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Gisèle Sapiro, La responsabilité de l'écrivain. Liitérature, droit et morale en France (XIXe-XXIe siècle)

Constantin Apovo
La responsabilité de l'écrivain
Gisèle Sapiro, La responsabilité de l'écrivain. Liitérature, droit et morale en France (XIXe-XXIe siècle), Seuil, 2011, EAN : 9782021032888.
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Texte intégral

1Vaste entreprise à laquelle s’est attaquée Gisèle Sapiro. Elle nous livre en sept cents pages : « une généalogie des conceptions de la responsabilité de l’écrivain, dans une perspective de sociologie historique » (p. 33). Pour ce faire elle examine quatre périodes historiques différentes (la Restauration, le Second Empire, la Troisième République et la Libération) durant lesquelles les procès faits à des auteurs célèbres sont utilisés pour saisir les représentations de la responsabilité sociale de l’écrivain. Ceux-ci sont pensés comme constituant des moments privilégiés pour observer l’élaboration collective d’une « déontologie » du métier d’écrivain, qui contribue ce faisant à l’autonomisation du champ littéraire (p. 39-40). Les quatre périodes retenues constituent : « quatre moments-clés des débats sur la responsabilité de l’écrivain (p. 27), c'est-à-dire des moments où l’instauration d’un nouveau régime induit ou entraîne celle d’un nouveau cadre législatif.

2Le livre s’organise en quatre parties principales, elles mêmes subdivisées en trois chapitres. A travers ces chapitres sont examinés le cadre législatif de la période considérée, au sein duquel s’insèrent les règles juridiques et morales relatives à la publication et dont la violation (réelle ou supposée), par un des auteurs dont il est question, a déclenché une procédure judiciaire ; les articles parus dans les journaux, les discussions entre écrivains motivées par le passage en cour de justice de leurs confrères, passages qui, d’après Gisèle Sapiro, « contraignent les hommes de lettres à énoncer les règles et principes de leur métier » (p. 39). C’est précisément, le procès et tout ce qu’il occasionne comme débat public, qui permet à l’auteure d’avoir accès à l’histoire des représentations et de reconstruire la généalogie des conceptions de la responsabilité de l’écrivain. Nous la voyons se définir à travers les procès de Pierre-Jean de Béranger, Paul-Louis Courier, Gustave Flaubert, Charles Baudelaire et bien d’autres.

3Le cadre de la réflexion de Gisèle Sapiro s’inscrit, entre autres, dans les travaux de Pierre Bourdieu et de Michel Foucault sur la définition de l’auteur et l’autonomisation du champ littéraire. Plus qu’un travail de sociohistoire concernant l’évolution de la conception de la responsabilité de l’écrivain, elle produit ici une histoire de l’évolution de certains concepts juridiques, une histoire partielle de l’évolution de la morale et des styles de la littérature, et également, en creux, une histoire de la concurrence entre les instances officielles (l’Etat et le clergé) et les compétences particulières (celles de l’écrivain) pour l’élaboration, la délimitation, et la légitimité d’un discours sur ce qu’est ou devrait être la société.

4On a parfois l’impression dans la description de l’exercice de la censure, à travers les agents qui la représentent, comme par exemple l’avocat général Pinard dans les procès de Flaubert et de Baudelaire, ou Edward Carson dans le procès intenté par Oscar Wilde contre le Marquis de Queensberry, qu’il s’agit d’un jeu de concurrence pour une parole que l’on réprouve si l’on n’a pas soi-même la capacité de la dire, alors qu’on l’aurait peut être souhaité. Un jeu parce que l’avocat général et celui de la défense figurent les bonnes mœurs alors qu’en dehors de l’arène publique du tribunal l’un compose des vers licencieux, l’autre a suivi le même parcours que Wilde sans avoir la même fortune littéraire.

5On aura compris que responsabilité signifie en filigrane attribution (ou auto-attribution) d’une fonction ou d’un rôle et donc accord ou désaccord pour les caractéristiques de ce rôle, de la part des autorités judiciaires mais aussi entre les écrivains qui, au nom de la conception qu’ils se font de leur art, se rallient ou s’opposent à l’idée de fonction, de rôle et de responsabilité. Bien que l’on soit séduit par le brio et l’érudition avec lesquels Gisèle Sapiro propose cette généalogie des conceptions de la responsabilité de l’écrivain, on peut se demander si de telles conceptions ne peuvent pas se définir en dehors de la censure, c'est-à-dire en dehors de la judiciarisation de certaines œuvres.

  • 1 On pense par exemple aux colloques ou aux séminaires qui sont des moments d’échanges entre spéciali (...)

6Peut-on observer le développement d’une éthique, plus ou moins corporatiste, du métier d’écrivain ? Visiblement non puisque l’auteure nous fait remarquer que chaque style a ses présupposés, et que les débats entre écrivains font rage, comme par exemple au moment de l’épuration du monde des lettres consécutive à la Libération, autour de l’idée de responsabilité. La conception du but de l’art ou de sa vocation fait partie intégrante, selon nous, de la conception de la forme, qu’on ne peut, par ailleurs, que difficilement détacher du fond. Par exemple si Flaubert déclare ne vouloir que « bien écrire le médiocre », on devine dans la formule sa volonté de mettre l’accent sur l’esthétique, plutôt que l’éthique. Dès lors, s’il rencontre la censure, comment déterminer que la procédure judiciaire, engagée pour outrage ou une autre raison, n’est pas une sanction symbolique pour réprimer l’aspect novateur du récit qui s’écarte trop des critères institutionnels de définition de la littérature et ne correspond pas à « l’horizon d’attente » des lecteurs autorisés, c'est-à-dire des lecteurs ayant la capacité de manifester leur mécontentement par l’action en justice. La censure serait alors la conséquence d’une inadéquation, entre la proposition de l’écrivain et la réception d’un certain public (les garants de la morale ne sont pas l’ensemble des lecteurs mais sont des lecteurs autorisés). Les procès ne seraient, conséquemment, en rien des moments fondateurs d’une notion de responsabilité, parce qu’ils ne feraient que refléter la réception problématique d’une œuvre et, éventuellement, mettre en lumière une nouvelle conception de la littérature, peut-être, déjà longuement élaborée, dans le silence des moments de travail, et discutée avec des collègues dans des échanges informels (des discussions dans des cafés ou des salons) ou formels (comme la correspondance privée ou des rencontres de travail1), avant de survenir dans l’espace public par l’acte de la publication. Publicisation d’une nouvelle conception de l’art, ici de la littérature, et élaboration d’une déontologie corporatiste sont-ils nécessairement synonymes ?

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Notes

1 On pense par exemple aux colloques ou aux séminaires qui sont des moments d’échanges entre spécialistes où l’on peut mettre à l’épreuve des idées et des théories avant de les rendre publiques. Si ces deux exemples de rencontres peuvent être anachroniques sur le plan de l’onomasiologie, ils ne le sont peut-être pas sur celui de la sémasiologie

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Pour citer cet article

Référence électronique

Constantin Apovo, « Gisèle Sapiro, La responsabilité de l'écrivain. Liitérature, droit et morale en France (XIXe-XXIe siècle) », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 25 avril 2011, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/5238 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.5238

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Rédacteur

Constantin Apovo

Etudiant en Master 2 de Socio-Anthropologie à l'université Paris-Ouest-Nanterre-La défense.

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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