1Le volume 46 de la série des EAD se présente comme le premier tome de la publication de l’Artémision principal de Délos, qui en comprendra au moins un autre. Il est le résultat d’une collaboration de longue date entre Christian Llinas, disparu en 2011, Philippe Fraisse et Jean-Charles Moretti à qui revient le choix de l’organisation de la publication. Elle commence par une première partie qui forme une introduction générale à l’étude de l’architecture de l’Artémision, qui sert à l’étude du temple hellénistique publiée dans la seconde partie et qui sera utile au(x) volume(s) suivant(s) sur le temple archaïque, l’autel, le matériel votif et les autres vestiges du sanctuaire. L’étude du matériel céramique, du portique coudé et de l’édifice J sont encore à attribuer, ce qui donne une idée du travail restant à mener à bien. L’œuvre accomplie est pourtant déjà immense et les acquis pour la recherche très importants, en raison de la précision avec laquelle est établie la documentation.

2La première partie s’ouvre avec un chapitre sur l’histoire des fouilles et des recherches sur l’Artémision, en portant l’attention sur l’architecture et la topographie du sanctuaire. L’histoire des fouilles permet de retracer, depuis Cyriaque d’Ancône en 1445 jusqu’aux travaux des années 2010, l’histoire des découvertes et des publications. Deux tableaux récapitulent pour l’un les dénominations et les identifications successives des édifices du sanctuaire, et pour l’autre les identifications des statues découvertes dans l’Artémision en juin-juillet 1878 ; en plus de ces documents de synthèse, une vingtaine de plans ou de documents anciens offre au lecteur une image de l’état de la connaissance à chaque étape du travail et illustre l’histoire des hypothèses sur le sanctuaire et sa chronologie. Les testimonia font l’objet du deuxième chapitre qui comprend cinq textes littéraires, des comptes de construction et d’entretien, des inventaires (opportunément rassemblés sous forme de tableaux), des comptes et décrets. Le chapitre trois présente l’ensemble des constructions mises au jour dans le sanctuaire. Il s’agit des vestiges considérés comme mycéniens et préarchaïques, du temple et de l’autel archaïques, des vestiges connus comme le séma d’Hyperokhé et Laodiké, du portique coudé au nord-est du sanctuaire, de l’édifice J à l’ouest et des accès probables au sanctuaire. Le puits, le système hydraulique et les niveaux de sols sont également présentés.

3Mais c’est le temple hellénistique qui fait seul l’objet de la seconde partie : construit à la fin de l’époque de l’Indépendance (314–167) pour remplacer le temple archaïque, cet édifice hexastyle prostyle ionique à naos et pronaos ne conserve que ses fondations, quelques plaques d’euthyntéria et une centaine de blocs de l’élévation. Les vestiges sont décrits en cinq chapitres consacrés successivement aux éléments en place, aux blocs de la krépis et du toichobate, de la colonnade, des antes et des murs du naos, et pour finir de l’entablement, des frontons, des plafonds et de la couverture. La qualité et le nombre des photographies aériennes ou des clichés de détail de l’édifice, des plans, des coupes et des dessins des différents blocs permettent de suivre les descriptions et de comprendre les restitutions. L’analyse des fragments offre parfois l’occasion de proposer des hypothèses sur l’organisation du travail, par exemple le sens de la pose pour la krépis et le toichobate.

4L’examen d’ensemble permet de conclure que le temple d’Artémis est à la fois typique de l’architecture de son époque et qu’il s’inscrit dans une tradition athénienne qui remonte à l’époque classique. Il présente de plus quelques innovations, comme la réalisation de demi-colonnes engagées dans les quatre murs du naos, probablement à chapiteaux corinthiens (là aussi une innovation à Délos). L’ornementation du temple est remarquable : d’une part, l’association des marbres bleus et blancs dans l’élévation est plus typique de l’Indépendance que de l’architecture athénienne (les colonnes sont entièrement en marbre blanc, par exemple) ; d’autre part, le traitement des parements alternait des surfaces lisses sur la krépis, les orthostates, la colonnade et les pilastres et des surfaces piquetées avec ciselure périphériques sur les panneresses des murs et composait ainsi une formule originale.

5L’architecte était très probablement l’architecte délien rémunéré à l’année par le sanctuaire d’Apollon. Il met en œuvre une architecture qui relève de la koiné hellénistique tout en gardant certaines spécificités déliennes. Les travaux semblent s’être déroulés entre 190 et 180, voire un peu au-delà, ce que confirment l’architecture, les monnaies et les informations issues des comptes et des inventaires. Le chantier doit composer avec les monuments jouxtant le temple, comme le Pythion au sud et l’autel à l’est, et la volonté de préserver le naos du temple archaïque le temps des travaux. L’A. pense qu’il fallait y conserver le plus longtemps possible une relique plutôt que les offrandes et les caisses publique et sacrée qui s’y trouvaient. Quelques détails révèlent que le temple est resté partiellement inachevé. Le temple hellénistique d’Artémis semble être resté longtemps en usage, signe de l’importance à Délos du culte de cette déesse qui bénéficie encore d’autres lieux. L’exemple de ce sanctuaire, à travers ses aménagements architecturaux, ses relations avec le tout proche sanctuaire d’Apollon, ses spécificités, comme l’absence de fondation de monuments honorifiques, en fait un riche cas d’étude pour qui s’intéresse à l’architecture antique, à l’histoire de Délos ou au fonctionnement concret de la religion grecque.