2Le premier axe traité dans l’ouvrage circonscrit les objets connectés en santé dans une course à l’innovation technologique et à la reconnaissance institutionnelle. Camille Jean, docteur en génie industriel, décrit ainsi les coulisses de la production de ces objets, décomposée en deux étapes avant leur commercialisation : une phase de conception et une phase de mise sur le marché, comprenant plusieurs évaluations et une mise en conformité réglementaire. Toutefois, peu de ces objets connectés interviennent dans l’organisation actuelle des soins, étant donné l’absence de référentiel antérieur à celui édité par la Haute autorité de santé (HAS) en 2016 pour leur évaluation. Dans ce contexte, Marie-Pia d’Ortho, docteure en médecine, présente dans sa contribution une étude initiée en 2017 à l’hôpital Bichat, sur la mise en place d’une plateforme d’évaluation et de validation de trois objets connectés pour la prédiction précoce d’événements graves sur des patients ayant reçu une transplantation pulmonaire. L’autrice y mentionne également les difficultés rencontrées, à savoir l’incompatibilité des différents systèmes d’exploitation pour le transfert de données, le manque d’autonomie des objets connectés et la contrainte de temps long nécessaire à leur validation, comparé à la rapidité de l’innovation.

3Mais aussi, les objets connectés en santé dépendent de l’intelligence artificielle (IA) et de là, ils soulèvent des problématiques d’ordre non seulement fonctionnel mais également déontologique. Ce faisant, Grégory Bonnet, enseignant-chercheur en informatique, souligne que l’objet connecté est doté de systèmes informatiques dont la fonction est de prendre une décision selon l’état de santé du patient. Or, l’IA doit pouvoir agir dans des contextes sociaux singuliers et complexes, ce qui rend difficile la prédiction des conséquences d’une décision, et donc la conception de tels systèmes intelligents susceptibles d’entraîner des erreurs thérapeutiques. Plus encore, la contribution de Jean-Marc Deltorn, docteur en physique, problématise l’utilisation des données exploitées par les algorithmes des objets connectés. Aussi, l’auteur insiste sur l’importance du principe de transparence, eu égard à l’opacité des objets connectés pour les utilisateurs, tant au niveau de la complexité des systèmes informatiques qu’au niveau de l’enregistrement en continu de données personnelles de santé, rendu possible par cette « nouvelle transparence du corps » (p. 132).

4Indépendamment des enjeux techniques, les objets connectés sont investis par les patients autant que par les équipes médicales. C’est là un second axe de l’ouvrage, dont traite Aloïse Quesne, maîtresse de conférence en droit privé. En postulant que la relation médecin-patient incarne un rapport de pouvoir entre le corps du patient et l’intervention du médecin, l’autrice démontre que l’entrée des objets connectés en santé transforme le rôle de chacun dans la relation. Ainsi, la mise à disposition continuelle des données confronte le patient à une responsabilisation accrue de son état de santé, de même qu’elle impose aux personnels d’être formés au numérique et de considérer, en retour, l’IA comme un nouvel acteur des pratiques de soin. Son hypothèse est corroborée à l’analyse de Hervé Dumez, sociologue, et d’Étienne Minvielle, docteur en médecine, qui démontrent que les objets connectés en santé peuvent permettre une meilleure prise en charge, mais que demeurent des risques, comme la mise en marge du patient confronté à un système de santé davantage numérisé, ou à l’inverse un contact réduit dû à une trop grande autonomie, conduisant à un renversement dans l’accès aux connaissances du patient, qui passe du système de santé traditionnel à un système d’opérateurs du numérique stockant ses données personnelles.

5Enfin, parce que les objets connectés en santé interviennent dans des contextes de maladies, de souffrances et de vulnérabilités, un troisième axe analyse leur investissement psychique par les patients. En utilisant un référentiel théorique freudien, la psychanalyste Cristina Lindenmeyer montre que la « réponse de l’autre », rendue possible par l’objet connecté, n’équivaut pas à une « présence de l’autre » (p. 57). Autrement dit, l’objet connecté ne peut pas se substituer à l’interaction avec l’équipe médicale ; sa présence, écrit-elle, est ce qui rend possible la création d’un « processus de symbolisation qui permet au sujet de donner sens à ce qui lui arrive » (p. 58). La contribution du pneumologue Vincent Bunnel et du psychologue Philippe Drweski confirme son propos. En participant à l’étude initiée en 2017 à l’hôpital Bichat avec Marie Pia d’Ortho et en recourant à l’analyse d’entretiens menés auprès de patients ayant reçu une transplantation du poumon, ils soulignent tous deux que les objets connectés ne peuvent remplacer un soutien émotionnel et affectif de la part de l’équipe médicale, d’autant plus lorsqu’il s’agit de pathologies lourdes.

6Pour finir, l’inscription des objets connectés dans la relation médecin-patient et les façons dont ils sont psychiquement investis nécessitent, selon le philosophe Jean-Michel Besnier, une réflexion philosophique et éthique, qui constitue le quatrième et dernier axe de l’ouvrage. Dans sa contribution, Jean-Michel Besnier interroge le rapport entre objets connectés et patients à travers les notions d’« émancipation », d’« assujettissement », d’« autonomie » et de « servitude volontaire ». De plus, il problématise, au regard du transhumanisme, les frontières d’un corps continuellement connecté et interroge l’ambition de la médecine : faut-il réparer ou augmenter l’humain ? Rodolphe Gouin, docteur en science politique, clôt cet ouvrage en résumant l’un des principaux thèmes abordés, à savoir que l’objet connecté en santé ne peut pas être pensé autrement qu’à travers un ensemble de processus et d’acteurs qui le constituent, et précise qu’il s’agit pour l’instant d’une promesse technophile plus que d’une réalité technologique. En ce sens, il souligne l’importance de différencier l’efficacité des objets connectés en santé de leur désirabilité, soit leur acceptabilité sociale, en considérant davantage leur capacité à pouvoir compenser, ou non, les technologies existantes dans le champ médical et les ressources humaines, organisationnelles et économiques nécessaires à celles-ci.