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Chronique des activités scientifiques
Revue des livres
Comptes rendus et notices bibliographiques

Annelies Lannoy & Danny Praet, The Christian Mystery. Early Christianity and the Ancient Mystery Cults in the Work of Franz Cumont and in the History of Scholarship

Corinne Bonnet
p. 456-458
Référence(s) :

Annelies Lannoy, Danny Praet (dir.), The Christian Mystery. Early Christianity and the Ancient Mystery Cults in the Work of Franz Cumont and in the History of Scholarship, Stuttgart, Steiner, 2023. 1 vol. 17 × 24,1 cm, 335 p. (Classical Studies, 81). ISBN: 978-3-515-13197-1.

Texte intégral

1Structuré en trois parties thématiques et rassemblant onze contributions précédées par une riche introduction due aux deux éditeurs, ce volume étudie sous toutes ses facettes la relation complexe entre christianisme primitif et cultes à mystères. Franz Cumont (1868–1947), dont l’impact scientifique en ces matières a été marquant et durable, sert de point de départ à la réflexion qui se veut historiographique. Comment les contemporains de l’historien belge des religions ont-ils conçu l’articulation entre mystères et mystère, pour faire écho au célèbre livre d’Alfred Loisy, ami et correspondant de Cumont (Les Mystères païens et le mystère chrétien, Paris, 1919)? Quel statut les uns et les autres attribuent-ils à la méthode comparative qui s’affirme progressivement comme une voie privilégiée de l’histoire des religions, mais que d’aucuns, parmi les savants de mouvance chrétienne en particulier, considèrent avec grande méfiance, voire hostilité. À travers les divers points de vue offerts par les textes réunis, on accède aux débats, souvent enflammés, qui traversent plusieurs champs: histoire, philologie, théologie, philosophie, en particulier.

2Dans l’Introduction ( « Franz Cumont and the Historical-Religious Study of Early Christianity in Late 19th and Early 20th Century Europe », p. 9–56), A. Lannoy et D. Praet plantent le décor et font même bien plus que cela, en proposant une analyse très riche et approfondie des enjeux qui habitent l’œuvre de Franz Cumont depuis ses Religions orientales dans le paganisme romain (paru en 1906) et des positionnements de son entourage scientifique au sens large. Pour Cumont, comme pour bien d’autres savants, l’urgence est de rendre compte historiquement de l’émergence du christianisme et de son « triomphe », en partant du paysage religieux de l’Empire romain et de ses évolutions, à la fois internes et externes. Car, comme le rappellent les auteurs, Cumont établit une équation entre cultes à mystères et religions orientales, entre religions de salut et influences mazdéennes. Il faut aussi souligner l’approche en quelque sorte « oblique » de Cumont à la thématique de l’affirmation du christianisme, tout comme au judaïsme du reste; jamais, dans ses travaux, il ne leur consacre un chapitre spécifique. Sa correspondance indique qu’il s’agissait là d’un choix délibéré, de la part d’un savant qui se pensait comme un expert des religions polythéistes ou, selon son vocabulaire, du « paganisme ». En dépit de cet angle mort, les travaux de Cumont ont marqué la science francophone, allemande et italienne du début du xxe siècle.

3La complexité du débat analysé dans ce livre tient aussi à son inscription dans les tensions qui caractérisent la science européenne de la fin du xixe et du début du xxe siècle, avec des clivages nationaux et confessionnels exacerbés; comme l’écrivent A. Lannoy et D. Praet, « the process of making scientific and religious sense of the relation between the ancient mystery cults and Christianity generated a complex series of fault lines between scholars of different backgrounds. Between Protestant and Roman Catholic scholars hostilities were perpetuated and sometimes intensified. But also within the same Christian denominations liberal and conservative voices were opposed, which often lead to severe internal conflicts » (p. 25). Ils utilisent la correspondance entre Cumont et Loisy comme révélateur de ces profondes lignes de fracture. Ils ajoutent utilement deux ingrédients à ce tableau d’une rare complexité, à savoir l’orientalisme et l’antisémitisme, avant de proposer une synthèse des connaissances d’hier et d’aujourd’hui sur l’émergence du christianisme, et des paradigmes changeants auxquels sont adossés les divers discours interprétatifs; c’est l’occasion pour eux de situer, de manière préliminaire, les différents sujets/auteurs abordés dans le volume qui propose une fresque scientifique absolument passionnante, que l’on pourra enrichir et prolonger en lisant le tout récent volume coordonné par C. Facchini et A. Lannoy intitulé The Many Lives of Jesus. Scholarship, Religion, and the Nineteenth Century Imagination (Turnhout, Brepols, 2024). On signalera aussi que l’Introduction se termine sur une bibliographie très nourrie (p. 47–56) qui constitue déjà un outil de travail.

4La première partie, intitulée « Franz Cumont’s Thought on Early Christianity and the Religions orientales » (p. 59–138) réunit trois contributions : D. Praet et A. Lannoy, à nouveau sur « The Intellectual Empires of Babylon and Persia Have Not Fallen. Franz Cumont on the Influence of his Oriental Religions on Early Christianity » (une étude partant d’une citation par Cumont de Thomas Kelly Cheyne dans ses Bible Problems datant de 1904) ; L. Dirven, « Franz Cumont, the Mithraic Icon and Christian Representations » (au sujet des similitudes artistiques entre art mithriaque et art chrétien, que Cumont explique à travers une influence directe du premier sur le second, position audacieuse, de matrice « libérale », puisque, depuis la Réforme, un débat existait quant à la présence d’images dans l’Église primitive) ; F. Massa, « Pourquoi Bacchus ? Origine et enjeux de l’appendice sur les mystères bachiques dans les Religions orientales de Franz Cumont » (au sujet de l’appendice sur les mystères de Bacchus dans la 4e édition des Religions orientales de 1929, dans lequel Cumont envisage la possibilité d’emprunts directs opérés pas le christianisme, notamment en matière d’iconographies, un enjeu significativement abordé aussi par Lagrange, Loisy, Pettazzoni et Macchioro).

5Dans la deuxième partie, sous le titre « Contemporaries of Cumont on Early Christianity and the Ancient Mystery Cults », on lira avec grand intérêt les six contributions suivantes : A. Klostergaard Petersen, « Franz Cumont and the History of Religion School » (au sujet des positions de Hermann Gunkel et de la Religionsgeschichtliche Schule qui met l’accent sur l’expérience religieuse dans les religions à mystères et sur le rôle du judaïsme hellénistique) ; N.A.E. Kalospyros, « The Hellenistic Aspects of Religious Mystery Cults. Richard Reitzenstein and His Contribution to the Hellenized History of Religions » (sur les apports originaux de Reitzenstein, chercheur relativement marginal, caractérisé par un intérêt marqué pour l’hermétisme et le gnosticisme et la conviction que le christianisme primitif était une religion profondément syncrétique) ; C.J.T. Talar, « The Faith of a Rationalist Prosper Alfaric on Christian Origins » (sur la trajectoire d’Alfaric, ancien prêtre catholique, érudit traditionnel qui devient un pivot du rationalisme français, à la suite de son abandon de la religion et de l’adoption d’un cadre herméneutique évolutionniste, au sein duquel il plaçait toutes les religions sur un pied d’égalité) ; F. Amsler, « Cybèle et l’apôtre Philippe. Destins croisés dans l’histoire de la recherche jusqu’au début du xxe siècle » (sur la non prise en compte de certains textes chrétiens d’importance cruciale, comme les Actes apocryphes de l’apôtre Philippe de la fin du ive ou du début du ve siècle, portant notamment sur le culte mystérique de Cybèle en Phrygie et son rapport avec le christianisme local) ; J.-Ph. Schreiber, « Eugène Goblet d’Alviella, Franz Cumont et l’histoire comparée des religions » (sur Eugène Goblet d’Alviella, premier titulaire de la chaire d’histoire des religions à l’Université libre de Bruxelles, qui a abordé les cultes à mystères et le christianisme, à travers une interprétation ésotérico-historique en lien avec la franc-maçonnerie, sans toutefois connaître une grande postérité) et, enfin, N. Spineto, « Les études sur les mystères dans la culture italienne des années 1920. Umberto Fracassini, Vittorio Macchioro, Raffaele Pettazzoni et Nicola Turchi » (sur le contexte académique italien, dans lequel l’étude de la ou des religion[s] a longtemps souffert de l’hégémonie culturelle catholique et qui a produit des idées assez hétérogènes sur les cultes à mystères et le christianisme primitif, d’où se dégage la position lucide et nouvelle de Pettazzoni).

6Enfin, la troisième et dernière section du livre consacrée aux « New Approaches to Early Christianity and the Ancient Mystery Cults » regroupe deux interventions : Ph. Borgeaud, « La Mère des dieux, Attis, les Galles et les chrétiens » (où le culte de Cybèle et Attis est abordé à travers un double registre d’imaginaire, entre pratiques exotiques et sauvages, et traditions ancestrales ; dans les discours chrétiens, l’accent est mis sur les prêtres castrés dont l’abstinence sexuelle est appréhendée comme une imitatio diabolica de l’éthique sexuelle chrétienne) et A. Mastrocinque, « La trinité chrétienne, l’empereur Julien et le mithraïsme » (sur le fait que les parallèles entre christianisme et mystères païens peuvent relever d’analogies plutôt que d’emprunts ; ainsi le culte de Mithra et le christianisme partagent apparemment une sorte de « trinité », qui sont cependant profondément différentes).

7On n’a rendu compte ici que très imparfaitement de la richesse de ce volume passionnant, doté de plusieurs index qui en rendent la consultation très aisée (p. 321–334). Il intéressera à la fois les spécialistes de l’Antiquité et ceux de l’histoire intellectuelle et culturelle des xixe et xxe siècles.

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Pour citer cet article

Référence papier

Corinne Bonnet, « Annelies Lannoy & Danny Praet, The Christian Mystery. Early Christianity and the Ancient Mystery Cults in the Work of Franz Cumont and in the History of Scholarship »Kernos, 37 | 2024, 456-458.

Référence électronique

Corinne Bonnet, « Annelies Lannoy & Danny Praet, The Christian Mystery. Early Christianity and the Ancient Mystery Cults in the Work of Franz Cumont and in the History of Scholarship »Kernos [En ligne], 37 | 2024, mis en ligne le 13 juin 2025, consulté le 17 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/kernos/7713 ; DOI : https://doi.org/10.4000/146nn

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