2Pour ce faire, Stéphane Vaquero commence par revenir sur la genèse socio-historique de la mise en application, dans les lycées français, de ces dispositifs pédagogiques horizontaux et interdisciplinaires que sont les TPE. D’emblée, il note l’ambiguïté intrinsèque de cette histoire : « les attendus [de ces TPE] portent moins sur des savoirs scolaires préalablement transmis, ce qui donne une plus large place aux savoirs et dispositions acquis en dehors de l’école » (p. 49). En effet, l’ambition initiale du législateur de réduire les inégalités scolaires par la mise en place de dispositifs valorisant l’apprentissage par la recherche est peu à peu, dans le processus administratif et politique de sa mise en œuvre, abandonnée au profit d’une valorisation paradoxale de la « capacité à construire des raisonnements génériques avec souvent une faible maîtrise préalable des savoirs, à être capable de porter des analyses sur des sujets issus du quotidien à l’aide d’artifices rhétoriques, de raisonnements sophistiques, où la forme prend le pas sur la rigueur du raisonnement mené » (p. 50).

3Dans un second temps, l’auteur réalise ce qu’il nomme une analyse « statistique ethnographique » (p. 52) en procédant à une comparaison systématique des moyennes de notes obtenues par les élèves dans les autres disciplines et celles obtenues dans le cadre des TPE. S’il en ressort que, de manière générale, les élèves obtiennent de meilleurs résultats aux TPE, cela ne garantit pas pour autant la mise à plat des inégalités : au contraire, « le croisement des notes TPE avec le code parents des élèves montre que le dispositif creuse plus fortement les inégalités sociales que le reste des enseignements » (p. 58). De plus, une attention portée aux commentaires rédigés par les enseignants met en lumière « les goûts et les dégoûts » (p. 59) de ces derniers et leur propension à juger l’originalité des travaux comme primordiale dans leur évaluation. Or, comme le précise Stéphane Vaquero, cette catégorie analytique est éminemment dépendante, dans son application, de la proximité culturelle entre les élèves et lesdits enseignants – renforçant encore par ce fait les inégalités et les processus de domination culturelle au sein de l’école.

4Dans un troisième chapitre, l’auteur s’intéresse à la mise en œuvre concrète et pratique, dans le lycée où il réalise son ethnographie, des TPE. Ce faisant, il parvient à capturer le détail de certaines micro-interactions ayant lieu entre la direction et plusieurs groupes d’enseignants, et l’importance de ces rapports sociaux dans la mise en place pragmatique de ces ateliers destinés aux élèves. Il en ressort que certains enseignants, parce qu’ils se trouvent plus dotés en capitaux (sociaux et culturels) que leurs collègues, parviennent à imposer aux autres leur vision de ce que doivent être les TPE – ce qui, in fine, a des implications pédagogiques puisque ces dispositifs se voient alors sous-tendus, dans leur mise en pratique, par certaines logiques culturelles plutôt que d’autres.

5Dans son quatrième chapitre, l’auteur s’attelle à mettre en lumière la mise en invisibilité de certaines inégalités sociales et scolaires en s’attardant sur le processus de formation des groupes d’élèves et en mettant celui-ci en rapport avec le degré d’autonomie attendu par les enseignants et la mise en concurrence, moins consciente, des groupes les uns par rapport aux autres. Une nouvelle fois, les affinités culturelles entre les enseignants et certains élèves, révélées lors de l’encadrement des travaux et pendant les discussions ou les qualifications portant sur le choix du sujet, sont au cœur de la (re)production, par les acteurs, des inégalités. Les nombreux extraits d’entretiens et d’observations ethnographiques qui émaillent ce chapitre autorisent l’auteur à disséquer ces enjeux avec une précision redoutable.

6Enfin, dans une dernière partie, composée de trois chapitres, Stéphane Vaquero se concentre sur les contenus des dossiers et sur les types de discours scolaires produits par les élèves en TPE. Situées « à la croisée de la sociologie et de la didactique » (p. 157), ces dernières analyses forment le cœur de l’ouvrage et c’est au travers de leurs lectures que se révèle toute la pertinence des choix méthodologiques opérés par l’auteur. En effet, en revenant, par le moyen de l’analyse des interactions et de la micro-socio-logique à l’œuvre dans les échanges entre les enseignants encadrants et les élèves, il nous montre comment, au sein de ces dispositifs pédagogiques, certains élèves parviennent à « avoir raison [chapitre 5], avoir du style [chapitre 6] et être critique [chapitre 7] » (p. 158) et comment ce sont ces qualités qui forment le socle de valeurs sur lequel les enseignants vont finalement s’appuyer pour juger du travail fourni. Ce faisant, il répertorie les nombreux malentendus qui vont se développer entre les élèves les moins « doués », c’est-à-dire ceux qui possèdent un capital culturel et scolaire plus éloigné des attendus des enseignants, et ces derniers pourtant dévoués à la tâche pédagogique qui leur a été confiée. Il en montre les conséquences : c’est dans ce va-et-vient entre les actions des élèves et les jugements portés par les enseignants que vont finalement venir se (re)produire les inégalités et les formes de domination scolaire au sein de l’établissement.

7L’analyse de Stéphane Vaquero est excellente en tous points : posture méthodologique, qualité d’écriture, clarté et pertinence des résultats, posture déontologique, etc. Et s’il nous fallait tout de même pointer un défaut dans son entreprise, sans doute nous faudrait-il le situer dans l’ultime commentaire proposé en conclusion lorsque l’auteur, après avoir synthétisé les résultats et les limites de son enquête, s’essaye à proposer des solutions pratiques visant à « s’emparer de ces dispositifs tout en essayant de limiter leurs effets inégalitaires » (p. 258). En effet, on aurait préféré ne pas retrouver ces quelques propositions prescriptives rapides, tant elles ne relèvent pas de l’analyse sociologique que l’auteur a menée tout au long de son ouvrage (à savoir diagnostiquer l’impact des TPE sur les processus de domination scolaire), qu’elles dénotent avec le reste de celle-ci, et que leurs contenus – trop succincts – ne peuvent véritablement pas servir, même au plus consciencieux et au plus déterminé des enseignants, étant donné que, comme le montre l’auteur lui-même au fil de son enquête, la problématique dépasse largement le seul pouvoir d’agency des enseignants-encadrants.