Tshopo
Présentation de l'éditeur
Avec ses 199 567 km², la province de la Tshopo est la plus vaste du pays. Aux confins du bassin du Congo et de la région des montagnes de l’est, c’est un espace de contacts de cultures et de peuples qui partage une frontière commune d’un périmètre de 3073 km avec huit autres provinces. Kisangani, son chef-lieu, occupe une position géographique centrale assurant le lien entre les anciens districts de l’Aruwimi (dont il hérite des territoires d’Opala, Basoko, Isangi et Yahuma) et de Stanleyville (les territoires de Bafwasende, Banalia et Ubundu) réunifiés en 1932.
La ville se situe à la jonction des routes venant du nord-est du pays et constitue l’arrivée des voies des provinces voisines. Cette localisation explique l’intérêt de ce site à la fois pour les Arabo-Swahili, dont Tippo Tip était le chef et pour les lieutenants du roi Léopold II, menés par Stanley, qui lui donna son nom colonial de Stanleyville. La particularité de la Tshopo, qui est le résultat d’une situation locale liée à la géopolitique, au peuplement composite et à l’action des dominations étrangères, mua Stanleyville en bastion du nationalisme congolais à la décolonisation. Kisangani, un site hétéroclite déjà spécifique dans la Province-Orientale créée en 1913, se démarqua pour constituer un solide point d’attraction. C’est à Stanleyville que Patrice Lumumba se construisit. La ville qu’il finit par bien connaître fut son berceau d’adoption, de 1944 à 1956. Il y revint en 1959, pour installer sa base politique au bénéfice de laquelle il sut capter le vécu local à sa racine. Il conquit une opinion fragilisée par le manque d’emplois et les conditions de vie rudimentaires. Au moment où partout ailleurs au Congo l’identité autochtone figeait la participation politique, Kisangani revendiquait l’identité nationale. De mai 1959 à novembre 1964, son empreinte fut marquante : la ville était devenue le foyer de la résistance contre le pouvoir central pro-occidental de Léopoldville. Pour éradiquer les Lumumbistes et reconquérir Stanleyville occupée par les Simba, les Belges parvinrent à entraîner les Américains dans leur sillage. Pendant ce temps, à Léopoldville, Kasa-Vubu (le chef de l’État), Tshombe (devenu Premier ministre) et Mobutu (le chef de l’armée) se retrouvèrent en une union sacrée autour du même objectif, associant ainsi l’Armée nationale congolaise et les ex-gendarmes katangais. Un an après, le 24 novembre 1965, s’ouvrait la Deuxième République. La convocation à Léopoldville des officiers supérieurs de l’armée congolaise à l’organisation de la cérémonie du premier anniversaire de la victoire sur Stanleyville servit de cadre pour le coup d’État qui hissa Mobutu au pouvoir. L’image de Kisangani, « la rebelle », acquise au Lumumbisme, découragea au départ la promotion politique des originaires de la Tshopo. Au niveau local, on observait que les «originaires lointains » supplantaient ceux de la Tshopo dans le quota de la représentation régionale de la grande province du « Haut-Zaïre » mobutiste aux fonctions de pouvoir. En fait, la situation avait des racines beaucoup plus anciennes. La Province-Orientale coloniale avait toujours connu un décalage entre son espace administratif qui lui échappait économiquement et son espace d’échanges commerciaux plutôt situé à l’est avec l’Ouganda et le Kivu. Si Stanleyville demeurait la capitale provinciale, elle n’avait en fait que très peu de contrôle sur les Uele et l’Ituri.
Kisangani est toujours restée un lieu de passage, plus qu’une place de pouvoir ; c’est un lieu de transit et non de création de richesses. Il s’agit avant tout d’une cité administrative ; une fonction due à son origine. En effet, elle naquit de la juxtaposition de camps de travailleurs davantage que de la formation d’une agglomération urbaine naturelle. Elle a toujours été un centre d’exploitation rurale au profit de l’économie nationale ; une ville dépendante de Kinshasa, exception faite des périodes de guerre et de blocus de la navigation l’ayant obligé à se tourner vers l’est. À titre d’exemple, l’ancienne Province-Orientale, à cause de sa position géopolitique (Kisangani dans la Tshopo ou Bunia dans l’Ituri), servit de théâtre d’affrontements aux différentes factions rebelles sous Kabila père et fils. Mais si la ville a été économiquement marquée par son histoire politique, elle est résiliente et dynamique de par sa localisation et ses ressources naturelles qui lui offrent un panel d’opportunités sociales et économiques. Une partie appréciable de cette monographie de la Tshopo est consacrée à sa faune et à sa flore, à la construction politico-administrative de Kisangani et des territoires de la province, à son peuplement et à son économie, de même qu’à de nombreux événements majeurs du pays qui y trouvèrent leur foyer.
