3L’ouvrage débute par une préface de Michel Laroque, qui rappelle à la fois le contexte de parution de cette sélection de textes et les principales étapes de la vie de Pierre Laroque, né en 1907 et disparu en 1997, présenté comme « cofondateur de la Sécurité sociale française, acteur de celle-ci durant toute sa vie et promoteur des droits sociaux au niveau européen et international » (p. 1).

5L’ouvrage propose une présentation des textes choisis suivant une démarche thématique, autour de huit chapitres qui sont autant d’étapes ou d’axes majeurs dans la réflexion de Pierre Laroque en matière de protection sociale.

6Le premier chapitre traite des écrits de Pierre Laroque avant 1944. En effet, en parallèle de ses travaux au Conseil d’État, au sein duquel il est admis en 1929, il s’intéresse de façon précoce aux questions sociales, devenant rapporteur d’une commission créée au ministère du Travail et de la Prévoyance sociale et en charge de la mise en œuvre de la loi récente sur les assurances sociales. En 1931, il est appelé au cabinet d’Adolphe Landry, ministre du Travail et de la Prévoyance sociale, avant d’être nommé rapporteur au Conseil supérieur des assurances sociales.

8Le chapitre suivant, davantage thématique, traite des enjeux de « Sécurité, solidarité, dignité, prévention et démocratie sociale » (p. 141), permettant d’approfondir un certain nombre d’aspects du « plan Laroque », à travers neuf textes qui s’échelonnent de 1958 à 1988.

9Le quatrième chapitre est quant à lui consacré aux politiques des prestations légales (famille, santé, vieillesse, accidents du travail, revenu minimum) et développe des aspects techniques en lien avec les modalités de la couverture de ces risques sociaux. Il comporte également un article portant sur la place de la Mutualité dans le nouvel édifice (p. 304).

10Le chapitre 5 se concentre sur l’action sanitaire et sociale, qui vise essentiellement à s’adapter à la rigidité du système légal de la protection sociale pour mieux répondre aux attentes réelles des assurés, à l’échelle locale et de façon plus humaine qu’un système étatisé et bureaucratique.

11Le chapitre suivant, intitulé « Économie et financement de la Sécurité sociale », rappelle que la Sécurité sociale était initialement conçue comme indépendante du budget de l’État et que son financement reposait sur le principe de la cotisation des travailleurs et des employeurs. Pierre Laroque souligne également sur le fait que cette autonomie financière devait s’étendre à la direction générale de la Sécurité sociale et à ses directions régionales, ce qui fut le cas jusqu’à la réforme de 1967.

12Le septième chapitre est consacré aux aspects internationaux de la Sécurité sociale. Il donne à voir l’intérêt de Pierre Laroque pour les questions de protection sociale à l’échelle internationale et sur son influence dans la conception de systèmes de sécurité sociale dans divers pays du monde et instances internationales, comme à travers la préparation de la convention 102 de l’Organisation internationale du travail ou de la Charte sociale européenne.

14Par ailleurs, il nous semble que cet ouvrage doit être lu pour ce qu’il symbolise, à savoir une nouvelle pierre apportée à l’édifice de la mémoire de Pierre Laroque, présenté en quatrième de couverture comme le « père » de la Sécurité sociale, puis plus sobrement, dans la préface, comme son « cofondateur » (p. 1). Il n’est à ce titre pas inutile de rappeler que le CHSS a été mis en place en 1973 sur la proposition de Pierre Laroque, alors président de la section sociale du Conseil d’État. Michel Laroque, lui-même membre du CHSS, peut être identifié comme un porteur de la mémoire de son père, comme ont pu l’être Philippe de Gaulle ou Liliane Caillaud-Croizat pour leurs pères respectifs, dans le cadre d’un conflit de mémoires et d’une « paternité disputée » de la Sécurité sociale.

15On peut alors regretter la faible place accordée au rôle pourtant majeur d’Ambroise Croizat dans la mise en œuvre du régime général de la Sécurité sociale. Celui-ci voit son implication dans cette histoire réduite à deux mentions anecdotiques, étant à chaque fois présenté simplement comme le successeur d’Alexandre Parodi et le prédécesseur de Daniel Mayer au ministère du Travail et de la Sécurité sociale. Les deux mentions raccourcissent d’ailleurs son passage rue de Grenelle : alors qu’il fut nommé le 20 novembre 1945 par le général de Gaulle et qu’il fut limogé en même temps que les autres ministres communistes le 4 mai 1947, l’auteur date son entrée en fonction en janvier 1946 dans la préface (p. 2) et en décembre 1945 dans l’introduction du deuxième chapitre (p. 59), rappelant à cette occasion que Croizat était communiste et qu’il connut une interruption dans ses fonctions (du 16 décembre 1946 au 22 janvier 1947). Au-delà de cette mise au second plan de Croizat, la focalisation sur le versant juridique et administratif de la « Sécu » élude aussi l’implication des milliers de militants syndicalistes qui construisirent cet édifice.

16De fait, cet ouvrage semble personnifier la Sécurité sociale sous les traits de Pierre Laroque, qui apparaît in fine comme le principal, pour ne pas dire le seul artisan de la création de la Sécurité sociale, profitant de la seule bienveillance de ses ministres de tutelle pour mener à bien son œuvre.

17Malgré cette réserve, la publication de cet ouvrage permet de saisir l’ampleur de la production écrite de Pierre Laroque. En annexe, une bibliographie de la plupart de ses écrits, classés de façon chrono-thématique, invite à se renseigner davantage sur ces ouvrages clés dans l’histoire et la pensée du système social français. Parmi ces références, les mémoires de Pierre Laroque, intitulés Au service de l’homme et du droit. Souvenirs et réflexions, permettaient déjà d’avoir une vision globale et cohérente de sa pensée et de son rôle dans la création de la Sécurité sociale, que ce présent ouvrage vient donc compléter.