1Dans son ouvrage, la géographe australienne Kirstie Petrou s’intéresse à la migration et à l’urbanisation du peuple paamais du Vanuatu. L’île de Paama est une petite île accidentée située entre les îles Epi et Ambrym dans la province de Malampa. Tout au long du livre, l’autrice emploie une approche longitudinale qui lui permet d’analyser la continuité et le changement sur une période de presque trois décennies. Petrou compare ainsi les données recueillies au cours d’entrevues avec des Paamais à Paama et à Port-Vila en 2011 à celles de Gerald Haberkorn datant de 1982-1983. Ses observations et analyses, appuyées par de nombreux tableaux, graphiques, photos et cartes, dressent un portrait complexe des réalités associées à la migration et à l’urbanisation de cette communauté.

2Le titre de l’ouvrage, créatif et accrocheur, ne fait aucune allusion à Paama ou aux Paamais. Ceci n’est pas un hasard. Le cas des Paamais révèle en effet plusieurs phénomènes touchant à l’histoire récente de nombreux pays du Sud, à savoir, une urbanisation rapide combinée à une forte croissance démographique. Au Vanuatu, comme dans d’autres États mélanésiens, la migration rurale-urbaine a contribué fortement à l’expansion de la population des villes depuis le début des années 1980. Face à cette croissance rapide, l’infrastructure, l’offre de logements et de services se sont vite révélées inadéquates. Les enquêtes de 2011 montrent que le chômage, la pauvreté généralisée, la pression foncière et le surpeuplement restent des sujets brûlants pour les ni-Vanuatu. L’idée fausse et persistante selon laquelle l’exode rural est un phénomène temporaire aurait justifié l’absence de tentatives de résolution des problèmes susmentionnés.

3Durant son travail de terrain de trois mois à Paama, Petrou s’est intéressée à la culture et aux coutumes qui ont traditionnellement caractérisé le peuple paamais. Son étude permet une compréhension fine des facteurs qui justifient l’exode rural. D’un côté, elle montre que les villageois de Paama sont toujours attachés à une agriculture vivrière dont le potentiel marchand est négligeable, générant des revenus modestes ne pouvant satisfaire à leurs nouveaux besoins financiers. D’un autre côté, elle met au jour des facteurs d’attraction propres à la ville de Port-Vila : de plus grandes opportunités économiques, un accès à l’éducation et aux soins médicaux.

4Petrou rend compte de l’importance contemporaine de la famille, un pilier de la culture paamaise. Elle démontre que malgré la migration et l’urbanisation, les liens de parenté sont maintenus, contribuant ainsi à l’émergence d’un translocalisme, qu’elle définit comme un entrelacement entre la vie à Port-Vila et celle de Paama. Un mouvement constant de personnes, de marchandises et d’informations contribue à rapprocher les deux espaces. La technologie joue également un rôle déterminant, surtout les téléphones portables, qui permettent un échange d’informations plus rapide. Par conséquent, il n’est plus nécessaire de se déplacer autant entre Port-Vila et Paama et les séjours en ville peuvent durer plus longtemps. Pour ceux qui cherchent fortune en ville, la famille déjà établie est souvent le premier point de référence notamment en matière de logement et de recherche d’emploi. La famille fournit également une motivation pour réussir étant donné que les parents restés sur l’île s’attendent à l’envoi de fonds, une ressource essentielle pour eux. Les travailleurs migrants permettent ainsi à ceux restés à Paama de joindre les deux bouts et, ainsi, de resserrer les liens de parenté.

5Petrou s’intéresse également aux changements sociaux durant la période concernée. À Port-Vila où se mêle un grand nombre de personnes originaires de différentes îles du Vanuatu, les nouvelles interactions sont chose courante. Elles se produisent dans différents contextes comme dans la pratique religieuse, sur le lieu de travail, à travers les loisirs et le divertissement. Ces interactions donnent parfois lieu à des mariages mixtes. Dans d’autres cas, elles alimentent la ségrégation, la discrimination et les accusations de sorcellerie (nakaemas). Portant son attention sur les changements liés au genre, Petrou montre que les femmes (en particulier jeunes et célibataires) sont davantage susceptibles de quitter l’île en faveur de la ville en 2011 qu’au début des années 1980. Incitées à poursuivre une éducation, elles perçoivent aussi la ville comme un espace de liberté où l’on peut se comporter et s’habiller plus librement qu’à Paama.

6Grâce à l’analyse de multiples récits personnels, Petrou décrit la migration comme une expérience vécue. Il s’agit d’un processus marqué de nombreuses incertitudes et ambiguïtés qui transforme la vie des migrants sur plusieurs fronts : de l’économique au culturel en passant par le social. De nombreux migrants sont partagés entre la tentation de succomber à la nostalgie et de retourner à Paama et la prise de conscience que, pour divers motifs, familiaux et économiques pour la plupart, un retour n’est ni faisable ni raisonnable. Ce constat explique l’émergence d’un prolétariat urbain et une certaine permanence de la présence paamaise à Port-Vila. Il atteste aussi dans la capitale d’une nouvelle génération qui vit dans des conditions nettement différentes de celles des îles d’origine (Woi, 1984). Cette nouvelle génération s’identifie à des degrés variables à Paama sans y avoir pourtant mis les pieds. Cet attachement des migrants à leur île d’origine fait écho aux recherches de Benedicta Rousseau (2017) qui montre au Vanuatu un « accomplissement de la simultanéité » entre ville et île pour les communautés qui ne sont pas centrées géographiquement sur leur île d’origine.

7En guise de conclusion, cet ouvrage ne doit pas être perçu comme l’étude d’un microcosme. Au contraire, le cas de Paama est représentatif de nombreuses autres îles du Vanuatu : exiguës, axées sur l’agriculture de subsistance, la production marchande à échelle réduite et des liens familiaux traditionnellement solides. L’étude suit une organisation claire et logique, certaines sections se basant sur des publications antérieures de la même autrice. Petrou fournit un préambule sur la société paamaise contemporaine qui s’étend sur les premiers chapitres du livre, bien au-delà de l’introduction. Considérant que le sujet de la migration insulaire reste encore peu étudié, cette démarche est grandement appréciée, car elle facilite la lecture pour un vaste éventail de lecteurs. On peut espérer que l’ouvrage de Petrou encouragera l’étude des modes migratoires d’autres groupes du Vanuatu ainsi que de la migration internationale des ni-Vanuatu, un enjeu d’actualité qui a récemment suscité beaucoup d’attention et de débats dans la région Asie-Pacifique.