Navigation – Plan du site

AccueilNuméros157ArticlesÉcole et vivre ensemble en Nouvel...Introduction : École et vivre ens...

Articles
École et vivre ensemble en Nouvelle-Calédonie

Introduction : École et vivre ensemble en Nouvelle-Calédonie

Stéphane Minvielle
p. 159-162

Texte intégral

  • 1 Les transferts de compétences de l’État vers la Nouvelle-Calédonie sont mis en œuvre à la suite (...)

1En Nouvelle-Calédonie, l’École telle que nous la connaissons aujourd’hui est un legs colonial (Salaün, 2018). Elle a une origine exogène et, malgré les transferts de compétences de 2000 (premier degré public) et 2012 (premier degré privé, second degré public et privé)1, elle reste encore en grande partie une émanation du système éducatif français (Minvielle, 2018). Voté en 2016 par le congrès de la Nouvelle-Calédonie, le Projet éducatif calédonien ambitionne de faire de l’École le « creuset du destin commun » (Délibération n°106 du 15 janvier 2016 relative à l’avenir de l’école calédonienne). Ce texte pose quatre grands objectifs (développer l’identité de l’école calédonienne ; consolider la diversité des publics pour une école de la réussite pour tous ; ancrer l’école dans son environnement, un climat scolaire au service de l’épanouissement de l’élève ; ouvrir l’école sur la région Océanie et le monde) et il est complété par une charte d’application triennale (délibération n°186 du 1er décembre 2016 relative à la charte d’application des orientations de politique éducative de la Nouvelle-Calédonie) qui présente une série d’actions à mettre en œuvre entre 2017 et 2019 et destinée à atteindre les objectifs fixés.

2Apparue avec l’accord de Nouméa (1998), la notion de « destin commun », sorte de déclinaison calédonienne du vivre ensemble, est ambigüe et polymorphe (Carteron, 2012 ; Graff, 2016 ; Le Meur, 2017). Les résultats des trois consultations sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté organisées en 2018, 2020 et 2021 ont montré que le destin commun reste un projet social, politique et culturel très largement inabouti, voire un vœu pieux tant il ne recouvre pas les mêmes enjeux et réalités chez les indépendantistes et les non-indépendantistes, voire au sein même des deux grands blocs qui structurent la vie politique calédonienne depuis les années 1970.

3L’École est donc soumise à l’injonction de contribuer à la construction du destin commun alors que les conceptions du vivre ensemble restent assez différentes au sein de la société calédonienne. Dans une sorte de schizophrénie propre aux évolutions contemporaines de l’archipel, comment les élèves parviennent-ils à se situer entre leurs appartenances différentes et entre culture familiale et/ou communautaire et destin commun ? D’après les sociologues Dubet et Martucelli (1996), l’expérience scolaire fait référence à la capacité à envisager un parcours de formation en intégrant la culture scolaire, en construisant des stratégies de réussite et en maîtrisant les savoirs et la culture qui les porte. De plus, les manières d’appréhender l’École font écho aux représentations sociales qui les traversent. Celles-ci ont des fonctions d’explication de la réalité, d’orientations des conduites, de justifications et d’affirmations identitaires (Cohen-Scali et Moliner, 2008 ; Fontaine et Hamon, 2010). Jodelet (2006) souligne les relations entre expériences et représentations, l’expérience scolaire façonnant ainsi en partie la représentation que l’on a de l’École, et inversement.

4En Nouvelle-Calédonie, ces problématiques sont d’autant plus complexes qu’elles doivent aussi tenir compte d’une société faite de diversités, que l’accord de Nouméa traite avant tout en distinguant la présence de plusieurs communautés qui composent la société calédonienne (Kanak, Européens, Wallisiens-et-Futuniens, Ni-Vanuatu, Indonésiens, Tahitiens, Vietnamiens, etc.). Or, depuis 1945, les questions liées à la diversité ont trouvé des réponses différentes en Amérique du Nord (Taylor, 1994 ; Cohen, 2005) et en Europe, où leur traitement semble plus flou (Calvès, 2005). Elles interrogent le caractère normatif de l’École pour former le citoyen, entre citoyenneté universaliste et particulariste (Beauchemin, 2007). L’un des ressorts du vivre ensemble (ou du destin commun dans sa déclinaison calédonienne) est de favoriser l’identification à des valeurs communes que l’École devrait rendre désirables (Prairat, 2019). En Nouvelle-Calédonie, la gestion de la diversité peut s’accompagner d’une logique de réparation des torts (Salaün, 2013) ou de différencialisme exacerbé (Blanchard, 2014). Malgré les transferts de compétences et le vote du Projet éducatif de la Nouvelle-Calédonie, environ vingt-cinq ans après la signature de l’accord de Nouméa, les Kanak restent une communauté minorisée du point de vue économique, social, culturel, mais aussi scolaire.

5Dans cet ensemble de textes, nous proposons d’éclairer sous un jour nouveau les questions de diversités et de vivre ensemble, avec le parti pris original de se focaliser sur des enfants et des adolescents scolarisés en Nouvelle-Calédonie, et plus largement en privilégiant le prisme des sciences de l’éducation et la formation. Ce champ de recherche en plein développement dans l’archipel permet d’analyser les dynamiques à l’œuvre et leurs impacts potentiels en termes de transformation sociale et de construction d’une identité prise en étau entre projet politique, politique éducative et interactions entre l’École et les familles.

6Une première contribution intitulée « Identités plurielles dans l’École calédonienne : définitions de soi de la part d’enfants de la Grande Terre » présente les résultats d’une enquête menée auprès de quelque 300 élèves de 6 à 11 ans à qui les auteures ont demandé qui ils et elles sont. Les réponses d’enfants à la question « Qui suis-je ? » sont le point de départ d’un travail sur les représentations complexes qu’ils ont d’eux-mêmes et des autres. La méthodologie utilisée, issue du champ de la psychologie sociale, permet, par série d’associations, de dégager différentes facettes de l’identité des élèves interrogés (Deschamps et Moliner, 2016). Plus largement, leurs réponses contribuent à une réflexion sur « l'identité calédonienne » contemporaine.

7La seconde contribution « École, familles, communautés : mises en récit d’une histoire « nationale » par les élèves et diversité des conceptions du vivre ensemble en Nouvelle-Calédonie » analyse quant à elle plus de 2 000 productions écrites d’adolescents et d’adolescentes de la 6e à la terminale. Les questions identitaires et de représentation de soi et des autres sont également au cœur de cette recherche puisque les élèves ont été invités à « raconter l’histoire de leur pays ». À travers leurs récits, qui abordent l’histoire de leur propre point de vue, se dessinent également la place des familles dans la transmission de savoirs historiques et la pluralité sous-jacente des conceptions du vivre ensemble.

8Enfin, la dernière contribution, « Perspectives de co-élaboration d’un cadre éthique culturellement sensible pour la recherche en éducation en Nouvelle-Calédonie », propose sous un autre angle une réflexion sur la place de l’École dans ses dimensions physiques et symboliques, au regard d’une inégalité des chances de réussite scolaire et éducative, qui affecte en particulier les jeunes Kanak et plus largement les élèves d’origine océanienne. Des perspectives, soulignant l’importance d’approches co-élaborées, participatives et compréhensives, sont tracées. Afin de développer des recherches en sciences de l’éducation et de la formation, les auteurs mettent aussi en avant l’idée qu’il est nécessaire de travailler avec et non pas seulement sur les populations autochtones pour co-construire avec elles les chemins de la réussite scolaire et éducative de leurs enfants.

9Nous espérons que ces contributions permettront de mieux saisir les dynamiques actuelles en jeu en Nouvelle-Calédonie autour des questions d’éducation, des identités et du vivre ensemble, dans une perspective écosystémique (Bronfenbrener, 1979) reposant sur la conception d’espaces et de temps où se nouent des relations entre les différents acteurs éducatifs (Asdih, 2017).

Haut de page

Bibliographie

Asdih Carole, 2017. Coéducation, compétences parentales et professionnelles, Administration et Éducation 153 (1), pp. 31-36.

Beauchemin Jacques, 2007. La société des identités. Éthique et politique dans le monde contemporain, Montréal, Athena éditions.

Blanchard Pascal, 2014. Égalité, fraternité, diversité ? Aux origines coloniales de la France, in R. Frydman et M. Flis-Trèves (éds), L’Autre, le semblable, le différent, Paris, puf, pp. 155-172.

Bronfenbrenner Urie, 1979. The Ecology of Human Development: Experiments by Nature and Design, Cambridge, Harvard University Press.

Calvès Gwénaële, 2005. Refléter la diversité de la population française : naissance et développement d’un objectif flou, Revue Internationale des Sciences Sociales 183, pp. 177-186.

Carteron Benoît, 2012. Le Mwâ Kââ, vers une manifestation d’une appartenance commune en Nouvelle-Calédonie, Journal de la Société des Océanistes 134, pp. 45-60.

Cohen Jim, 2005. Les modèles d’intégration face aux particularismes : malentendus et dialogues France / États-Unis, Mouvement 38, pp. 40-49.

Cohen-Scali Valérie et Pascal Moliner, 2008. Représentations sociales et identité : des relations complexes et multiples. L’Orientation Scolaire et Professionnelle 37 (4), pp. 1-16.

Dubet François et Danilo Martucelli, 1996. Àl’école. Sociologie de l’expérience scolaire, Paris, Le Seuil.

Fontaine Samuel et Jean-François Hamon, 2010. La représentation sociale de l’école des parents et des enseignants à la Réunion, Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale 85 (1), pp. 69-109.

Graff Stéphanie, 2016. Visibilité du destin commun et invisibilité de l’histoire : discours, célébrations et construction de la citoyenneté en Nouvelle-Calédonie, Anthrovision 4.1. doi : https://doi.org/10.4000/anthrovision.2250

Jodelet Denise, 2006. Place de l’expérience vécue dans le processus de formation des représentations sociales, in V. Haas (éd), Les savoirs du quotidien. Transmissions, appropriations, représentations, Rennes, Presses universitaires de Rennes, pp. 235-255.

Le Meur Pierre-Yves, 2017. Le destin commun en Nouvelle-Calédonie : entre projet national, patrimoine minier et désarticulations historiques, Mouvement 91, pp. 35-45.

Minvielle Stéphane, 2018. Une école calédonienne en quête d’identité : modèle français, adaptation, contextualisation, émancipation, Journal de la Société des Océanistes 147, pp. 39-52.

Prairat Eirick, 2019. Les valeurs : une question philosophique, un défi pédagogique, Recherches & Travaux 94. doi : https://doi.org/10.4000/recherchestravaux.1563

Salaün Marie, 2013. Décoloniser l’école ? Hawai’i, Nouvelle-Calédonie. Expériences contemporaines, Rennes, PUR.

Salaün Marie, 2018. L’école en Nouvelle-Calédonie à l’heure des compétences transférées : quel legs colonial ? in S. Minvielle (éd), L’école calédonienne du destin commun, Nouméa, punc, pp. 29-41.

Taylor Charles, 1994. Multiculturalisme, Différence et démocratie, Paris, Flammarion.

Haut de page

Notes

1 Les transferts de compétences de l’État vers la Nouvelle-Calédonie sont mis en œuvre à la suite de l’accord de Nouméa et permettent l’émancipation progressive de l’archipel par rapport à la République française. Dans le premier degré, l’État a transféré l’essentiel des compétences alors que, dans le second degré, le transfert est moins abouti (l’État conserve par exemple la collation des grades et diplômes et les programmes scolaires nationaux sont aménagés pour tenir compte du contexte local, notamment en Histoire-Géographie).

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Stéphane Minvielle, « Introduction : École et vivre ensemble en Nouvelle-Calédonie »Journal de la Société des Océanistes, 157 | 2023, 159-162.

Référence électronique

Stéphane Minvielle, « Introduction : École et vivre ensemble en Nouvelle-Calédonie »Journal de la Société des Océanistes [En ligne], 157 | 2023, mis en ligne le , consulté le 18 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/jso/15601 ; DOI : https://doi.org/10.4000/jso.15601

Haut de page

Auteur

Stéphane Minvielle

Université de la Nouvelle-Calédonie, lire ; stephane.minvielle@unc.nc

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search