David Beer, Popular Culture and New Media: the politics of circulation
Texte intégral
1Si les formes de la culture populaire sont aujourd’hui intimement liées aux nouvelles technologies (new media), les liens qui les unissent sont, selon le sociologue David Beer, chercheur à l’Université de York, relativement peu précisément étudiés. Son ouvrage entend ainsi travailler très précisément sur ces relations, dans la perspective des études sur les pratiques quotidiennes (everyday life). L’auteur part du constat qu’il semble impossible de penser la culture populaire, sous ses diverses formes de production et de consommation, sans les infrastructures que constituent les nouvelles technologies (Internet, jeux vidéos, réseaux sociaux, plateformes numériques, etc.). Cette première affirmation ne saurait se suffire à elle-même et David Beer propose de revenir sur la nature exacte de l’intersection entre ces deux entités, qu’il considère au cœur des questions sociales et culturelles auxquelles les sociétés contemporaines doivent faire face. L’outil méthodologique de l’étude consiste alors à conceptualiser cette intersection comme étant à l’origine de diverses circulations, c’est-à-dire comme autant de principes autorisant échanges, transferts et dynamiques au sein d’un système. La thèse de l’ouvrage sert également de conclusion : pour David Beer, les études sur la culture requièrent une attention plus grande portée à la matérialité des dynamiques qui accompagnent ou même forment les pratiques culturelles actuelles. Dans cette perspective, l’auteur prône un nécessaire retour sur l’ontologie de la culture (the doing of culture), un retour qui permettrait de reconsidérer les outils avec lesquels sont analysées ces pratiques culturelles et sociales.
- 1 Pour plus de détails, interview audio de l’auteur sur son livre, URL : http://thinkingculture.wordp (...)
- 2 Christine Barats (dir.), Manuel d'analyse du web en sciences humaines et sociales, Paris, Armand Co (...)
- 3 « Geography and the future of big data, big data and the future of geography », Dialogues in Human (...)
- 4 Patrick Manning, Big Data in History, Palgrave Macmillan, 2013. Compte-rendu de Frédéric Clavert su (...)
2Cette approche ambitieuse et « provocatrice »1 (p. 12), selon les termes du sociologue, est à replacer dans le contexte d’une longue série de travaux sur les liens entre la sociologie de la culture et des nouvelles technologies. Ces travaux sont notamment impulsés par les récents débats sur le big data, une problématique que l’on retrouve dans Popular Culture and New Media (chapitres 3 et 5) et qui attire de plus en plus significativement l’attention des sciences humaines et sociales2, et notamment de la géographie3 et de l’histoire4.
3Les circulations de la culture dans les nouvelles technologies prennent différentes formes, et David Beer s’attarde tout particulièrement sur celles qui passent au travers des archives, des algorithmes, des données (data play) et du corps, ou encore d’objets dont les relations mutuelles posent un certain nombre de questions auxquelles l’auteur tente de répondre. Ces questions (associées chacune à une échelle d’analyse différente) forment le canevas de l’ouvrage.
4L’introduction revient principalement sur les débats existant autour du concept de circulation mais aussi sur la contradiction contenue dans le fait d’écrire un livre papier à propos des nouvelles technologies, contradiction qui permet en réalité à l’auteur d’introduire les enjeux de son ouvrage et d’expliciter ses choix méthodologiques. Tandis que le deuxième chapitre s’intéresse aux objets et aux infrastructures qui constituent la matérialité de ces circulations, et qui les rendent possibles, le troisième chapitre aborde les questions d’archivage de la culture (c’est-à-dire de son organisation et de sa mise en ordre), celle-ci révélant en fait la manière dont s’auto-organisent ces circulations. Cela conduit David Beer à proposer une analyse des pratiques quotidiennes de cet archivage comme étant des « infrastructures participatives ». Dans le quatrième chapitre, l’auteur entend montrer comment la production des algorithmes dans les logiciels de ces nouvelles technologies influence directement (avec les modèles théoriques de la prédictibilité, notamment) la transformation des goûts et des préférences chez les individus : l’auteur défend l’idée selon laquelle une ontologie du goût et de sa formation se verrait transformée avec l’apparition et la pratique quotidienne de ces algorithmes.
5Le cinquième chapitre développe alors l’étude de ces pratiques quotidiennes et s’attarde sur la façon dont les utilisateurs du web « jouent » avec les données disponibles en ligne, et ce tant passivement (lorsqu’ils surveillent des tendances, par exemple) qu’activement (en travaillant sur la modélisation de ces données afin de produire des formes visuelles abouties et sophistiquées sur des faits de culture). Au sein de ces circulations, où situer le corps humain ? C’est l’objet du dernier chapitre de l’ouvrage qui replace le corps dans les systèmes de circulation de données décrits précédemment : David Beer propose une analyse des relations entre le corps et ces infrastructures de l’information comme des lieux (ou mieux, des interfaces) où la culture se produit.
6L’étude de David Beer se veut plus théorique et conceptuelle que véritablement explicative et illustrative. Il s’agit clairement pour l’auteur de contribuer à l’avancée des débats sur le thème, et non d’expliciter les liens entre culture et nouvelles technologies à des néophytes. Ceci résulte en un ouvrage extrêmement précis et articulé autour de différentes discussions conceptuelles relativement techniques. David Beer suggère entre autres l’utilisation du concept d’« assemblages culturels » (cultural assemblages) pour penser la façon dont la culture est dorénavant véhiculée par les infrastructures et les objets des nouvelles technologies. Parmi ce panorama conceptuel, les exemples de supports culturels et des nouvelles technologies (tels Netflix, Google Scholar, chordie.com) sont finalement peu développés et servent davantage d’amorces aux différents chapitres que de véritable cas d’études.
Notes
1 Pour plus de détails, interview audio de l’auteur sur son livre, URL : http://thinkingculture.wordpress.com/2013/09/23/an-audio-interview-about-my-book-popular-culture-and-new-media-the-politics-of-circulation/.
2 Christine Barats (dir.), Manuel d'analyse du web en sciences humaines et sociales, Paris, Armand Colin, coll. « U Sciences humaines et sociales », 2013. Compte rendu de Benjamin Ducol sur Lectures, URL : http://lectures.revues.org/13030.
3 « Geography and the future of big data, big data and the future of geography », Dialogues in Human Geography, vol 3, n° 3, novembre 2013, Sage. URL : http://dhg.sagepub.com/content/3/3.toc.
4 Patrick Manning, Big Data in History, Palgrave Macmillan, 2013. Compte-rendu de Frédéric Clavert sur Lectures, URL : http://lectures.revues.org/13803.
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Référence électronique
Louise Dorignon, « David Beer, Popular Culture and New Media: the politics of circulation », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 11 mars 2014, consulté le 19 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/13867 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.13867
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