il – l’État libéral de « casser » les services publics et le système des retraites par répartition.

11 Un tel travail pourrait faire l’objet d’un autre article sur la manifestation !

12 Brice Le Gall en témoigne dans un entretien avec Marie-Pierre Pouly (2022) au sujet de l’ouvrage qu’il a publié avec Tibault Cizeau et Lou Traverse sur les Gilets jaunes (2019).

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Table des illustrations

Titre Photo 1. Lyon, 19 janvier 2023, banderole de tête, à un moment d’arrêt
Crédits © Henri Eckert
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Titre Photo 2. Lyon, 16 février 2023, banderole de tête
Crédits © Henri Eckert
URL http://journals.openedition.org/itti/docannexe/image/5579/img-2.jpg
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Titre Photo 3. Lyon, 7 mars 2023, banderole de tête, fin de manif après des incidents violents
Crédits © Henri Eckert
URL http://journals.openedition.org/itti/docannexe/image/5579/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 708k
Titre Photo 4. Lyon, 19 janvier 2023, banderole d’une union locale de la CGT, à un moment d’arrêt
Crédits © Henri Eckert
URL http://journals.openedition.org/itti/docannexe/image/5579/img-4.jpg
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Titre Photo 5. Lyon, 19 janvier 2023, banderole du syndicat lyonnais de l’énergie, CGT, à un moment d’arrêt
Crédits © Henri Eckert
URL http://journals.openedition.org/itti/docannexe/image/5579/img-5.jpg
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Titre Photo 6. Lyon, 31 janvier 2023, début du cortège de la CFDT
Crédits © Henri Eckert
URL http://journals.openedition.org/itti/docannexe/image/5579/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 1,1M
Titre Photo 7. Lyon, 16 février 2023, cortège de la CFDT, nouvelle banderole principale
Crédits © Henri Eckert
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Titre Photo 8. Lyon, 15 mars 2032 : On n’en a pas fini
Crédits © Henri Eckert
URL http://journals.openedition.org/itti/docannexe/image/5579/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 876k
Titre Photo 9. Lyon, 22 mars 2023 : Jusqu’au retrait
Crédits © Henri Eckert
URL http://journals.openedition.org/itti/docannexe/image/5579/img-9.jpg
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Titre Photo 10. Lyon, 23 mars 2023 : Le retrait un point c’est tout !
Crédits © Henri Eckert
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Titre Photo 11. Lyon, 6 avril 2023 : On n’en a pas fini
Crédits © Henri Eckert
URL http://journals.openedition.org/itti/docannexe/image/5579/img-11.jpg
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Titre Photo 12. Lyon, 11 février 2023 : Non à la retraite des morts
Crédits © Henri Eckert
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Titre Photo 13. Lyon, 7 février 2023 : Nous voulons le meilleur de la vie
Crédits © Henri Eckert
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Titre Photo 14. Lyon, 7 février 2023 : Cortège du Black bloc
Crédits © Henri Eckert
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Titre Photo 15. Lyon, 7 mars 2023 : Cortège du Black bloc, à l’arrêt à un carrefour
Crédits © Henri Eckert
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Titre Photo 16. Lyon, 7 mars 2023 : La police vient de s’emparer d’une banderole du Black bloc
Crédits © Henri Eckert
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Titre Photo 17. Lyon, 11 février 2023 : Le Black bloc s’adresse aux « forces de l’ordre »
Crédits © Henri Eckert
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Titre Photo 18. Lyon, 19 janvier 2023 : Graffiti réalisé durant la manifestation contre la réforme des retraites
Crédits © Henri Eckert
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Fichier image/jpeg, 811k
Titre Photo 19. Lyon, 19 janvier 2023 : Pancarte portée durant la manifestation contre la réforme des retraites
Crédits © Henri Eckert
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Titre Photo 20. Lyon, 31 janvier 2023 : Pancarte brandie au bout d’une perche, contre la réforme des retraites
Crédits © Henri Eckert
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Titre Photo 21. Lyon, 31 janvier 2023 : Pancarte contre la réforme des retraites accrochée au cou
Crédits © Henri Eckert
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Titre Photo 22. Lyon, 31 janvier 2023 : Pour Mario, la retraite à 64 ans c’est non !
Crédits © Henri Eckert
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Titre Photo 23. Lyon, 7 février 2023 : Travailler jusqu’au bout de la vie ?
Crédits © Henri Eckert
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Titre Photo 24. Lyon, 11 mars 2023 : Mort au travail
Crédits © Henri Eckert
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Titre Photo 25. Lyon 31 janvier : Les égoutiers…
Crédits © Henri Eckert
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Fichier image/jpeg, 2,0M
Titre Photo 26. Lyon 31 janvier : Les travailleurs du BTP…
Crédits © Henri Eckert
URL http://journals.openedition.org/itti/docannexe/image/5579/img-26.jpg
Fichier image/jpeg, 1,0M
Titre Photo 27. Lyon, 15 mars 2023 : Partir à la retraite plus tard…
Crédits © Henri Eckert
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Titre Photo 28. Lyon, 15 mars 2023 : On ne se laissera pas voler…
Crédits © Henri Eckert
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Titre Photo 29. Lyon, le 19 janvier 2023 : Le travail contesté…
Crédits © Henri Eckert
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Titre Photo 30. Lyon, 15 mars 2023 : Travailler, consommer…
Crédits © Henri Eckert
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Fichier image/jpeg, 1,4M
Titre Photo 31. Lyon, le 28 mars 2023 : On veut pas de vos…
Crédits © Henri Eckert
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Fichier image/jpeg, 611k
Titre Photo 32. Lyon, le 28 mars 2023 : Société tu m’auras pas…
Crédits © Henri Eckert
URL http://journals.openedition.org/itti/docannexe/image/5579/img-32.jpg
Fichier image/jpeg, 781k
Titre Photo 33. Lyon, le 28 mars 2023 : Travailler moins…
Crédits © Henri Eckert
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Fichier image/jpeg, 1,3M
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Pour citer cet article

Référence électronique

Henri Eckert, « Instantanés de la « manif »… »Images du travail, travail des images [En ligne], 18 | 2025, mis en ligne le 03 février 2025, consulté le 16 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/itti/5579 ; DOI : https://doi.org/10.4000/138qy

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Auteur

Henri Eckert

Henri Eckert est professeur émérite de sociologie à l’université de Poitiers et membre du comité de rédaction d’Images du travail, travail des images. Il continue de mener des recherches au sein du Groupe de recherches sociologiques sur les sociétés contemporaines (GRESCO) de l’université de Poitiers. Il s’intéresse plus particulièrement au devenir des classes populaires et à leur représentation. Il s’intéresse ainsi à l’analyse des images, leur production et leur utilisation dans le champ de la sociologie et des pratiques sociales en général. Dernière publication : La communauté disloquée, essai sur le déclin d’une vallée industrielle, PUR, 2023.

henri.eckert@univ-poitiers.fr

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