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Pauline Schnapper, La Politique au Royaume-Uni

Fabienne Jouty
La politique au Royaume-Uni
Pauline Schnapper, La politique au Royaume-Uni, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2022, 128 p., ISBN : 978-2-348-06788-4.
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Texte intégral

  • 1 Schnapper Pauline, Avril Emmanuelle, Où va le Royaume-Uni ? Le Brexit et après, Paris, Odile Jacob, (...)

1Après un travail réalisé sur le Brexit et les processus qui ont présidé au choix par référendum en 2016 de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne1, Pauline Schnapper propose un nouvel ouvrage consacré à la politique britannique, où elle questionne les dynamiques et les événements qui ont bouleversé et bouleversent encore le paysage politique de l’État. Elle y montre en quoi ces évolutions de fond, dont le Brexit est un puissant révélateur, « forment le soubassement de la crise de la démocratie britannique » (p. 5).

2Organisé en cinq chapitres thématiques, l’ouvrage se structure autour de trois axes d’analyses en montrant d’une part comment l’État britannique s’organise (chapitres 1 et 2), en décrivant d’autre part le comportement des acteurs de la vie politique du Royaume-Uni depuis les années 1970 (chapitres 3 et 4) et en analysant dans un dernier temps la participation des citoyens à la vie démocratique (chapitre 5). En adoptant une approche à la fois multiscalaire et diachronique, Pauline Schnapper offre de nombreux éléments permettant une meilleure compréhension de la crise politique britannique.

  • 2 Walter Bagehot, The English Constitution, 1867. Incontournable pour comprendre les institutions bri (...)

3Pour ce faire, l’autrice revient tout d’abord sur les spécificités constitutionnelles de l’État en soulignant que, contrairement à son voisin français, les institutions au Royaume-Uni ne sont pas régies par un texte constitutionnel, mais sont organisées par une série de documents, de conventions, de traditions, d’usages et d’interprétations comme celle proposée par Walter Bagehot en 18672. En somme, le Royaume-Uni est organisé par une « Constitution non codifiée » (p. 8). La Magna Carta de 1215, texte constitutionnel le plus ancien, l’Habeas Corpus de 1640 qui institue les principes de liberté individuelle face à l’arbitraire royal ou le Bill of Rights de 1689, qui instaure les grands principes de la monarchie constitutionnelle, organisent encore aujourd’hui les institutions britanniques. Sous l’égide de Tony Blair (1997-2007), trois réformes constitutionnelles ont été entreprises : la réforme qui préside à la création d’une Cour suprême fut une réussite, la réforme de la Chambre des lords est inaboutie, mais la réforme sur la durée du mandat parlementaire a échoué. Dans ce contexte, le référendum de 2016 met les institutions à l’épreuve, car, face à des députés majoritairement opposés au Brexit, le résultat du scrutin « a provoqué une confrontation entre la légitimité du Parlement et celle du " peuple " » (p. 21).

4Par ailleurs, l’autrice met en exergue les ambiguïtés de la centralité du pouvoir britannique. Jusqu’au XIXe siècle, un mouvement de centralisation domine avec la formation du Royaume-Uni par l’union de l’Irlande, de l’Écosse et du Pays de Galle à l’Angleterre : Londres, siège de Parlement de Westminster, est le cœur de cette union. Au XXe siècle émergent toutefois des mouvements de décentralisation. En effet, la montée des nationalismes qui contestent le pouvoir londonien conduit à la création en 1999 d’un Parlement en Écosse et d’un autre au Pays de Galles, puis à l’organisation en 2014 d’un référendum en Écosse en faveur de l’indépendance. Au même moment, le pouvoir exécutif central connaît des évolutions significatives avec l’introduction d’organisations et structures d’État au sein du gouvernement (selon la théorie du core executive), tels que les commissions issues du Cabinet, les services du renseignement ou la Banque d’Angleterre. Pauline Schnapper relève toutefois qu’au-delà de cette tendance à la décentralisation, le Brexit induit une « recentralisation du pouvoir à Londres » (p. 27). Ces phénomènes s’opèrent sur un fond de fortes inégalités qui se creusent et renforcent les antagonismes qui influencent le paysage politique de l’État.

  • 3 Kirchheimer Otto, « The Transformation of the Western European Party Systems », in La Palombara Jos (...)

5En effet, les mutations socio-économiques alimentent de nouvelles dynamiques qui déstabilisent depuis 1970 le bipartisme britannique traditionnel, polarisé par le Parti conservateur et le Parti travailliste. Face à l’émergence de partis nouveaux, les deux partis dominants peinent à se renouveler et, pour se faire, radicalisent leurs positions et se transforment progressivement en parti « attrape-tout »3. Il s’opère alors un double phénomène : la fragmentation de la représentation des partis au Parlement et l’émergence d’une pluralité de modes de scrutins aux Pays de Galles, en Irlande du Nord, en Écosse, à Londres et aux élections européennes. Par exemple, alors qu’à Londres, l’élection des maires se fait par un système de vote supplémentaire, les parlementaires écossais et gallois sont élus pour partie avec le First-Past-the-Post et pour environ un tiers des sièges à la proportionnelle par liste. De même, les élections européennes se faisaient à la proportionnelle intégrale par listes. En ce sens, le Royaume-Uni s’impose comme un « laboratoire pour de nouveaux modes de scrutin, surtout au niveau infra-étatique » (p. 49).

6Simultanément, l’électorat se transforme. Dans une société plus diversifiée où les électeurs sont devenus plus versatiles, plus méfiants à l’égard des institutions politiques et moins attachés à un parti, les valeurs collectives et les attentes changent. Les thèmes identitaires et de nouvelles valeurs émergent en outre dans le débat public. L’Europe, l’immigration, les nationalismes sont des sujets qui cristallisent les tensions et profitent aux partis populistes. Par exemple, l’UKIP – parti contestataire ayant le mieux réussi sur la scène britannique – fait la synthèse de trois traditions politiques britanniques : l’euroscepticisme, le conservatisme et le populisme. Le succès du parti est à trouver dans la combinaison habile entre la défense de la souveraineté du peuple britannique et le rejet de l’immigration en provenance du continent. Si les partis populistes restent minoritaires, ils ont néanmoins une influence durable dans la vie politique britannique. Après 2016, par exemple, le Parti conservateur choisit d’adopter une « rhétorique populiste » (p. 87) pour attirer l’électorat de l’UKIP.

7Au-delà des mutations profondes de l’offre politique, l’abstention devient après 1970 une donnée structurante de la démocratie britannique. Pauline Schnapper montre toutefois que de nouveaux comportements émergent, notamment avec le développement d’Internet. Les citoyens ne sont plus uniquement sollicités durant les temps électoraux, mais font l’objet de consultations, signent des pétitions en ligne ou participent à des conférences citoyennes. Si ces actions n’ont abouti à aucune réorientation politique majeure, elles contribuent néanmoins à « l’expression d’opinions diverses et à la vitalité du débat démocratique » (p. 104). En revanche, relève l’autrice, l’utilisation politique du numérique trouve rapidement ses limites en se heurtant à une désillusion associée aux effets pervers de l’usage d’Internet sur la qualité de l’information et de la délibération.

8En somme, une des grandes forces de cet ouvrage est de rendre intelligible une équation complexe entre des processus et des évolutions de natures diverses qui ont « modifié, directement ou indirectement, l’architecture institutionnelle du pays et les pratiques politiques » (p. 6). Ainsi, le Brexit s’impose comme un « laboratoire » (p. 49) privilégié pour identifier et décrire des transformations démographiques, socio-économiques, politiques et morales qui traversent le Royaume-Uni depuis une cinquantaine d’années et qui se développent sur un fond de rejet du monde politique par l’opinion publique.

9Cet ouvrage a le mérite d’aborder, à travers des analyses synthétiques et rigoureuses, différents sujets faisant l’objet de recherche en cours, tels que la place des femmes en politique, les enjeux environnementaux ou encore le rôle du numérique et des réseaux sociaux au sein de nos sociétés. Par exemple, Pauline Schnapper montre que l’intérêt des Britanniques pour l’environnement et les valeurs post matérialistes s’exprime dans de nouvelles formes de participation politique. De même, au sujet des femmes en politique, l’autrice revient sur les stratégies adoptées par les partis politiques et souligne qu’en adoptant une politique des quotas, les travaillistes ont presque atteint la parité en 2019, tandis que le phénomène est plus lent pour le Parti conservateur et les libéraux démocrates qui encouragent les candidatures féminines au niveau local sans imposer de quotas et ont nommé différentes Premières ministres (Margaret Thatcher, Theresa May).

10De nombreux éléments de repères historiques et bibliographiques sont développés et livrent ainsi une vue d’ensemble sur la littérature scientifique la plus contemporaine produite sur le sujet. Les développements sont accompagnés de tableaux explicatifs et chiffrés, de chronologies et d’encadrés qui éclairent de manière efficace les thèmes abordés. Un seul regret pourrait être toutefois exprimé concernant l’absence de cartes, qui aideraient sans doute à mieux se repérer dans un espace politique britannique complexe. Cet ouvrage, très convaincant, propose à ce titre une fresque de la politique au Royaume-Uni qui contribue à éclairer l’actualité britannique.

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Notes

1 Schnapper Pauline, Avril Emmanuelle, Où va le Royaume-Uni ? Le Brexit et après, Paris, Odile Jacob, 2019.

2 Walter Bagehot, The English Constitution, 1867. Incontournable pour comprendre les institutions britanniques, l’ouvrage entend déterminer, au-delà du théâtre et des apparences, où se loge le pouvoir et qui l’exerce.

3 Kirchheimer Otto, « The Transformation of the Western European Party Systems », in La Palombara Joseph, Weiner Myron (dir.), Political Parties and Political Development, (SPD-6), Princeton, Princeton University Press, 1966, p. 177-200. L’auteur introduit le concept de « parti attrape-tout » (catch-all party) en sciences politiques pour décrire un parti qui attire les électeurs au-delà des clivages droite et gauche et au-delà de son vivier social d’origine.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Fabienne Jouty, « Pauline Schnapper, La Politique au Royaume-Uni », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 13 février 2023, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/60031 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.60031

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Rédacteur

Fabienne Jouty

Doctorante en histoire à Sorbonne Université, rattachée au laboratoire Sorbonne - Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe (SIRICE).

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