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Jean Rivière, L’illusion du vote bobo. Configurations électorales et structures sociales dans les grandes villes françaises

Clément Nicolle
L'illusion du vote bobo
Jean Rivière, L'illusion du vote bobo. Configuration électorales et structures sociales dans les grandes villes françaises, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Géographie sociale », 2022, 250 p., ISBN : 978-2-7535-8647-5.
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Texte intégral

  • 1 Jean Rivière a participé à plusieurs travaux sur l’usage de ce terme, notamment à l’ouvrage Les bob (...)

1Publié à quelques semaines de la séquence électorale du printemps 2022, L’illusion du vote bobo est une lecture stimulante et richement illustrée pour qui s’intéresse à la géographie électorale, à la géographie urbaine, et plus généralement à la dimension spatiale des rapports sociaux. Maître de conférences à l’Université de Nantes et chercheur au sein de l’UMR ESO, Jean Rivière est un des principaux animateurs du champ de la géographie électorale en France, qu’il aborde en géographie sociale avec une inspiration bourdieusienne marquée. Après de premiers travaux consacrés à ces questions dans les espaces périurbains, le présent ouvrage s’intéresse aux dynamiques électorales des grandes villes, c’est-à-dire aux 35 centres urbains de plus 100 000 habitants. Alors que les victoires de listes écologistes aux municipales de 2020 — et plus généralement des listes de centre gauche — dans la plupart de ces métropoles ont été interprétées par nombre d’éditorialistes comme un effet du « vote bobo », Jean Rivière entend complexifier l’analyse et propose de « ranger le bobomètre » (p. 8) : désignant des catégories de populations très différentes et parfois opposées dans l’espace social1, ce terme n’a que peu de pertinence scientifique et échoue à rendre compte de la sociologie d’espaces urbains qui, au sommet de la hiérarchie urbaine en particulier, sont marqués par une importante diversité sociale. L’auteur part du constat, étayé par de nombreux travaux en sociologie et en sciences politiques, que le vote demeure fortement lié aux positions sociales qu’occupent les individus : étudier en géographie les ressorts sociaux du vote offre alors la possibilité de comprendre de manière fine les inégalités socio-spatiales à différentes échelles, et d’éclairer ainsi sous un angle inédit les mutations sociales affectant les grandes villes. Jean Rivière mobilise pour cela les données des bureaux de vote en les agrégeant à différentes échelles, de celle du quartier à celle de la commune, ce qui constitue une démarche relativement nouvelle, du fait, entre autres, des difficultés techniques et méthodologiques qu’elle pose.

2La première partie de l’ouvrage propose un panorama global des configurations électorales des grandes villes, appuyé sur l’analyse des résultats des élections présidentielles de 2007, 2012 et 2017. Le chapitre 1 (« Les configurations électorales aux prismes de la division sociale des villes ») présente le paysage électoral au sein de ces espaces urbains au sommet de la hiérarchie urbaine. Il montre ainsi que les « configurations électorales (…) épousent étroitement les contours de la carte des divisions sociales de l’espace » (p. 67), selon une logique de gradient dont le livret central en couleur propose une modélisation schématique. Après ce tableau général, le second chapitre (« La variabilité géographique des alignements électoraux ») rend ensuite compte de l’importance des contextes locaux dans les variations du vote et aboutit notamment à une typologie distinguant huit groupes de villes, selon deux logiques, l’une liée à la position dans la hiérarchie urbaine nationale et l’autre liée au contexte régional. L’étude de ces effets de contexte permet ainsi de complexifier certaines idées reçues et éminemment discutées dans le débat politique comme en sciences sociales, à l’image de l’ancrage supposé du vote ouvrier à l’extrême droite. Jean Rivière montre ainsi que la corrélation entre le vote ouvrier et le vote extrême droite comporte une dimension géographique importante, qui renvoie à des histoires sociales urbaines différenciées selon les régions. Ainsi, si cette corrélation est forte dans les villes de l’ouest de la France, elle est en revanche très peu significative dans les villes du Sud-Est, révélant des « clivages internes aux mondes ouvriers quant à leur rapport à l’immigration » (p. 77). Des villes comme Marseille, Perpignan ou Avignon comportent en effet une part importante de population issue de l’immigration, du fait de leur histoire spécifique en la matière. Ces populations, qui occupent en majorité des emplois ouvriers, ont plutôt tendance à voter à gauche qu’à droite lorsqu’elles se déplacent aux urnes.

  • 2 Les métropoles constituent un type d’intercommunalité spécifique aux espaces urbains, au sommet de (...)

3La deuxième partie de l’ouvrage est une étude de cas centrée sur Nantes, qui permet de prolonger et d’affiner les réflexions des deux premiers chapitres. Ville universitaire majeure à l’échelle de l’Ouest, elle est au centre d’une des agglomérations les plus dynamiques du pays, sur les plans économique et démographique. Cette dynamique de métropolisation — c’est-à-dire de concentration de la population et des activités dans les grandes villes — est par ailleurs assez récente dans le cas nantais, puisqu’elle date des années 1980. Alors que la première partie de l’ouvrage s’intéresse uniquement aux villes-centres sur la période 2007-2017, cette deuxième partie a pour cadre l’ensemble de la métropole, c’est-à-dire la ville centre et son agglomération2, sur une période allant des années 1970 aux élections municipales de 2020. Cela permet ainsi d’étudier les dynamiques électorales à l’échelle de l’agglomération en lien avec les mutations urbaines issues de la métropolisation, cette dernière ayant modifié le profil social des habitants. Le chapitre 3 (« La métropole nantaise comme laboratoire du changement socio-électoral ») montre à la fois la permanence du vote à droite dans les beaux quartiers, et le passage à gauche des espaces centraux et péricentraux marqués par la gentrification. Les banlieues ouvrières, historiquement marquées par le vote socialiste et communiste, elles, oscillent entre cet ancrage à gauche et un glissement vers l’extrême droite, dans des proportions toutefois moindres que dans les autres villes de l’ouest de la France, rappelant ainsi l’importance des contextes locaux détaillés dans le chapitre 2. L’analyse sur le temps long montre également la pertinence du modèle développé dans le chapitre 1, dans la mesure où se dessine une « mosaïque électorale » (p. 137) au sein de laquelle « les mutations des configurations électorales épousent étroitement les trajectoires sociologiques des quartiers de la métropole » (p. 138). Le dernier chapitre (« Les dynamiques électorales contemporaines au cœur d’une métropole embourgeoisée, 2017-2020 ») s’intéresse enfin à une séquence électorale récente et ramassée dans le temps, et mobilise, entre autres, de manière très précise, la nomenclature des groupes socio-professionnels de l’INSEE, afin d’éclairer les ressorts sociaux du vote dans la métropole puis dans la commune de Nantes.

4Au-delà de la géographie sociale ou électorale, l’ouvrage suscitera également l’intérêt de celles et ceux qui souhaitent réfléchir aux méthodes quantitatives. Les données des bureaux de vote sont en effet croisées avec de multiples autres données statistiques, le tout à différentes échelles, de manière à ne pas surinterpréter tel ou tel résultat et à affiner ou nuancer ces derniers. Jean Rivière détaille également les traitements effectués — des analyses factorielles principalement — ainsi que les difficultés liées aux maniements de données qui ne sont pas toutes agrégées selon les mêmes périmètres géographiques. Si cela rend parfois la lecture difficile malgré un grand effort pédagogique, les introductions et conclusions de chacun des chapitres mettent en valeur les questions posées ainsi que les apports des méthodes quantitatives mobilisées. À l’heure où les cartes occupent une place centrale tant dans les soirées électorales que dans l’interprétation des résultats, L’Illusion du vote bobo rappelle qu’en géographie, la carte est autant le support que le produit d’une réflexion, et que celle-ci se doit d’être la plus rigoureuse possible sur le plan méthodologique pour véritablement révéler quelque chose.

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Notes

1 Jean Rivière a participé à plusieurs travaux sur l’usage de ce terme, notamment à l’ouvrage Les bobos n’existent pas. Authier Jean-Yves, Collet Anaïs, Giraud Colin, Rivière Jean et Tissot Sylvie (éd.), Les bobos n’existent pas, Lyon, Presses universitaires de Lyon, coll. « Sociologie urbaine », 2018, disponible en ligne : https://books.openedition.org/pul/21454 ; compte rendu de Thibaud Morin pour Lectures : https://journals.openedition.org/lectures/24736.

2 Les métropoles constituent un type d’intercommunalité spécifique aux espaces urbains, au sommet de la hiérarchie urbaine. Nantes est la 4e la plus peuplée, parmi les 19 métropoles partageant le même statut. Celles de Paris et d’Aix Marseille disposent de statuts particuliers, tandis que la métropole de Lyon est en réalité une collectivité territoriale de plein exercice, et non une intercommunalité.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Clément Nicolle, « Jean Rivière, L’illusion du vote bobo. Configurations électorales et structures sociales dans les grandes villes françaises », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 30 juin 2022, consulté le 19 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/56950 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.56950

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