1Au sein des SHS comme d’autres disciplines académiques, la question de la participation et plus particulièrement celle des « recherches participatives » a le vent en poupe. En témoigne notamment la création en 2011 d’une « revue de sciences sociales sur la démocratie et la citoyenneté » au titre éponyme (orthographié au pluriel). Dans le numéro 32 de celle-ci, B. Godrie, M. Juan et M. Carrel constataient cependant en 2022 un recul constant (au sein de ces nouvelles pratiques de recherche) des « épistémologies radicales » fortement associées dès leur apparition dans les années 1970 à des méthodologies valorisant la pluralité des savoirs, l’égale reconnaissance des modalités de production de connaissances et leur mise en dialogue. Ce constat ainsi que celui de l’injonction toujours plus grande faite aux chercheur·es non pas seulement de reconnaître en tant que sujets ceux et celles que l’enquête a longtemps relégué·es au rang d’objets, mais de renouveler profondément leurs méthodes en valorisant la participation directe à l’enquête de nouveaux acteur·rices, nous amènent à tenter de documenter à notre tour les effets, en anthropologie notamment, d’un éventuel « tournant participatif » de la recherche, en proposant d’explorer un certain nombre d’« angles morts » en partie négligés par celles et ceux qui s’en font aujourd’hui les promoteur·rices. Dans ce numéro du Journal des Anthropologues, nous sommes particulièrement attentif·ves aux façons dont la recherche participative s’affirme et s’affiche dans des contextes sociopolitiques en tension, dans les élans et les reculs des mouvements sociaux, face à la montée de la nouvelle gestion publique, des technocraties, des conservatismes et autres manifestations du néolibéralisme.
2La participation en recherche est analysée ici dans un contexte de sciences sociales appliquées dans des organismes associatifs, des entreprises et des services gouvernementaux de tous ordres : un écosystème traversé de paradoxes, fertile pour les luttes sociales mais dépendant de l’économie marchande, combinant des financements étatiques à d’autres provenant d’institutions publiques ou privées. Ce dossier résulte du croisement de plusieurs points de vue critiques sur la situation des recherches participatives, sur les contraintes ou contradictions auxquelles elles ont à faire face, mais également quant à leurs effets sur les façons de faire de la science et de pratiquer l’anthropologie. Les textes qui le composent témoignent des questions que pose une science sociale appliquée, du point de vue de ses protagonistes. Ils rendent compte d’un tournant participatif contemporain transnational (Mazeaud et alii, 2016), soutenu par un diktat « soft » – voire tyrannique – à la participation énoncé par les commanditaires et financeurs. Les contributions ici rassemblées lèvent une partie du voile sur les modes de professionnalisation des démarches participatives, traversées par des tensions entre perspectives émancipatrices, espaces de co-création et ingénierie sociale. Les auteur·rices nous présentent les chemins de traverse qu’ils et elles ont empruntés pour s’affranchir, avec plus ou moins de succès, de ces contradictions. Ils et elles nous invitent parfois à prendre du recul face à l’univers des recherches participatives pour embrasser plus largement celui des sciences sociales et humaines, pour nous interroger sur ce que fait la participation à nos professions, à nos méthodes, voire aux institutions universitaires et de recherche publiques.
3L’attention que les démarches participatives portent à l’expression des voix est indissociablement liée aux approches qualitatives en sciences sociales et humaines. Si l’anthropologie sociale et culturelle et certains courants théoriques en sociologie notamment ont su préserver et encourager ces approches qualitatives, dans le champ des recherches appliquées celles-ci furent, notamment sur le continent américain, fortement mises à mal, éclipsées par le quantitatif ou par les approches expérimentales. La défense du qualitatif et de sa légitimité dans les sciences appliquées s’est avérée parfois fragile face à la montée d’interventions conservatrices musclées en matière de politiques de recherche (Denzin & Giardina, 2016), dans un contexte où les institutions prétendent fonder leurs prises de décisions politiques et pratiques sur les données scientifiques les plus fiables s’appuyant trop souvent sur une vision restreinte de ces dernières articulée à la position hégémonique des modèles quantitatifs ou expérimentaux. Cette situation est particulièrement manifeste en Amérique du Nord, notamment dans le champ de la santé publique au sein duquel se déploie un grand nombre de recherches de ce type (Maunier, 2019). Dans un tel contexte, les injonctions à privilégier les approches quantitativistes ont une incidence sur la portée politique et subversive des recherches participatives ainsi que sur la prise en compte de la complexité des phénomènes explorés. Des auteur·rices, telle N. K. Denzin avec son Qualitative manifesto, a call to arms (2010) ont, en leur temps, sonné l’alarme.
4Si les tensions entre objectivité et subjectivité, position intérieure ou extérieure, distance et proximité… constituent des sujets de réflexion et de discussion récurrents et incontournables dès lors qu’il s’agit de faire de la science, la recherche participative est particulièrement concernée. On y observe des positions tendant à atténuer ou au contraire sublimer ces tensions selon de nombreuses déclinaisons plus ou moins radicales. Plusieurs des textes que nous présentons ici illustrent ces négociations. La participation devient pour certain·es un critère de rigueur. L’implication des premiers-premières concerné·es aux diverses étapes de projets de recherche tant au niveau de leur conception, de leur réalisation que de leur valorisation et de leur restitution, est alors envisagée comme faisant contrepoids à la subjectivité du ou de la chercheur·e (Lincoln, 1995). Pour d’autres, c’est cette subjectivité même qui est en soit participation. Il s’agit alors de déployer une analyse réflexive poussée (Boutet, 2018). Cette pratique parfois dite à la « première personne » s’inspire notamment de la recherche-création : « En recherche-création, nous travaillons dans l’in vivo de l’atelier, avec l’œuvre en train de se faire, la vie qui continue d’arriver, la vie qui est bienvenue dans le processus, et nous acceptons – de fait nous espérons – que la recherche transforme quelque chose dans notre pratique créatrice » (ibid. : 298). Ces réflexions se sont conjuguées (ou se sont confrontées) à des perspectives et pratiques critiques concernant les rapports de pouvoir contenus dans les dispositifs et les modes de production des connaissances scientifiques, traditionnellement occidentaux, patriarcaux et universitaires. Les approches féministes (Harding & Norberg, 2005 ; Thimm et alii, 2017) et postcoloniales (Visvanathan, 2016 ; Mies & Shiva, 2001) ont contribué à alimenter une conception des recherches selon laquelle « le Savoir est pouvoir » (Tandon, 2000 ; Harding & Norberg, 2005). Dans les Suds et en Amérique du Nord plus particulièrement, les recherches conscientisantes (Freire, 1982 ; Humbert & Merlo, 1978), les recherches-actions-participatives (Maguire, 1987 ; Fals-Borda & Rahman, 1991) et leurs multiples déclinaisons critiques ont essaimé. Ce qui a amené à questionner sous un nouvel angle le rôle du et de la chercheur·e oscillant entre méthodologue, facilitateu·rice et animateur·rice, garant·e de rigueur scientifique et de « sérieux » lorsque la recherche a lieu hors de tout cadre universitaire. La question de la justice épistémique herméneutique fut également soulevée. La recherche participative devient ainsi pour certain·es un moyen d’outiller les communautés de façon à ce qu’elles puissent porter elles-mêmes des projets de recherche qui répondent à leurs préoccupations et dont les résultats viennent soutenir leurs luttes ou favoriser l’écoute de leur revendications ou demandes en direction des politiques (Park, 1993 ; Stoecker & Falcon, 2022). Les questions relatives aux formes de restitution orales, écrites, plurielles, alternatives travaillent et révèlent des structures de pouvoir qu’elles peuvent contribuer à subvertir, à reconfigurer ou au contraire à renforcer.
5Les voix entendues témoignent-elles uniquement d’expériences vécues, partielles et partiales, ou font-elles appel à des savoirs à part entière, présentant leur propre mode de production et critères de rigueur, voire de réalité ? Cette réflexion n’est pas propre aux recherches participatives appliquées et s’inscrit dans une longue histoire que l’on peut associer tant aux universités ouvrières et populaires qu’aux écrits de P. Freire (1983). Émergent alors des pratiques participatives soucieuses de ne pas subordonner ces savoirs aux savoirs scientifiques, ouvrant sur l’idée d’une production de connaissances de l’ordre des Communs (Swantz, 1996 ; Gélineau et alii, 2024) déterminant d’autres voies d’accès aux connaissances, introduisant des conceptions telles le Buen Vivir, le Hurai, le kawsak sacha… (Sachs & Flipo, 2022), nous entrainant loin des conceptions scientifiques naturalistes et rationnelles du Monde (Swantz, 1996) et nous amenant à naviguer sur ces nouvelles eaux, nous invitant ainsi à esquisser les cartes de nouveaux territoires.
6Enfin, la dimension axiologique qui sous-tend l’adoption de pratiques participatives en recherche est centrale. Si certain·es les pensent comme pratiques subversives, inscrites dans une volonté de changements sociaux pour plus de justice sociale, d’autres les inscrivent dans des perspectives performatives d’ingénierie sociale, en vue de déployer des politiques, des interventions et des évaluations au service souvent des organismes nationaux et transnationaux demandeurs et subventionnaires mais des acteurs·rices voire des chercheur·es mêmes (Mazeaud et al., 2016). Nous le rappelons, ces visées et effets des recherches participatives et les nébuleuses sur lesquelles elles ouvrent ne peuvent être dissociées des changements s’opérant dans un monde en bouleversement : luttes postcoloniales, féministes, écologistes d’une part, mais aussi présence en force des perspectives néo-libérales qui tendent à placer la science et les sciences sociales au service d’une logique marchande soutenue par l’innovation et l’efficience. C’est bien l’ensemble de ces questions, les ambiguïtés et paradoxes de la recherche participative, l’affaiblissement de son potentiel subversif au profit d’une instrumentalisation de la recherche et d’un affaiblissement de la critique qui sont au cœur de ce dossier du JdA structuré en trois temps.
7En revenant respectivement sur deux recherches interventionnelles, l’une conduite dans le champ du logement, l’autre dans celui des épiceries solidaires, les deux premières contributions mettent chacune en évidence la difficulté de la confrontation et de la coopération des savoirs. Delphine Leroy et Amandine Spire centrent leur propos sur la controverse qu’a générée, entre chercheur·es et entres ces chercheur·es et les membres d’un collectif habitant d’un lieu de réquisition citoyenne, la production d’un rapport final de recherche : est-ce la fonction des chercheur·es académiques, membres du collectif, d’en assurer in fine la production ou est-il éthiquement et politiquement préférable de résister à l’injonction faite à ceux-ci et à celles-ci de l’écrire seul·es quitte à ce qu’il ne soit pas produit ? Tel est finalement le choix fait par les autrices. Elles s’en expliquent dans leur article et rendent compte de la genèse de cette position, en déroulant le fil de leur propre participation à la recherche-action, en décrivant la façon dont des écrits intermédiaires ont cependant été produits et en montrant que se saisir pleinement de la question d’une écriture collective plaçant sur un pied d’égalité chacun·e, même si elle peut se solder par un échec apparent, peut aussi générer des échanges, des événements, essentiels à la dynamique collective participative : « Un enjeu central de la RA est de rendre possible des échanges de savoirs, de désirs et d’expériences de toutes les personnes impliquées dans l’espace amené à se transformer », écrivent-elles. La présence et l’implication des chercheur·es, en tant que tiers, ont également permis de porter au jour les hiérarchies structurant le collectif (entre bénévoles et habitant·es notamment) et les effets de censure résultant de l’expression des rapports de force au sein de celui-ci. De ce retour critique sur une expérience passée, il ressort que la légitimation des chercheur·es en tant que détenteur·rices exclusif·ves de la capacité à écrire se fait toujours au détriment de celles et de ceux qui, au sein d’un collectif, peinent à faire entendre leur voix. Si elle peut conforter l’idée que le la chercheur·e se fait de lui ou d’elle-même et de son utilité sociale et politique, elle peut se révéler au bout du compte, du point de vue de l’expérimentation en laquelle consiste une réquisition citoyenne, contre-productive. A fortiori quand ils et elles n’ont pas été expressément recruté·es à cette fin mais pour contribuer à la compréhension collective et réellement partagée de ce qui se joue sur ce terrain. Karen Montagne, Frédéric Précigout et Isabelle Téchoueyres, dans une approche elle aussi rétrospective, s’appliquent à montrer comment l’injonction à la participation des publics dans le cadre d’une recherche interventionnelle pluridisciplinaire articulant sciences sociales et santé publique constitue en réalité une stratégie de la part des Pouvoirs publics visant à contrôler plus finement les bénéficiaires d’un dispositif d’aide alimentaire. Les auteur·rices montrent parfaitement comment l’ajout et la mention de la démarche participative dans une réponse à un appel à recherche ou à projet permettent aujourd’hui d’accroître les chances de succès sans que, sur le terrain, cette démarche ne permette la mise au jour de perspectives critiques portées par les acteurs eux-mêmes sur les dispositifs auxquels ils sont supposés participer. Et cela est d’autant plus vrai quand les dispositifs en question s’inscrivent dans le champ d’une intervention sociale entièrement surdéterminée par les politiques publiques d’activation d’inspiration clairement néo-libérale : « La norme n’est plus imposée par des dispositifs disciplinaires mais de façon plus insidieuse, en incitant à l’intériorisation et à la subjectivation d’un investissement positif sur la vie » écrivent-elles·ils en s’inspirant des travaux de D. Fassin et D. Memmi. L’évaluation de tels dispositifs, quand bien même elle est confiée à des chercheur·es, ne relève dès lors absolument plus de la recherche stricto sensu. La participation des chercheur·es comme des publics concernés à celle-ci n’est qu’un piège tendu aux un·es autant qu’aux autres auquel les premier·es nommé·es ne peuvent échapper qu’en produisant a posteriori une analyse froide et sans complaisance du système en vue du fonctionnement duquel ils et elles ont été recruté·es et dont ils et elles n’auront pu, sur le terrain, qu’infléchir de manière marginale le fonctionnement.
8Le deuxième volet de ce dossier est quant à lui davantage centré sur les impacts de « l’idéologie participative » sur les SHS. Il est composé de trois textes. Dans le premier, Laurence Boutinot revient, pour les comparer, sur différents dispositifs participatifs auxquels elle a collaboré dans le cadre de projets de développement en Afrique sub-saharienne. Elle examine comment les acteurs concernés, dans chacun des cas envisagés, sont, ou ne sont pas, parvenus à tirer profit des dispositifs en question et s’inspire de Marivaux pour les qualifier d’« acteurs de bonne foi » conscients de leur instrumentalisation mais s’employant cependant, avec plus ou moins de ruse et d’agentivité, à exploiter les capacités d’intervention qui, au nom de la participation, leur sont concédées. Et ces profits s’avèrent extrêmement divers : quasi nuls dans l’un des cas, celui de la gestion supposément participative d’espaces forestiers au sud-est du Cameroun où les Baka sont invités, dit-elle, « à surveiller des forêts dont ils sont exclus pour leur propre usage » et donc à participer à la domination et à la stigmatisation dont ils font l’objet ; beaucoup plus positifs dans un autre, celui de la production de charbon de bois au Sénégal, qui a effectivement permis à certains producteurs villageois de vendre directement leur production et d’en extraire des revenus proportionnels à leur travail, en allant au-delà de ce que le programme financé par la Banque Mondiale avait effectivement prévu. Dans le troisième cas évoqué, qui concerne l’aménagement du lac de Guiers au nord du Sénégal, les participants nous dit l’autrice ont été maintenus dans une « posture de témoignage ». Ce qui vaut pour les populations concernées par ces programmes de développement vaut également pour les chercheur·es qui y sont enrolé·es, avec cependant dans leur jeu, une carte supplémentaire : celle qui leur permet, s’ils·elles le décident, de faire de leur propre participation un objet d’enquête et de tenter d’enrayer, par cette mise en abime critique, la déprofessionnalisation qui résulte de leur propre exploitation par les commanditaires. Le contexte dans lequel se situe le propos de Gaëlle Terrisse est radicalement différent, puisqu’il s’agit de la ville de Paris. Il s’agit pour elle d’analyser de manière critique la façon dont cette ville a, au cours de la dernière décennie, introduit la question du genre dans les dispositifs participatifs qu’elle a mis en place pour associer les citoyenn·es à la conception de l’aménagement de l’espace urbain. L’autrice montre comment l’introduction du concept de genre associé à celui d’inclusion permet aux édiles de soigner leur communication tout en générant un marché de niche pour des aménageurs plus à même que d’autres de produire des « diagnostics genrés » ne reposant sur aucune base scientifique et ne s’adossant à aucune lecture critique étayée de la ville et de ses usages : le genre a désormais un prix sur le marché, écrit-elle et « la recherche en sciences sociales risque d’être réduite à l’état d’outils quantitatifs servant à identifier les changements sociaux susceptibles de devenir rentables ». Les labels dont une ville comme Paris peut aujourd’hui se prévaloir sont donc loin de garantir une intégration des acquis des SHS et des collectifs militants concernant la ségrégation spatiale basée sur le genre ou sur l’orientation sexuelle, pas plus qu’ils ne facilitent la mise en place et le soutien de recherches ou d’expérimentations in situ sur ces questions. Marion Bottero et Marjorie Lelubre s’appliquent quant à elles à comprendre, à la lumière des missions qui leur ont été confiées sur le terrain bruxellois, pourquoi la recherche dite collaborative reproduit bien souvent certains des travers de méthodologies plus traditionnelles ou en produit de nouveaux. Elles effectuent donc un retour sur deux recherches qu’elles ont réalisées avec des professionnel·les du secteur santé-social et constatent, dans les deux cas, l’absence de référentiel clair dès lors qu’il est question d’associer ces professionnel·les, et parfois les personnes qu’ils et elles accompagnent, à la démarche de production de connaissances, ce qui non seulement complique la tâche des chercheur·es et des co-chercheur·es mais tend à la vider de sons sens. D’autant que lesdits co-chercheurs ne sont pas tous en mesure de participer de manière égale à la recherche ni traités sur un pied d’égalité par les commanditaires. Les autrices considèrent cependant que le développement des recherches participatives est une voie d’avenir pour l’anthropologie à la condition cependant qu’en amont de celles-ci une véritable politique de formation se mette en place de façon à doter l’ensemble des participant.es des moyens pratiques et symboliques d’y faire autre chose que de la figuration.
9Le troisième axe de notre appel évoquait la question des croisements qu’une pratique participative permet entre pratiques artistiques, pratiques militantes et pratiques de recherche. Comment une démarche qualifiée de recherche participative peut-elle évoluer et se transformer face aux contraintes institutionnelles si ce n’est en empruntant des chemins de traverse ? En effet, celles et ceux qui, en s’éloignant des règles et valeurs du monde académique, œuvrent au sein d’espaces collaboratifs communautaires, luttent également pour préserver leur mode d’existence. Ces formes alternatives de production de savoirs interrogent nos disciplines et mettent en lumière les enjeux auxquels nous sommes confronté.es. Notre dossier s’achève sur quatre contributions – incluant le cahier d’images – qui chacune à sa façon illustre la possibilité de tels croisements. Eda Elif Tibet aborde la notion de participation au prisme de la multimodalité qui favorise la collaboration entre les domaines politiques, scientifiques et artistiques. Il s’agit pour l’autrice d’œuvrer en faveur de recherches transformatrices qui permettraient l’abolition des carcans disciplinaires. Elle a développé ses propositions de réflexion dans le cadre du projet « Bridging Value ». Pour E. E. Tibet, il y a une multiplicité de fractures au-delà des oppositions binaires Nord-Sud, ou humain-non humain. Grâce à une méthode collaborative entre les différent·es acteur·rices des projets qu’elle évoque, elle souligne les différentes fractures en s’appuyant sur les récits collectés et promeut une approche relationnelle afin de transformer les paradigmes de la recherche et atteindre des changements systémiques. Pouvoir intégrer les savoirs autochtones pour des solutions plus inclusives serait, selon elle, une voie pour révolutionner la manière dont la science interagit avec les communautés, en adoptant une perspective éthique, participative et transformatrice. Dans l’entretien qu’il a accordé à Nadine Wanono, Lassina Kone, directeur artistique et fondateur de Don Sen Folo5, compagnie de danse, « laboratoire » et association installés au Mali, revient sur la genèse de ce projet multiforme et multi-facettes qui associe depuis quinze ans pratiques artistiques et pratiques citadines ou villageoises des habitant·es des différents espaces dans lesquels il s’est implanté. Il explique comment la philosophie globale de DSF est née à la fois de la critique de la danse contemporaine telle qu’elle se pense et se pratique en Occident et du souhait de poursuivre en Afrique les expériences artistiques auxquelles il a participé au cours de ses séjours à l’étranger. En inventant des pratiques artistiques directement issues des pratiques quotidiennes et de leur observation, et en les associant au développement d’activités économiques circulaires viables, Lassina Kone espère infuser au cœur même de la société une confiance dans l’art, l’imaginaire et la nécessité pour chacun·e d’accéder à la création. Son projet est donc politique et n’a de sens que s’il prend forme avec – et non pas seulement pour – les populations auxquelles il s’adresse. Quoique se matérialisant et s’institutionnalisant de manière fort différente, le propos d’Aliza Monchy, de Fabien Pinaroli, d’Alice Franck et de Katarzyna Grabska n’est pas très différent puisqu’il s’est agi, pour ce collectif, via l’exposition « 120 vaches » au CAP Saint-Fons, de produire une scénographie sur la question du koj associant chercheures, curateur, militante et publics. L’article qu’elles et il nous propose constitue en quelque sorte une prolongation et l’un des aspects de cette scénographie puisqu’il raconte à quatre voix – chacune d’entre elles conservant son individualité – la façon dont chaque étape conduisant à la réalisation de ce projet a pu être négociée et comment la perception de la construction du problème que constitue le koj s’en est trouvée modifiée. On le voit, c’est donc peut-être lorsqu’elles rencontrent la question de l’art, en tant qu’il constitue un carrefour où, dans la préservation du concert singulier des voix, peut se construire du commun, que celle de la participation prend tout son sens. Sans doute parce qu’à la différence des sciences, il s’adresse en priorité non à UN public (les pairs) mais AUX publicS (même si une partie de ceux-ci a intérêt de voir son accès restreint à la communauté des happy few). Le cahier d’images qui clôt ce dossier est quant à lui le fruit d’une coopération née de la rencontre que nous avons initiée entre une chercheuse et un artiste québécois·es tous·tes deux actuel·les ou ancien·nes résident·es de la Côte Nord. L’une et l’autre envisagent leur action comme procédant de la rencontre avec un public chaque fois différent et suscitant en retour sa participation active à l’intervention sociale ou artistique qu’il ou elle lui propose. Richard Ferron et Julie Richard ont répondu positivement à notre proposition de constitution d’un cahier d’images en choisissant ensemble des photos et des dessins produits par chacun·e et documentant leurs démarches respectives. Ils sont également l’auteur·trice des légendes les accompagnant et pour l’occasion ont signé leur contribution à ce dossier d’un seul et même nom « Julie-Richard-Ferron » qui désigne le collectif éphémère qu’ils ont constitué à l’occasion de la confection de ce cahier. Une telle contribution constitue une première pour le JdA. En plus de nous en féliciter, nous tenons très sincèrement l’une et l’autre à les en remercier.