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Dossier — Médiateurs et médiatrices globalisé·e·s

Médiateurs, médiatrices

Lignes de réflexions anthropologiques
Kassia Aleksic et Fatiha Kaouès
p. 9-19
Traduction(s) :
Globalized mediators  [en]

Texte intégral

1Notre dossier porte sur les médiateurs et médiatrices de la globalisation. Il est le fruit d’une réflexion collective née à la suite du colloque international « Globalisations et circulations des idées, des savoirs et des normes », qu’organisait la Fédération Sciences Sociales Sud en septembre 2019 à l’université Paris Descartes, avec pour objectif de questionner à frais nouveaux les études de la globalisation, en s’appuyant sur les concepts de circulations des idées, des normes et des savoirs et en portant la focale sur les acteurs·trices, dans une perspective décentrée, à distance des approches en termes de transfert et d’uniformisation, et qui dépasse « le seul face à face entre hégémonies et subalternisations3 ». Nous avons voulu poursuivre ce propos en nous attachant à la manière dont ces circulations s’incarnent, se matérialisent et se symbolisent dans ce que nous avons appelé des « médiateurs et médiatrices » de la globalisation. Pour saisir cette notion plurivoque, notre dossier s’intéresse à des figures agissant aux interconnexions de mondes sociaux variés, en abordant des domaines aussi divers que le religieux et le politique, le développement, l’associatif et le militantisme, ainsi que l’anthropologie traversée par les débats brûlants que suscitent aujourd’hui les questions postcoloniales. Riches de leur hétérogénéité et à travers leurs multiples facettes, les différents médiateur·trices que nous présentons ont en commun de participer à la construction d’identités et d’imaginaires collectifs tout en se faisant l’écho d’injonctions morales ou normatives plus ou moins impératives, générant des tensions politiques et idéologiques parfois vives dans le contexte globalisé contemporain.

2Les médiateurs et médiatrices évoqué·es dans ce dossier ont été saisis à partir de plusieurs niveaux d’analyse et en considération de multiples registres du réel. D’une part, la notion désigne un individu dont les sphères d’actions évoluent entre les marges et les centres, en tissant des liens entre une multiplicité d’acteurs politiques, économiques et moraux et de groupes sociaux, dont ils·elles tirent leur épingle du jeu, tout en donnant à voir des positions diverses, parfois opposées. Nous étions influencées par la notion d’« entrepreneur de morale » forgée par le sociologue Howard S. Becker, en référence aux individus qui créent et appliquent des normes, dans l’objectif de reformer celles en vigueur, tout en concevant la catégorie en un sens plus large, pour mettre au jour la diversité des logiques d’action et des dynamiques en jeu, sans préjuger de leur solidité ou de leur labilité. Mais d’autre part, au-delà de ses figures matérialisées, la notion renvoie également à une ligne de réflexions anthropologiques s’étant élaborée dans le sillage de Gérard Althabe avec pour particularité notable d’explorer, en premier lieu, ce que les médiateurs et médiatrices produisent au niveau des imaginaires, des symboliques et des idéologies. Arrêtons-nous ici sur cette ligne de réflexions qui, ayant surtout surgi dans les coulisses de notre numéro, dans les débats et échanges qui l’ont accompagné, inscrit nos différentes contributions dans une pensée pratique d’anthropologie politique qui se développe depuis plus de cinquante ans.

Une notion matrice d’une ligne de réflexions anthropologiques

3Tout au long de ses différentes enquêtes, Gérard Althabe a décliné le concept de « médiateur » sous « différentes formes qui ne se confondent surtout pas, tout en se situant sur un même socle théorique » (Traimond, 2005) : médiateur personnalisé, réel, précaire, imaginaire, symbolique, mais aussi acteur idéologique positif et négatif ; concepts ayant été eux-mêmes repris, réinventés, et réactualisés par une pluralité d’autres anthropologues. Sans doute pour son caractère transformationnel et quelque peu intangible, peu d’analyses se sont attachées à décrire la centralité que ce concept occupe dans la « démarche » de Gérard Althabe : l’articulation entre des situations microlocales et des cadres d’analyse globalisés ; la domination et ses modalités de dépassement ; l’approche réflexive et l’analyse critique. Aussi, ne s’étant jamais théorisé en dehors des réflexions accompagnant ses cas d’application concrète, ce concept présente non seulement l’intérêt d’emblématiser ce qui constituait la « démarche » d’Althabe — le souci de construire le projet de connaissances anthropologiques au plus proche des logiques du terrain. Il permet également de donner sens à ce concept tel que s’en sont saisis une pluralité d’anthropologues ayant dialogué de manière plus ou moins étroite avec Althabe, tout en prenant toujours la liberté de se mettre au défi de ce que le terrain leur apprenait. Autrement dit, ce concept de « médiateur » apparaît comme la matrice d’une ligne de réflexions anthropologiques qui réactualisent la « démarche » d’Althabe de manière ouverte, plurielle, dialogique et contemporaine. Nous souhaitons ici offrir à nos lecteurs·trices un panorama de cette pensée anthropologique, en nous attachant de manière non exhaustive à plusieurs exemples d’enquêtes s’étant saisies de cette notion, selon trois catégories d’usages : médiateurs imaginaires ; symboliques et (médiatrices) idéologiques.

Médiateurs imaginaires, dominations et processus de dépassement

4Le premier exemple fondateur est sans doute l’ouvrage pionnier de Gérard Althabe Oppression et libération dans l’imaginaire (1969/2002), qui posa une « bombe » à Madagascar au moment de sa publication (Selim, 2020). Décrit par Janine Ramamonjisoa (2005) comme le premier chercheur à avoir, à Madagascar, dénoncé la violence subie par la population, et mis au jour une « logique de vaincus », Althabe a montré avec force comment le pouvoir colonial continuait à dominer, de l’extérieur, les configurations politiques et sociales de Madagascar suite au retrait des autorités françaises et à son indépendance en 1960. Son originalité a été de montrer comment la « décolonisation conservatrice » (Bazin, 2005) prenait sens dans l’univers des villageois qu’il a décrypté à travers une série de rapports avec différents « médiateurs », en faisant la distinction entre les « médiateurs réels » et les « médiateurs imaginaires ». On lui doit notamment d’avoir posé la question de la domination et de ses modalités de dépassement au cœur de ses réflexions sur les « médiateurs », en explorant comment s’effectue le passage de la sphère réelle, marquée par la « dichotomie du pouvoir » à une « situation imaginaire qui devient le cadre de communication entre eux et dont ils contrôlent les filières » (Althabe, 2002 : 205). Ainsi, dans son enquête à Madagascar, une importante partie de l’analyse s’est consacrée aux cultes aux esprits-tromba qui ouvraient des scènes imaginaires. Les fonctionnaires — agents du pouvoir — étaient investis de nouveaux rôles, dans des scénarios où les villageois réinventaient l’histoire coloniale, « idéalisant une autonomie qui n’a jamais existé et signifiait au contraire un joug » (Selim, 2020).

5Dans cette même ligne de réflexions, citons les deux enquêtes de Monique Selim (1996 ; 1997) au Laos et de Pascale Absi (2002 ; 2003) en Bolivie. Respectivement menées au cours des années 90 en prenant pour objet le travail, elles ont mis au jour comment les bouleversements politiques de la globalisation s’étaient traduits dans des médiations imaginaires. Au Laos, Monique Selim a exploré, de pair avec Bernard Hours, comment le « monde des génies » avait historiquement contribué à édifier un « univers mimétique et parallèle de la société » où s’exprimait, dans le présent de l’enquête, l’opposition à l’État-parti et la volonté d’adhérer à l’ouverture au libre marché, ainsi qu’à ses promesses chimériques de libertés démocratiques et sexuelles. Retournant sur son terrain laotien plus de vingt ans plus tard, Monique Selim (2019) constatait comment les cultes continuaient à révéler les transformations du capitalisme et ses économies libidinales. Par ailleurs, Pascale Absi (2003) a décrit, suite à sa longue enquête de thèse sur le travail dans les mines à Potosi, comment « la figure du diable de la mine et les pactes qu’il suscite en même temps qu’il les sanctionne, jouent ici le rôle de “médiateur imaginaire” qui permet de dépasser, en lui redonnant du sens, un réel marqué par l’expansion du libéralisme marchand et son cortège de nouvelles contraintes et dominations » (id. : 216). Faisant directement écho à l’enquête de Monique Selim — mais aussi à celle de Laurent Bazin (1998) conduite dans une entreprise en Côte d’Ivoire — Pascale Absi a fait dialoguer l’univers du travail avec le champ des imaginaires pour mettre au jour la totalité des rapports sociaux à partir des logiques individuelles et collectives propres au terrain.

6Ces différents exemples présentent également l’intérêt de s’être attachés à un domaine traditionnellement réservé à l’anthropologie culturelle — les cultes, le religieux et les médiations imaginaires — pour dépasser l’idée d’une sphère qui existerait repliée sur elle‐même, déconnectée des enjeux de domination qui traversent l’ensemble de la société. En insistant sur une « série de rapports entre acteurs et une série de médiations » ils rendent compte d’une même démarche anthropologique qui, à rebours de toute réification identitaire, considère l’objet d’enquête comme un champ d’échanges qui prend sens au vu d’enjeux politiques globalisés (ayant trait au néocolonialisme, à la globalisation du capitalisme, à la destitution du communisme, ou encore au patriarcat).

Médiateurs symboliques : enjeux politiques et réflexibilités critiques

7Une autre articulation du concept a résidé dans la notion du « médiateur symbolique », en référence « aux gens qui sont exclus des échanges et qui sont rattachés à une figure extérieure. La construction du médiateur symbolique engendre le champ des échanges, c’est le modèle classique de la communication par tiers exclu » (Althabe, 2001 : 16). D’une pertinence toujours très actuelle, Althabe et Selim l’ont utilisé dès le milieu des années 1980 — suite à une enquête d’ethnologie urbaine menée en cités HLM (Selim, 1979) — pour montrer comment des rapports de différenciation et de hiérarchisation sociales s’édifiaient sur des constructions fantomatiques d’identités ethniques produisant l’autre en étranger dans un contexte français de montée xénophobe (Althabe & Selim, 1985 ; Althabe, 1985 ; Althabe, Selim & Douville 2003). Elle a également permis de désigner comment le terrain produisait l’anthropologue dans la figure de l’étranger, ou du « tiers exclu » (Hours, 2005), établissant la nécessité d’analyser les tensions traversant la position de l’anthropologue sur le terrain, qui sont révélatrices du champ d’échanges dans lequel il·elle se trouve impliqué·e (Althabe & Hernandez, 2004 ; Hernandez, 2001). Cette réflexibilité critique parcourt non seulement les différents terrains d’Althabe — à Madagascar, au Congo-Brazaville (1997), en cités HLM (1993a ; 1993b), ou encore en Roumanie (Althabe & Mungiu-Pippidi, 2004) ; elle apparaît également comme la matrice d’une ligne d’anthropologie politique s’étant effectuée dans une grande diversité de terrains interconnectant les enjeux du « Nord » et du « Sud ».

8Citons l’exemple de Laurent Bazin (1998) qui, lors de son enquête dans une entreprise en Côte d’Ivoire, a décrit l’hostilité dont il a fait l’objet, assigné au rôle de « Français » et de « blanc », jouant ainsi le rôle du médiateur d’un « conflit symbolique » Europe/Afrique. Dans le contexte actuel où de nouvelles normes éthiques de recherche insistent sur la co-production des savoirs entre enquêteurs·trices et enquêté·es, il semble particulièrement important de rappeler que le caractère politique de l’anthropologie tient précisément aux processus d’altérisation, de différenciation, d’inclusion et d’exclusion qui marquent la position du chercheur sur le terrain. Plus encore, il ne faudrait pas confondre ces productions identitaires, qui naissent des échanges intersubjectifs du terrain, avec une tendance s’étant généralisée à l’heure actuelle et qui consiste à établir, dès le début de l’enquête, l’appartenance sociale (de sexe, classe, race, etc.) qui marque la position du chercheur, souvent dans un rapport de domination par rapport à l’« objet » d’enquête. En effet, un enjeu majeur du projet anthropologique est de considérer comment de nouvelles identités sont attribuées à l’anthropologue dans l’événement de l’enquête qui, loin de renvoyer à sa personne, ouvrent aux rapports de pouvoir qui inscrivent le champ d’échanges dans un cadre globalisé.

  • 4 Voir Monique Selim (1996) en référence à Maurice Godelier (1995).

9Soulignons enfin que cette ligne de réflexions n’a cessé de souligner le double mouvement de domination et de dépassement qui constitue le présent de l’enquête. Par son écoute, l’anthropologue ouvre également un espace de communication où se créent des « liens émergeants » permettant d’adresser tout en déplaçant les dominations symboliques (Fava 2005 ; 2015). Citons encore l’exemple de Bernard Hours (2002 ; 1986) qui, dans le cadre d’une enquête sur la « santé publique » au Cameroun, décrivait une situation où « la plainte s’adresse au médecin. Dès lors que l’anthropologue n’apparaît plus comme un médecin du fait de la nature de son écoute, la durée de celle-ci, son discours non prescriptif, accusations et protestations se télescopent : elles sont adressées à un médiateur imaginaire, tiers absent, représenté par l’anthropologue » (2002 : 77). Constatons ici la frontière poreuse entre les notions de médiateurs imaginaires, tiers absents, tiers exclus et médiateurs symboliques — l’on aurait, à ce titre, tort de figer une différence entre ces différents concepts, qui se saisissent sur le terrain comme un continuum4.

Médiatrices idéologiques, héroïnes globalisées : le terrain de la globalisation

10Pour clore ce panorama, nous souhaitons enfin soulever un troisième usage de la notion de « médiateurs » : il s’agit de la manière dont ils sont saisis comme des « acteurs idéologiques positifs » ou des « acteurs idéologiques négatifs » qui participent à des processus d’inclusion et d’exclusion, de légitimation et de dé-légitimation dans le champ social. L’anthropologie politique de la globalisation développée par Bernard Hours et Monique Selim (2010 ; 2020) a particulièrement contribué à réactualiser cette idée, en se proposant de décrypter la pluralité des normes qui circulent à l’échelle globalisée à travers une pluralité d’acteurs et d’actrices idéologiques et moraux, variant de figures personnalisées à des axiomes plus abstraits. Mentionnons le couple islam/occident, la notion de « terrorisme », ainsi qu’une multitude d’images victimaires et de constructions identitaires qui dépolitisent la pauvreté, les violences, et les inégalités à travers une symbolique très propice au marché des ONG et à la moralisation du capitalisme. Aussi, tandis que le neutre masculin a prédominé les analyses, les travaux de Monique Selim ont mis en lumière comment les femmes sont devenues des médiatrices absolument centrales dans la construction de cet univers globalisé qui s’impose selon des normes patriarcales et des schèmes dualistes, en glorifiant les femmes, promouvant leur libération tout en les prenant en otage de compétitions ou d’affrontements inter et intra étatiques (Querrien & Selim, 2015). Plus encore, Monique Selim a inventé la notion d’« héroïnes globalisées » pour décrypter comment les figures féminines sont mobilisées dans des processus de légitimation — idéologique et morale — de la globalisation capitaliste. Elle s’appuie sur des exemples de médiatrices personnifiées telles que Talisma Nasreen qui « a inauguré, dans les années quatre-vingt, à partir du Bangladesh, cette ligne de figures », et dont « Malala, du Pakistan, est l’une des dernières représentantes en 2015 » (Selim, 2016).

11Cette anthropologie s’inscrit dans la droite ligne de Gérard Althabe, selon lequel l’« univers de communication » a pour principe même le « dépassement de cette sphère dans une sphère plus vaste qui englobe la précédente et qui se crée dans le partage d’un médiateur personnalisé plus abstrait, dont les relations englobent un nombre plus important d’acteurs » (Althabe, 1968 : 154). Leur originalité a été de prendre pour terrain la globalisation pour saisir les enjeux idéologiques qui se jouent à travers une vaste panoplie de médiateurs et médiatrices, des plus personnifiés aux plus abstraits. C’est aussi dans cette ligne que s’inscrit notre dossier qui s’attache à une pluralité de cas de médiateurs et médiatrices pour penser les changements politiques et idéologiques du contemporain.

Les contributions du dossier 

12Nous transportant successivement du Maroc, au Cameroun et en Indonésie, en passant par le Liban, la Suède, les États-Unis et la France, notre dossier rend compte de trois thématiques : la disparition de la « gauche » dans les modalités subjectives de l’engagement ; le champ religieux comme domaine de reconfiguration du politique ; et les débats contemporains que soulèvent les questions postcoloniales.

13Mohammed Benidir décrit comment les militants de gauche sont devenus des acteurs du développement à partir de son enquête dans la région marginalisée de Drâa-Tafilalet, dans un « Maroc inutile ». Les trajectoires décrites rendent compte de nouvelles formes d’engagement nécessitant l’apprentissage d’une technicité particulière pour permettre l’entrée en courtage du développement. Ces médiateurs ou agents de la globalisation sont ainsi impliqués dans de multiples recompositions identitaires, professionnelles et sociales qui les positionnent au cœur des contradictions de la rhétorique développementaliste adoptée par l’État. De son côté, Gérard Amougou s’attache à l’engagement entrepreneurial de l’acteur camerounais Bernard Njonga dans le mouvement paysan, à partir de son expérience biographique qui s’est heurtée aux transformations de l’histoire contemporaine nationale et globalisée. Son analyse montre comment, malgré des succès ponctuels, son parcours s’est heurté aux offensives néolibérales ainsi qu’aux interférences politiques d’un État décrit comme « stationnaire » ; échecs qu’il a néanmoins dépassés par ses efforts de subjectivation qui rendent compte de la cohérence d’un parcours.

14En Indonésie, dans le contexte du tournant autoritaire contemporain, Gabriel Facal s’intéresse au cas d’un médiateur, qu’il propose de conceptualiser comme un « initiateur politique », pour rendre compte de l’émergence d’un oligarque politique, nommé Alip. Déployant son influence aux croisements du philanthropisme islamiste, des médias, des partis politiques et des mouvements sociaux conservateurs, Alip donne à voir un pragmatisme vidé de toute idéologie par lequel s’impose son pouvoir à une position carrefour entre intermédiation et capitalisation. En revisitant les travaux d’Olivier Nay et Andy Smith (2002) sur les intermédiaires en politique, son article illustre de façon exemplaire la constitution d’espaces sociopolitiques interstitiels, impliqués dans de multiples médiations.

15Dans le domaine religieux aussi, cette reconfiguration des espaces identitaires déterritorialisés rend possibles de nouvelles formes de mobilité et d’expansion de l’imaginaire dans de larges sphères (Meintel & LeBlanc, 2003). Dès lors, l’univers religieux se prête particulièrement à l’étude des figures médiatrices globalisées, particulièrement dans l’univers évangélique, une mouvance du protestantisme qui se caractérise par son développement transnational. En l’espèce, dans l’article qu’ils ont co-rédigé, Fatiha Kaouès et Émir Mahieddin centrent leur propos sur certaines figures transnationales (pasteurs itinérants et missionnaires) observées depuis plusieurs sites du vaste réseau dans lequel elles inscrivent leur activité religieuse. Aux observations sur les évangéliques menées par Fatiha Kaouès au Liban et aux États-Unis s’ajoutent ici les observations ethnographiques menées par Émir Mahieddin sur des réseaux similaires en Suède. Leurs organisations sont des lieux de production et de gestion d’opinions à forte dimension émotionnelle.

16Kaoutar Harchi, interrogée par Fatiha Kaouès ouvre le troisième pan de notre dossier, en proposant quelques réflexions sur d’âpres débats qui traversent les sociétés contemporaines, autour des notions de colonialité, d’identité et de reconnaissance. Se situant elle-même à l’interface entre divers mondes, l’écrivaine et sociologue s’attache à questionner une pluralité de postures et d’enjeux entourant les trajectoires de médiateurs et médiatrices globalisé.e.s qui gravitent dans les mondes de la littérature.

17Les contributions respectives de Monique Selim et Bernard Hours se saisissent enfin de la notion de « médiateur » à partir de leurs expériences anthropologiques qui mettent au jour comment la discipline permet de dépasser certaines crispations identitaires et rigidifications intellectuelles contemporaines. Adressant un contexte polémique où le travail des anthropologues passés se trouve remis en cause par les critiques postcoloniales, Bernard Hours réfléchit aux influences que certains « grands maîtres » de la discipline ont eues dans sa formation et ses pérégrinations anthropologiques. Il rend compte de la nécessité de ne pas supprimer (« cancel ») la mémoire de ceux qui ont joué le rôle de médiateurs, rappelant qu’à « chaque époque son sujet ». Devenant à son tour un passeur entre deux mondes historiques, Bernard Hours permet de dépasser la violence du présent par sa réflexion sur le rôle symbolique des statuts. De son côté, Monique Selim s’attache à élucider les alliances et couples épistémologiques qu’elle a créés au cours de ses enquêtes de terrain avec différentes « médiatrices ». Remettant radicalement en cause le vocabulaire colonial qui assigne les partenaires du terrain au rôle d’« informateur », et rappelant les échanges relationnels par lesquels se crée l’enquête, elle offre une contribution inestimable pour repenser la co-construction des savoirs sur le terrain anthropologique.

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Notes

3 https://federation3s.com/am_event/globalisations-et-circulations-des-idees-des-savoirs-et-des-normes/

4 Voir Monique Selim (1996) en référence à Maurice Godelier (1995).

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Pour citer cet article

Référence papier

Kassia Aleksic et Fatiha Kaouès, « Médiateurs, médiatrices »Journal des anthropologues, 166-167 | 2021, 9-19.

Référence électronique

Kassia Aleksic et Fatiha Kaouès, « Médiateurs, médiatrices »Journal des anthropologues [En ligne], 166-167 | 2021, mis en ligne le 03 décembre 2021, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/jda/11032 ; DOI : https://doi.org/10.4000/jda.11032

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Auteurs

Kassia Aleksic

CESSMA, UMR 245 IRD, Université de Paris, Inalco
Courriel : kassiaaleksic@gmail.com

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Fatiha Kaouès

CNRS – GSRL (Laboratoire groupe sociétés, religions, laïcité)
Courriel : fkaoues@yahoo.com

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