Michel Orliac nous a quittés dans la discrétion au mois de juin dernier. Michel était peu prolixe sur sa carrière car il n’était pas carriériste (photo 1). En 1958, il est admis au laboratoire de géologie du Quaternaire et de Préhistoire à l’ephe et devient l’assistant de Franck Bourdier. En 1972, il intègre l’équipe d’André Leroi-Gourhan comme technicien dessinateur et c’est Roger Humbert qui lui apprend le dessin archéologique. Il partage alors un petit bureau situé dans le sous-sol du musée de l’Homme avec Arlette Leroi-Gourhan qui réalise, avec d’autres chercheurs, des analyses palynologiques. Michel met au point une nouvelle méthode pour étudier les stratigraphies, qu’il améliore avec les années. Celle-ci est maintenant couramment utilisée et connue sous le nom de « méthode Orliac » (Laboratoire d’Ethnologie préhistorique, 2023).

Photo 1. – Michel Orliac à l’île de Pâques en 2007

(cliché Catherine Orliac)

C’est en 1975 que José Garanger l’encourage à travailler en Polynésie. C’est ainsi que Michel s’intègre à la recherche océaniste, avec son épouse Catherine, en effectuant des missions à Tahiti dans la vallée de la Papenoo pour une archéologie de sauvetage avant la construction d’un barrage. Les activités de recherche du couple se nourrissent l’une de l’autre. Je me souviens ainsi de sa présence attentive dans les locaux de la Sorbonne en 1983, parmi les nombreux collègues venus assister à la soutenance de thèse de Catherine à l’Université de Paris 1, sous la présidence d’André Leroi-Gourhan.

Michel et Catherine Orliac publient en 1980 dans le Journal de la Société des Océanistes (jso) 66-67 leur premier article, « Les structures de combustion et leur interprétation archéologique : quelques exemples en Polynésie », qui s’appuie plus particulièrement sur leurs recherches récentes effectuées dans la vallée de la Papenoo à Tahiti. Cinq ans plus tard, Michel est invité à faire partie du Comité de lecture du jso, puis du Conseil d’administration de la Société des Océanistes (sdo) en 1987. José Garanger, qui est alors vice-président de la société, l’encourage à présenter sa candidature au bureau, où il est élu secrétaire général adjoint la même année. Michel seconde alors grandement le secrétaire général, Michel Panoff, pour la réalisation des jso et particulièrement pour la lecture des articles soumis à publication. Il met ses talents de dessinateur à la disposition de la sdo. C’est ainsi qu’il « modernise » l’ancien logo représentant un Ivi poo marquisien et qu’il réalise plusieurs couvertures d’ouvrages, comme Tahiti aux temps anciens de Teuira Henry et Souvenirs des îles Marquises 1887-1888 d’Alfred Testard de Marans. Il quitte sa fonction de secrétaire général adjoint en 1993, pour devenir trésorier de la Société en 1994, fonction dont il s’acquitta très consciencieusement jusqu’en 2003. À cette époque engagé dans diverses publications avec Catherine, il ne souhaite pas se représenter après plus de quinze années d’activité au bureau de la sdo. Il demeurera cependant présent au sein du Comité de lecture du jso jusqu’en 2010.

Les recherches de Michel se sont poursuivies aux îles Marquises, à Mangareva et à Rapa Nui (l’île de Pâques). J’eus ainsi la chance, en 2000, en tant que chargé du département Océanie du musée de l’Homme, de me trouver à Rapa Nui alors que Michel et Catherine y effectuaient des recherches sur l’évolution des paysages anciens de l’île. En tant qu’ethnologue, j’étais allé sur ses conseils rencontrer une femme pascuane qui était l’une des dernières artisanes à savoir encore fabriquer des éléments de costumes de danse selon des techniques anciennes. Je lui commandai quelques objets pour le musée de l’Homme, mais le temps de mon séjour dans l’île ne pouvait pas lui permettre de les réaliser avant mon départ. Michel me proposa alors aimablement de les rapporter à Paris lors d’une de ses prochaines missions dans l’île. Ces objets se trouvent aujourd’hui conservés au musée du quai Branly-Jacques Chirac (Inv. MQB-JC. 71.2002.1-10). En cette même année 2000, Michel est lauréat du prix Clio pour la recherche archéologique.

En 2002, je retrouvais Michel aux Marquises dans l’île de Nuku-Hiva où il effectuait en compagnie de Pierre Ottino-Garanger et d’autres chercheurs du cnrs et de l’ird des recherches sur le site archéologique de Kamuihei-Teiipoka à Hatiheu. Michel eut la gentillesse de me présenter diverses pièces archéologiques se trouvant dans une vitrine située au sein de la mairie d’Hatiheu dont Madame la maire, Yvonne Katupa, personnalité très respectée localement, était la gardienne. Décédée au mois de novembre dernier, elle fut à l’initiative de nombreux projets patrimoniaux.

Membre actif de l’équipe d’Ethnologie préhistorique dirigée par Michèle Julien, Michel reçoit, en 2010, la médaille de bronze du cnrs. Il est alors aussi chargé de cours à Paris 1 pour la préhistoire et l’histoire de la Polynésie. Michel Orliac et son épouse Catherine sont alors devenus depuis quelques années des spécialistes de l’art de Rapa Nui. Les deux chercheurs apportent chacun leur regard sur les sculptures anciennes, si bien que leurs expertises se trouvent recherchées par les institutions muséales et maisons de ventes publiques. Ils écrivent conjointement de nombreux ouvrages sur Rapa Nui, comme le petit livre de poche publié dans la collection Découvertes de Gallimard, Des dieux regardent les étoiles. Les derniers secrets de l’île de Pâques (1988), puis en 1995, Bois sculptés de l’île de Pâques dans la collection Arts témoins aux Éditions Parenthèses/Éditions Louise Leiris. Ils publient, en 2008, la collection d’objets Rapa Nui conservée par la congrégation des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie dans un luxueux ouvrage, Trésors de l’île de Pâques, aux Éditions Louise Leiris illustré de photographies et de cartes avec de nombreux dessins réalisés par Michel. Plus récemment, ils ont synthétisé leur grande connaissance de l’île de Pâques dans une petite publication, Île de Pâques, Histoire du peuple Rapanui, aux Éditions du Moaï (2018).

Michel et Catherine participent également à diverses expositions concernant l’île de Pâques, comme à Bordeaux au musée d’Aquitaine, en 1996, où ils sont conseillers scientifiques et rédigent un article pour le catalogue collectif intitulé Voyage vers l’île mystérieuse, de la Polynésie à l’île de Pâques. Ils s’impliquent ensuite dans la réalisation d’une exposition, Rapa Nui, l’Île de Pâques, de novembre 2008 à mars 2009, à l’espace edf, avec la collaboration du Muséum national d’histoire naturelle. Puis, en 2018, ils sont les commissaires de l’exposition À l’ombre des dieux au musée Fenaille de Rodez et participent à un catalogue collectif dans lequel Michel écrit un article, « Les Européens dans le Pacifique et à l’île de Pâques ». Cette liste de publications concernant Rapa Nui est loin d’être exhaustive. Une fois retraité, Michel aime toujours partager sa passion pour cette île, prétendument mystérieuse, et il lui arrive de guider des groupes de visiteurs à la découverte de ses richesses archéologiques.

Michel était un vrai naturaliste, passionné de toutes choses vivantes et des richesses des productions humaines. Il aimait chiner dans les marchés aux puces de la capitale pour y dénicher ce qu’il nommait ses « petits trésors ».

C’est avec l’expérience acquise auprès d’André Leroi-Gourhan durant sa participation aux fouilles de Pincevent que Michel, avec la collaboration de Catherine, a pu faire avancer d’un très grand pas la connaissance de l’histoire de l’île de Pâques.

« Les fouilles françaises effectuées à Orongo en 1995 ont montré, grâce à la détermination de douze mille charbons, prélevés dans une trentaine de couches archéologiques bien datées, que la disparition des arbres, des arbustes et des arbrisseaux fut brutale. En effet, après 1650, les fours culinaires ne sont plus chauffés en brûlant du bois, mais principalement de l’herbe. La dizaine d’autres sites étudiée sur l’île permet les mêmes conclusions. » (Orliac, 2018 : 30)

Les recherches effectuées par Michel Orliac à l’île de Pâques lui ont ainsi permis de mettre à mal le mythe de l’imprévoyance des Rapanui, supposés avoir détruit leur environnement, et de prouver scientifiquement que c’est bien un phénomène naturel climatique qui l’a modifié rapidement, ce qui est prémonitoire pour d’autres régions de la planète. Merci Michel !