Avec le départ du professeur Jack Golson, décédé le 2 septembre 2023 à l’âge de 96 ans à Canberra en Australie, disparait le dernier représentant de la génération d’archéologues non-autochtones – à laquelle appartenait entre autres Roger C. Green, Yoshi Sinoto et José Garanger – qui a installé cette discipline comme un thème de recherche ancré dans l’aire océanienne. Chronologiquement, Jack Golson restera comme le tout premier à avoir été chargé de mettre en place dans le Pacifique une formation spécifiquement dédiée à la préhistoire, ouvrant la voie à plusieurs générations d’archéologues extérieurs et océaniens.
Photo 1. – J. Golson et l’archéologue samoan D. Addison lors de la conférence Lapita de Port Vila en 2015. À l’arrière, son assistant W. Ambrose, décédé au début de l’année 2024 (cliché Cristophe Sand, Port Vila, 2015)

(cliché Cristophe Sand, Port Vila, 2015)
Né en 1926 en Angleterre, J. Golson suit une formation d’archéologie médiévale à l’Université de Cambridge après la Seconde Guerre mondiale. Sur la suggestion du Professeur Grahame Clark, J. Golson part en 1954 à l’Université d’Auckland (Nouvelle-Zélande) comme premier Lecturer en préhistoire de l’Océanie. Sa découverte de l’archéologie insulaire commence ainsi en toute logique par les sites māori, qui sont déjà étudiés depuis plusieurs générations par des archéologues amateurs européens de l’archipel mais également par quelques anthropologues professionnels rattachés à des musées ou à des universités. Tout en modernisant les techniques de relevés et de fouilles archéologiques et en mettant en place l’association néo-zélandaise d’archéologie (nzaa) chargée de gérer l’inventaire des sites de l’archipel, J. Golson se familiarise progressivement avec les données sur le passé de l’Océanie insulaire, en débutant dès 1957 un programme archéologique à Samoa et Tonga. Il propose dans un article – en français – paru en 1959 dans le Journal de la Société des Océanistes, une série de thèmes de recherches régionaux à développer en archéologie. Parmi ceux-ci figure en première place la question centrale de la date de premier peuplement des différentes régions océaniennes. La même année, il effectue une mission archéologique à l’île des Pins en Nouvelle-Calédonie, avec pour objectif central de fouiller et de dater le site côtier de Vatcha, qui renferme des tessons pointillés similaires à ceux datés, quelques années plus tôt, d’environ 800 ans avant J.-C. par le professeur E. Gifford sur le site de Lapita, dans le nord-ouest de la Grande Terre calédonienne. Il cartographie également de nombreux tumuli sur le plateau central de l’île, considérés à l’époque comme des marqueurs d’un peuplement très ancien du sud de la Mélanésie. Ces travaux aboutissent à la publication en 1961 d’un article sur la poterie Lapita, dont la conclusion est probablement le texte le plus republié depuis 60 ans dans la littérature archéologique pour notre région :
« Nous pouvons proposer pour le Pacifique sud-ouest une forme de communauté culturelle ancienne, liant la Nouvelle-Calédonie, Tonga et Samoa, prédatant les cultures “mélanésiennes” du premier (archipel) et ancestrale aux cultures historiques de Polynésie occidentale des deux autres. Cette communauté est identifiée à travers des variantes d’une même tradition céramique » (Golson 1962 : 176, ma traduction)
Le recrutement de J. Golson comme Fellow en préhistoire de la jeune Université nationale australienne (anu) en 1961 marque un tournant essentiel dans sa carrière, qu’il poursuivra dans cette université jusqu’à sa retraite en 1991, en y étant nommé comme premier Professeur de Préhistoire dès 1969. D’une part, il est en mesure, à partir de ce poste, de diriger une nouvelle génération d’étudiants thésards vers des sujets associés aux thématiques qu’il a récemment proposées pour le Pacifique. Sous sa direction, des futurs grands archéologues, dont Jim Specht, Peter J. White, Brian Egloff, Jens Poulsen, Ron Vanderwall, Jim Allen, puis, dans les années 1970, des personnalités comme Geoffrey Irwin et Matthew Spriggs, partent défricher des terrains archéologiques très peu connus, principalement en Mélanésie, en Polynésie occidentale et en Australie. D’autre part, l’ouverture, l’année de son recrutement, de la New Guinea Research Unit au sein de la Research School of Pacific Studies (rspas), l’incite à diriger son attention sur le patrimoine peu connu du grand archipel papou. En parallèle à des recherches en Australie, il débute ainsi à partir de la fin des années 1960 un long programme dans les Hauts-Plateaux de Nouvelle-Guinée, axé sur la question de l’origine de l’agriculture en Océanie. Ses fouilles sur le site de Kuk mettent en particulier au jour des canaux horticoles datés de près de 10 000 ans, associés à la culture de tubercules. Ces résultats placent la Nouvelle-Guinée comme un des centres d’émergence de sociétés agricoles parmi les plus anciens du monde et représentent la contribution scientifique la plus essentielle de sa longue carrière.
L’attention portée aux périodes les plus reculées de l’histoire océanienne ne le détourne pas pour autant des questions liées à la tradition céramique Lapita, les travaux menés par ses étudiants lui permettant de conclure au début des années 1970 que « [l]es données […] suggèrent que la céramique (Lapidoïde) […] n’est qu’un élément d’un ensemble culturel » (Golson 1971 : 75), une affirmation ouvrant la voie à trois décennies de travail collectif intense pour caractériser cet « ensemble culturel ». Si à partir de la fin des années 1970, les programmes de terrain dirigés par J. Golson se font moins nombreux, il participe encore en 1985 au Lapita Homeland Project organisé par J. Allen à travers l’archipel de Bismarck.
Au cours de ses trois décennies à l’anu, J. Golson est un infatigable promoteur de la pluridisciplinarité dans le développement de la discipline, multipliant les initiatives pour l’inclusion de techniques d’analyses géochimiques, palynologiques, botaniques, ostéologiques etc. dans les travaux menés par les archéologues et se positionne comme un des principaux instigateurs de la création d’un laboratoire de datations radiocarbones dans son université. Son implication dans les associations internationales de recherche lui fait entre autres prendre la présidence de l’Indo-Pacific Prehistory Association (ippa) entre 1980 et 1985. Après avoir été un des premiers soutiens du World Archaeological Congress – créé en 1984 suite au schisme avec l’Union internationale des Sciences préhistoriques et protohistoriques (uispp) sur la question de l’Apartheid en Afrique du Sud – il en est le président entre 1990 et 1994. Après son départ à la retraite, J. Golson, toujours accompagné de son épouse Clare, se voit décerner plusieurs titres honorifiques prestigieux et jusqu’à la fin des années 2010, continue à être présent aux congrès internationaux sur l’archéologie organisés à travers la région.
La liste des publications de J. Golson est impressionnante par son nombre et par sa diversité. Il a été un pionnier dans de nombreux domaines et a formé au cours de sa vie universitaire trois générations successives d’archéologues océanistes, tout en participant à la mise en place de cursus sur le patrimoine culturel dans les premières universités régionales, en envoyant par exemple son étudiant Jim Allen comme premier enseignant d’archéologie à la toute nouvelle Université de Papouasie Nouvelle-Guinée en 1969. Outre les nombreuses synthèses qu’il a publiées au cours de sa carrière, il a eu la satisfaction, à l’âge de 91 ans, de voir finalisée en 2017 la publication de l’impressionnant travail sur le site horticole ancien de Kuk (png), grâce à la collaboration de plusieurs de ses anciens étudiants. L’importance de ses découvertes réalisées à Kuk a été reconnue par l’unesco, qui a classé ce site sur la liste du patrimoine mondial en 2008. Comme un hommage aux travaux pionniers de Jack Golson, chercheur attachant et mentor consciencieux, passionné de cricket, qui a rejoint au paradis des archéologues océanistes son épouse Clare, ses compagnons de route et ses vieux amis papous partis avant lui.