2Une approche mixte, qui allie étude quantitative et qualitative, traverse l’ouvrage. Les contributeurs adoptent plusieurs instruments symboliques (participation observante, entretiens, étude documentaire, encadrés synthétiques) pour investiguer les cas à l’étude. L’analyse de contenu permet de mesurer les activités de médiatisation des personnalités politiques à travers le nombre d’apparition, les occurrences et les surfaces occupées dans les contenus de presse écrite, parlée et télévisée.

3D’emblée, le capital médiatique apparaît le fruit contingent de « luttes et rapports de force » prévalant dans le cirque médiatique. Il n’est pas gagné d’avance et s’acquiert au prix d’investissement (jouir de la visibilité journalistique), de transformation (exploiter la visibilité et la transmuer en construction médiatique) et d’appropriation (influencer les sphères sociales, bâtir une pérennité politique). Prolongement du capital politique, il procède de la validation : une reconnaissance externe provenant des individus hors du champ de compétition politique, une reconnaissance interne des pairs et concurrents politiques et une reconnaissance intermédiaire de la part d’experts, d’ONG, de lobbyistes et de protagonistes de l’espace médiatique. À cet égard, le capital médiatique devient « la somme des rapports sociaux qui se jouent indissociablement dans l’accumulation, sous forme de stratégies d’accès aux médias, dans la conversion, selon les règles de fonctionnement du champ journalistique, dans la mobilisation, comme capacité à agir dans les jeux sociaux où il peut être opérant » (p. 8). Partant, le capital médiatique permet d’éprouver les rapports sociaux pour apprécier la charge médiatique dans la balance politique, si tant est que les protagonistes politiques acquièrent de la valeur à travers la construction médiatique.

4Ainsi, Pierre Leroux et Philippe Riutort soutiennent la thèse de la subordination du champ journalistique au champ politique. Se référant au bref parcours d’Emmanuel Macron dans l’appareil bureaucratique et étatique, ils signalent un déséquilibre notoire entre l’offre (Macron) et la demande (médias) résultant de la position dominante de Macron et de la maitrise de l’agenda médiatique . Ils précisent en outre que le succès politique de Macron est le fruit de reconnaissance d’acteurs, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du champ de compétition politique, disséminés dans des espaces sociaux hétéroclites. Par ailleurs, Aïcha Bourad questionne le poids des ressources médiatiques dans la réussite politique à travers l’analyse de la trajectoire politique de José Bové. Elle retrace l’évolution du parcours militant de Bové, qui s’accompagne d’une reconnaissance médiatique pour ses implications dans des luttes contre le militarisme du Larzarc, le géant McDonald’s, les OGM, l’insouciance des autorités politiques, etc. Des combats au cours desquels Bové accumule un « savoir-faire militant » qui l’habilite à se présenter à la présidentielle dans un contexte de « crise de la parole politique légitime » (p. 47) et de soulèvement des médias contre les pressions politiques. Médias aidant, la notoriété de Bové va s’accroissant au point d’attester de la valorisation du « savoir-faire militant » dans le champ journalistique. Or, cette valorisation demeure aléatoire avec son entrée en politique sans mandat politique institutionnel qui pervertit son capital militant (p. 52). Le cas de Bové montre que la personnalité politique doit bénéficier de notoriété médiatique et de « mandats politiques » pour maximiser sa chance de gagner en politique.

5En revanche, si l’acquisition de mandats politiques institutionnels s’avère décisive, elle ne constitue pas une panacée pour que le personnage politique soit médiatisable. C’est la position défendue par Safia Dahani, qui examine la médiatisation des porte-paroles du Front national (FN) en regroupant le nombre d’invitations des cadres dans les médias. Dahani observe que si les porte-paroles s’accréditent du mandat du FN, ils n’ont pas les mêmes prédispositions aux médias, les mêmes parcours académiques et politiques, voire les mêmes compétences et qualités professionnelles. Dès lors, un fossé se creuse entre les cadres du FN dans l’accès aux médias. Ainsi, la dotation en capital politique et symbolique, les relations avec les journalistes, les « savoir-faire et savoir-être » (p. 71) acquis au cours du processus de socialisation politique antérieure jouent un rôle prépondérant dans la médiatisation des cadres du FN et conduisent à l’inégale médiation en ce qu’ils disposent des ressources sociales, culturelles, voire politiques différenciées.

6Cela dit, Sidonie Verhaeghe scrute les usages de la visibilité politique de Louise Michel, révolutionnaire, féministe et anarchiste dépouillée de toute prétention électoraliste. Elle expose que la célébrité politique de Louise Michel réside dans ses engagements militants, sa capacité à mobiliser des ressources sociales dans des espaces sociaux hétérogènes ainsi que dans sa « visibilité journalistique » générée par une presse écrite partisane scindée en pro- et anti-Louise Michel. Celle-ci accuse d’une immense médiatisation qui la place en position dominante et lui permet de soutirer des bénéfices individuels et collectifs (p. 77). Parallèlement, Johanna Edelbloude examine l’implication du parcours du personnage politique dans « la (re)conversion locale d’un capital médiatique à l’épreuve du temps » en s’arcboutant sur la carrière politique de l’ancien maire de Pau, André Labarrère (1966-2006), cas fécond dans lequel le capital médiatique agit comme « gage de compétence politique » insécable de longévité politique. Mais tout l’enjeu est de transmuer les prérogatives médiatiques en capital politique et assurer sa continuité. Dès lors, pour régner sur la scène médiatique, la personnalité politique doit avoir la capacité à renouveler et de légitimer le capital politique par la consolidation d’expédients adéquats (p. 89).

7Cependant, les médias conventionnels ne détiennent pas l’exclusivité de l’activité de médiatisation. Ainsi, Sandrine Roginsky investigue la valeur ajoutée des usages des dispositifs socionumériques dans la fabrication du capital médiatique des parlementaires européens. L’analyse de leurs activités de médiatisation pointe la faible visibilité des députés assignés aux fonctions valorisées et la marginalité des réseaux socionumériques, dont Twitter, dans la construction d’un capital médiatique. Toutefois, une forte visibilité numérique est loin de garantir une puissante notoriété médiatique. C’est d’ailleurs ce que révèle Marie Neihouser qui étudie le cas de l’outsider Étienne Chouard dans sa démarche de publicisation des documents intitulés « Une mauvaise constitution » et « Les Grands Principes d’une Bonne Constitution ». Si Chouard retire une visibilité médiatique conséquente, il souffre d’un déficit de maturité politique et de maitrise du jeu médiatique.

8Par ailleurs, Benjamin Ferron met à l’épreuve le capital médiatique en étudiant son rôle chez les professionnels des Médias libres qui revendiquent le droit d’accumuler de « capital militant » en ce qu’ils symbolise des espaces de luttes pour la visibilité et la reconnaissance des malaises sociaux. Ferron découvre des tensions entre des acteurs disséminés dans des sous-champs militants et journalistiques variés arborant la dyade des investissements dans la production du capital médiatique alternatif. Aussi observe-t-il la perversion de la logique instituée par les mainstream media.

9In fine, un débat théorique fécond, animé par Desrumaux et Nollet, met au prise Erik Neveu, Dominique Marchetti, Daniel Gaxie, Éric Darras et Delphine Dulong. Les intervenants pointent les contours fuyants de la notion de capital dans ses fonctionnalités empiriques et théoriques et avalisent des pistes de recherches qui permettent de tester « la dimension symbolique et médiatique du capital politique » (p. 155).