• 1 Florian Gulli, Jean Quétier, Découvrir Marx, Paris, Les Éditions sociales, coll. « Les propédeutiqu (...)
• 2 Florian Gulli, Jean Quétier, Découvrir Engels, Paris, Les Éditions sociales, coll. « Les propédeuti (...)

1Si l’œuvre du philosophe Antonio Gramsci (1891-1937) peut parfois susciter le découragement des spécialistes comme des profanes, tant sa complexité est redoutable, cette anthologie commentée, réalisée par Florian Gulli et Jean Quétier, propose de fournir les préalables à sa découverte. Parue dans la collection « Les propédeutiques », au même moment que Découvrir Marx1 et Découvrir Engels2, elle vise, d’une part, à illustrer certains concepts gramsciens en les inscrivant dans le contexte historique qui les a vus naître, et d’autre part à « redonner à Gramsci toute sa modernité sur des questions aussi cruciales que celles de la stratégie, du parti et de l’État » (p. 12). Le livre se compose d’une introduction, d’une courte biographie et de douze chapitres structurés de la même manière. En effet, les textes de Gramsci, d’environ deux pages, sont toujours suivis par une contextualisation historique, par l’énonciation d’une problématique, par un commentaire des points cruciaux de l’extrait, ainsi que par une section « Pour aller plus loin ».

• 3 Ernesto Laclau, Chantal Mouffe, Hégémonie et stratégie socialiste. Vers une radicalisation de la dé (...)
• 4 Gulli et Quétier empruntent cette formule à George Hoare et Nathan Sperber, Introduction à Antonio (...)

2Dans l’introduction, les auteurs précisent qu’ils n’ont pas voulu rendre compte des multiples lectures dont l’œuvre de Gramsci a fait l’objet, mais ils ne prennent pas moins leurs distances avec trois types de reprises politiques de sa pensée. La première est celle d’une partie de la droite et de l’extrême droite, consistant à présenter la lutte pour l’hégémonie comme une confrontation d’idées sans aucun lien avec les conditions objectives de leur émergence. Cette perspective, que les auteurs qualifient de « tronquée », dissimulerait le fait que Gramsci « n’a jamais réduit l’hégémonie au “front culturel” et [...] n’a jamais cessé de la lier aux fronts politiques et économiques » (p. 8). La deuxième reprise est celle qui a été proposée par Ernesto Laclau et Chantal Mouffe dans Hégémonie et stratégie socialiste3. Si les auteurs concèdent que leur interprétation est stimulante, ils considèrent néanmoins que Laclau et Mouffe ont proposé un « Gramsci sans Marx »4, puisqu’ils ont fait abstraction du concept de lutte des classes en mettant en avant l’idée de « peuple ». La troisième reprise que Gulli et Quétier récusent est celle d’un Gramsci sans Lénine. Selon cette lecture, l’intellectuel sarde ne serait qu’un théoricien de la culture, à l’instar de nombreux représentants du marxisme occidental. Cette interprétation conduirait à relativiser l’engagement politique de Gramsci et à faire l’impasse sur la question stratégique, partant sur le rapport entre théorie et pratique. Au contraire, la lecture que proposent les auteurs du livre s’appuie sur « sa réflexion stratégique orientée vers la construction d’un “bloc social” » (p. 12), expression qui désigne l’alliance des classes en vue de la conquête du pouvoir d’État.

• 5 Gentile fut aussi ministre de l’Éducation au service du régime fasciste.
• 6 Voir http://bg.fondazionegramsci.org/biblio-gramsci/bibliografia.

4Si ce livre rend plus aisée la découverte des écrits de Gramsci, on peut regretter que peu d’informations soient données sur certaines personnalités qui ont joué un rôle important dans la formation intellectuelle de Gramsci. Alors qu’Henri Bergson fait l’objet d’une note courte mais opportune, précisant les lignes directrices de sa philosophie (p. 52-53), Giovanni Gentile, bien moins connu dans le monde francophone, n’est présenté que comme un philosophe hégélien5. De plus, la section « Pour aller plus loin » aurait gagné à signaler l’existence de ressources en ligne, comme la Bibliografia gramsciana6, permettant de s’orienter plus aisément dans le très vaste univers des écrits de et sur Gramsci. Par ailleurs, Gulli et Quétier affirment avoir voulu « rendre le mieux compte de la cohérence de sa pensée » (p. 19), mais la notion de cohérence peut-elle vraiment s’appliquer à une œuvre si fragmentaire, sujette à de nombreux remaniements de la part de l’auteur et somme toute inachevée ? Nous conseillons néanmoins ce livre, dont la lecture est agréable et enrichissante, à tous ceux qui souhaitent se faire une première idée de l’œuvre de Gramsci et comprendre en quoi sa pensée est encore d’actualité.