2Dans le premier chapitre, Delphine Blanc fournit une riche description des métiers de l’orchestre à partir de quatre catégories d’acteurs qui collaborent au sein des institutions : les musiciens, la régie, le chef d’orchestre et le personnel administratif. L’auteure présente la diversité des parcours socioprofessionnels des acteurs et expose les compétences qui leur sont nécessaires pour évoluer dans l’espace social des orchestres. En outre, elle met en évidence les interactions qui découlent de leur cohabitation. Si la formation artistique des musiciens se construit dans une sociabilité très spécifique et solitaire qui est celle des conservatoires, à l’orchestre ils doivent apprendre à jouer collectivement et dans la promiscuité des salles de concert. Cette expérience, affirme Blanc, entraîne des négociations et des conflits musicaux qui influencent leur pratique interprétative et crée une distance importante entre le travail individuel et le travail collectif. Le personnel de la régie, issu principalement des classes populaires, dispose en général d’un niveau scolaire modeste, d’une formation « sur le tas » et parfois d’une expérience précédente dans le monde de la musique. Si la fonction de la régie est principalement d’installer les musiciens, des compétences administratives peuvent aussi être sollicitées en fonction des modèles d’organisation des ensembles. Dans les orchestres permanents, la régie est poussée à travailler avec une efficacité silencieuse et servile ; en revanche, dans les ensembles non-permanents, elle est aussi chargée du recrutement des musiciens, responsabilité qui engendre un rapport de pouvoir inversé avec ces derniers.

4Le deuxième chapitre met en lumière les éléments qui produisent la diversité des structures regroupées sous le terme d’« orchestre » : les effectifs, la réputation musicale, le répertoire exécuté, l’organisation institutionnelle ainsi que le rapport contractuel entre l’institution et ses employés. Delphine Blanc présente le fonctionnement de chaque type d’organisation et les problématiques qui en découlent. En faisant le choix de la stabilité, les musiciens des orchestres permanents sont confrontés à la routine au travail : socialisations répétées, exécution d’un répertoire souvent repris, peu de flexibilité dans leur emploi du temps. Les orchestres par projet ont un fonctionnement davantage flexible, mais soumis aux règles du marché. Ces orchestres, bien que définitivement installés sur le territoire, dépendent presque exclusivement de leurs chefs créateurs, et la logique concurrentielle de la course aux financements publics et privés s’inscrit au sein même de l’institution. Faire du « relationnel » est aussi fondamental pour assurer la continuité des musiciens dans l’ensemble, étant donné que le contrat à durée déterminée est le mode d’engagement prédominant des musiciens intermittents qui jouent dans les ensembles par projet.

5Moins soutenus par le pouvoir public, les orchestres associatifs doivent assurer des activités bien au-delà de l’interprétation musicale pour financer leurs structures. Leurs revenus sont soumis aux productions réalisées et ils subissent, selon Delphine Blanc, une « flexibilité obligatoire » (p. 155). Dans le cas du Philharmonia Orchestra étudié par l’auteure, le système anglais n’assure aucune protection sociale face aux aléas de la vie, ce qui impose aux musiciens une cadence de travail excessive pour s’assurer des revenus stables. Les plus âgés déclarent être en difficulté face à un engagement intense et presque obligatoire dans la gestion de l’institution et dans la quête de financements. En France, d’autres modèles créés depuis les vingt dernières années essaient de trouver des alternatives pour pallier à la fois l’instabilité contractuelle des ensembles flexibles et la rigidité routinière des permanents. Or, ces modèles restent, comme dans les ensembles par projet, majoritairement attachés à la figure du chef et au fonctionnement imposé par celui-ci, marqué par l’envie de fidéliser les artistes sans pour autant les engager définitivement. Ce discours de la flexibilité porté par les chefs s’appuie sur l’idée d’urgence de l’art, autrement dit d’une « corrélation artificielle entre risque et créativité » (p. 174) attachée à la pratique artistique.

6Dans la troisième et dernière partie de l’ouvrage, Delphine Blanc reprend la notion de chaîne de coopération présentée au premier chapitre et la développe à partir de la description des interactions quotidiennes : les tournées, les collaborations entre l’administration et les musiciens, les répétitions, avec les anecdotes qu’elles peuvent engendrer. D’abord, l’autrice souligne le rôle fondamental de la régie dans le déroulement pratique des tournées et sa constitution comme un pôle intermédiaire entre les musiciens et le chef. Dans la réalisation des spectacles, la régie joue un rôle de médiation entre l’administration et les musiciens à travers l’organisation de la programmation, des répétitions et des concerts. Delphine Blanc aborde ensuite le rapport entre l’administration et les musiciens pour l’établissement des plannings, des tournées des pupitres et de la communication interne. Critique vis-à-vis d’Eve Chiapello lorsqu’elle affirme que la relation entre artiste et manager est fondée sur le conflit, Delphine Blanc défend l’idée que cette relation relève davantage de l’échange et de la reconnaissance professionnels. Enfin, elle rentre « au cœur des pupitres » (p. 216) pour mettre en évidence les codes admis et transmis par le langage corporel. En effet, la dimension corporelle du travail des musiciens constitue pour elle une partie du métier et encadre les interactions entre les musiciens et leur chef.