• 1 Concept très vite devenu un jargon journalistique, la résilience mériterait, d’ailleurs, elle aussi (...)

4 Le quatrième chapitre met en rapport l’adaptation et la question de l’immunité. À partir d’un certain moment, on traite le changement climatique comme une menace contre laquelle il faut « lutter ». L’apparition d’un vocabulaire belliqueux n’est pas le fruit du hasard, il arrive dans une ambiance de lutte contre le terrorisme à partir des années 2000. Le concept de résilience émerge aussi à cette époque1. L’adaptation, la résilience et la démarche sécuritaire contre-terroriste se combinent lors de l’ouragan Katrina, mais surtout lors les attentats du 11 septembre 2001 : cet événement a transformé « le terrorisme de cause extérieure en paradigme de l’action (le contre-terrorisme) pour penser la résilience urbaine » (p. 101). L’anticipation et la préemption prennent la place de la prévention pour s’imposer, selon les auteurs, comme une « redoutable logique adaptative » (p. 116). Le cas de l’ouragan Katrina revient dans le cinquième chapitre pour penser « l’adaptation par la désadaptation » et la « démodernisation » (p. 140). Il fait émerger « la puissance de l’urgence » et « l’apparente inutilité de la prévision » (p. 144). Dans de telles situations, le temps manque et il faut souvent agir sans pouvoir tenir compte de l’éthique ou des croyances : « cas limite de préemption, l’urgence fournit à la pensée aménagiste l’opportunité de rendre inutile la prévision pour fonder l’action » (p. 148). La tentation immunitaire ne sort pas du cycle destructeur, observent Berdoulay et Soubeyran. Contre cela, ils proposent de penser l’aménagement en relation avec la nature. C’est l’enjeu du sixième chapitre qui traite de la récente patrimonialisation et de l’aménagement de la nature en France. Deux tendances différentes sont montrées. D’une part, avec l’idée de résistance, on se propose d’immuniser les territoires. Deux exemples emblématiques de cette pratique seraient les écoquartiers et les villes vivrières. D’autre part, avec l’hypothèse de résilience ce ne sont pas les territoires qu’il s’agirait d’immuniser, mais la nature. Cette tendance-ci se manifeste notamment dans la patrimonialisation de la nature.

• 2 Holloway, John, Crack Capitalism: 33 thèses contre le capital, Paris, Libertalia, 2012, p. 31.

5 Pour conclure, les auteurs proposent d’aborder la notion d’adaptation selon des angles divers. On considérera avec eux désormais que l’adaptation est une notion utile pour transformer l’environnement social de manière positive et participative. Avec cette notion, les auteurs proposent de prendre en compte des conséquences non intentionnelles de l’aménagement, les erreurs de décisions, ou de désapprendre pour apprendre, tout cela de manière assez programmatique : « l’aménageur n’est pas un savant ni un expert omniscient, sa légitimité venant de la réflexivité qu’il introduit dans le processus de planification et de sa capacité à l’accompagner avec ses interlocuteurs » (p. 194). Un passage des plus intéressants reprend à ce propos les travaux antérieurs de Soubeyran, où l’auteur s’est inspiré de l’improvisation et du jazz comme technique et principe d’action. Malgré son absorption par l’idéologie néolibérale, les auteurs soutiennent que « l’improvisation constitue une façon d’agir et propose une stratégie d’adaptation en situation d’incertitude constante, notamment parce qu’il faut piloter par les conséquences » (p. 213). L’improvisation semble ainsi devenir une notion de plus en plus importante pour le temps actuel. À présent, pour éviter la catastrophe et en vue d’une démocratie écologique, le défi éthique majeur de l’aménageur semble être de « s’attendre à l’inattendu » (p. 206). La limite de l’ouvrage, cependant, c’est qu’il aurait pu s’appuyer davantage sur le point de vue de l’aménagement pour spéculer davantage sur les possibles conséquences du réchauffement climatique. À la fin de la lecture d’Aménagement, on a l’impression que Berdoulay et Soubeyran ont très vite accepté cette nouvelle situation sans pour autant offrir aucune alternative ni résistance. On pourrait peut-être tracer le chemin inverse et partir de l’interprétation de la dialectique négative faite par John Holloway comme « dialectique de l’inadaptation »2 pour penser l’aménagement face à la menace climatique.