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Dossier coordonné par Lucie Gélineau, Agnès Jeanjean, Yves Lacascade, Nadine Wanono

Au sein des SHS comme d’autres disciplines académiques, la question de la participation et plus particulièrement celle des « recherches participatives » a le vent en poupe. En témoigne notamment la création en 2011 d’une « revue de sciences sociales sur la démocratie et la citoyenneté » au titre éponyme (orthographié au pluriel). Les coordinateurs du numéro 32 de celle-ci constataient cependant en 2022 un recul constant (au sein de ces nouvelles pratiques de recherche) des « épistémologies radicales » fortement associées dès leur apparition dans les années 1970 à des méthodologies valorisant la pluralité des savoirs, l’égale reconnaissance des modalités de production de connaissances et leur mise en dialogue.

Ce constat ainsi que celui de l’injonction toujours plus grande faite aux chercheur.e.s non pas seulement de reconnaître en tant que sujets ceux et celles que l’enquête a longtemps relégué.e.s au rang d’objets, mais de renouveler profondément leurs méthodes en valorisant la participation directe à l’enquête de nouveaux acteurs, nous amènent à tenter de documenter à notre tour les effets, en anthropologie notamment, d’un éventuel « tournant participatif » de la recherche, en proposant d’explorer un certain nombre d’« angles morts » en partie négligés par celles et ceux qui s’en font aujourd’hui les promoteurs. Le dossier que nous souhaitons constituer sur ce thème se déploiera ainsi selon trois axes :

1. Dans le premier d’entre eux, nous attendons que nous parviennent des éléments de réponse aux questions suivantes : dans quelle mesure la question de la participation est-elle liée au développement des sciences sociales ou humaines appliquées ? Les contributions portant sur des exemples provenant du Québec et des mondes anglo-saxons sont particulièrement attendues car elles nous semblent utiles à observer et à analyser, notamment du fait des tensions qui les traversent : leurs visées sont parfois instrumentalisées, parfois émancipatrices, formulées parfois à la demande des États eux-mêmes, ou de porteurs de projets, de parties prenantes ou de premiers et premières concernées. Qu’y met en lumière l’utilisation des approches participatives par l’anthropologie appliquée sur la nature des savoirs qui s’y déploient et s’y rencontrent, sur la place qu’y tiennent les savoirs engagés, voire sur le rapport nature-culture qui nous amène à nous interroger sur qui est à même de participer au « dialogue du Monde » (Eduardo Kohn) ? Que révèle-t-elle sur la notion de « cultures de recherche », sur la question des frontières entre ces cultures et sur celle du rapport entre dialogue des savoirs et production de connaissances ? Que dit-elle de la nature et de la portée des approches participatives, de la nécessité ou non de la polyvocalité, et de l’attention à porter à la transmission dans une perspective d’anthropologie publique ?

2. Cette montée en puissance de l’« idéologie participative » - qui s’exprime aujourd’hui notamment au travers du très gaullien « capitalisme des parties prenantes » - ne recèle-t-elle pas cependant en elle-même le risque d’une déprofessionnalisation des praticien.ne.s de la recherche ? Et à travers la montée en puissance de cette idéologie, n’est-ce pas la nécessité et la légitimité de l’existence même des disciplines et de celles et ceux qui se sont professionnalisé.e.s au sein de celles-ci qui se trouve insidieusement remise en question ? L’idéal affiché ou revendiqué de démocratisation non seulement de l’accès aux, mais de la production des, savoirs envisagés sous l’angle de leur hétérogénéité, de leur multiplicité et de leur égale valeur recélant en réalité un projet - par ailleurs parfaitement perceptible à travers, par exemple, les réformes successives de l’université - visant à affaiblir et à délégitimer les SHS : la science « faite par tous et toutes » n’ayant plus besoin (exclusivement) de professionnel.le.s pour s’accomplir, se renouveler, voire… s’enseigner. En acceptant de modifier en profondeur leurs pratiques, les chercheur.e.s feraient donc, en quelque sorte (sans le savoir ?) la démonstration de leur propre inutilité. Et s’il s’agit de redynamiser la démarche critique, que penser de la pertinence d’autres stratégies (telles que l’enquête « à couvert » pratiquée éventuellement également par de non professionnel.le.s) ? À travers l’ensemble de ces questions, se dessine le deuxième axe que nous espérons documenter dans ce dossier.

3. Enfin, la question de la participation, telle qu’elle est envisagée et mise en application lors de la coproduction d’objets de savoir, interroge nos disciplines et permet d’identifier des expérimentations qui enrichissent la démarche anthropologique. Le plus souvent, les conditions de production influent directement sur les modalités de diffusion des données et, pour reprendre le constat d’Olivier Auber, « le contexte influe directement sur l’interaction en jeu ». Comment une démarche qualifiée de recherche collaborative peut-elle alors évoluer, se transformer face aux contraintes budgétaires, institutionnelles ou aux limites spatio-temporelles si ce n’est en empruntant des chemins de traverse ? S’affranchir des contraintes modifie à l’infini la forme des restitutions. Dès lors, qui sont celles et ceux qui, en s’éloignant des règles et valeurs du monde académique, œuvrent dans cette perspective, au sein d’espaces collaboratifs, communautaires qui eux-mêmes luttent pour préserver leur espace d’existence et quelles productions portent-ils.elles au jour ? Marsha Berrys (2017) dans son ouvrage intitulé Creating with Mobile Media propose la notion de « creative practice research » : la recherche sur la pratique créative. Danielle Boutet quant à elle introduit celle de « dynamique instaurative dans la recherche création » par une citation d’Érik Bordeleau qui précise que « lorsque nous mettons des mots sur notre pratique ou sur nous-mêmes, nous ne procédons pas simplement à une description objective et détachée d’une réalité : nous achevons, nous parachevons cette réalité ». D’où l’invitation que nous faisons, dans le troisième axe de cet appel, aux artistes et aux chercheurs engagé.e.s dans des formes alternatives de production de savoirs et de connaissances de rendre compte de leurs pratiques, et des dynamiques propres de leurs créations, tout en en mettant en évidence les enjeux et en décrivant les perspectives dont elles sont porteuses. En parallèle à ce numéro du JDA, nous leur ouvrirons un carnet de recherche dont nous espérons qu’il constituera la base d’une plateforme collaborative permettant de préserver les contacts internationaux établis lors de la production de ce dossier.

Résumé

L’anthropologie, comme d’ailleurs les sciences sociales dans leur ensemble et bon nombre de disciplines académiques, semble connaître un « tournant participatif ». Que faut-il penser de l’injonction qui lui est faite de transformer radicalement ses manières de faire non seulement sur le terrain mais en dehors de celui-ci ? L’anthropologie appliquée telle qu’elle se développe depuis de nombreuses années au Québec et dans les mondes anglo-saxons peut-elle nous renseigner sur les conséquences réelles de cette évolution ? Celle-ci ne risque-t-elle pas d’entraîner une déprofessionnalisation et de contribuer ainsi non à l’essor mais au déclin de l’anthropologie et des autres sciences sociales ? N’est-ce pas dans les marges et parfois dans la rencontre entre pratiques artistiques, pratiques d’intervention et SHS que se dessinent les contours d’une anthropologie certes non académique mais porteuse d’espoir pour celles et ceux qui veulent croire dans l’avenir de cette discipline ?

Telles sont quelques-unes des questions que nous souhaitons aborder dans ce dossier. Simultanément à la constitution de celui-ci, nous ouvrirons un carnet de recherche dont nous espérons qu’il constituera la base d’une plateforme collaborative permettant de préserver les contacts internationaux établis lors de la production de celui‑ci.

Modalités de soumission

Les propositions d’articles comprendront un titre, un résumé comprenant de 2 500 à 4 000 signes et 5 mots‑clés.

Elles mentionneront les noms et prénoms des auteur·e.s, leur statut et organisme de rattachement, ainsi que leur adresse électronique.

Elles seront adressées aux coordinatrices et au coordinateur de ce numéro ainsi qu’au secrétariat du JDA :

Lucie_Gelineau [at] uqar.ca
agnes.jeanjean [at] gmail.com
y.lacascade [at] gmail.com
nadinewanono [at] gmail.com

secretariat.afa.01@gmail.com

Calendrier

Date limite d’envoi des propositions d’article : 4 octobre 2023.
Réponse aux propositions : fin octobre 2023.

Remise des articles en français ou en anglais : 5 janvier 2024.

Ils ne devront pas excéder les 40 000 signes espaces compris et respecter les consignes de forme du JDA. Ils seront accompagnés d’un résumé en français et en anglais (10 lignes maximum pour chacun des résumés), de 5 mots-clés (français et anglais). Les titres seront en français et en anglais.

Parution prévue : novembre 2024.