• 1 Ces commissions réunissent des agents de l’État, parmi lesquels le sous-préfet d’arrondissement, le (...)

5Les trois derniers chapitres de l’ouvrage sont consacrés au traitement administratif, politique et policier des expulsions. Le premier d’entre eux porte sur « la manière dont les agents de l’État accomplissent le travail d’expulsion et le rapport qu’ils entretiennent avec l’usage de la force publique » (p. 110-111). Camille François y montre que, si le bureau des expulsions des préfectures est bien chargé d’un « sale boulot », celui-ci n’est pas vécu comme tel par les agents qui y travaillent, non seulement parce que leur arrivée dans ce service a souvent été vécue comme une forme de promotion, mais aussi parce qu’en l’« absence de face à face avec le public » (p. 127) le coût moral de la mise en œuvre des procédures d’expulsion s’avère finalement très bas. Le chapitre suivant place la focale sur les commissions de concertation destinées à examiner collégialement1 la pertinence du recours à la force publique pour procéder aux expulsions de locataires. Camille François y met en évidence cette fois que ces commissions ont débouché sur « un gouvernement des expulsions fondé sur le consensus » (p. 154) puisqu’elles ont amené les élus locaux à s’approprier un instrument auparavant monopolisé par les services centraux de l’État et à renoncer aux formes véritablement conflictuelles qu’ils pouvaient adopter jusqu’alors pour s’opposer aux expulsions. De plus, en lien avec leur participation à ces commissions, travailleurs sociaux et élus locaux en seraient aussi venus à intérioriser les « logiques étatiques de l’expulsion » (p. 167), ce qui contribuerait à faciliter l’exercice des expulsions du fait de l’autorité dont ils bénéficient auprès des locataires. Enfin, le dernier chapitre de l’ouvrage est consacré aux opérations policières d’expulsion. Camille François y fait valoir « le caractère rapide et pacifique de la majorité [d’entre elles] » (p. 201) ; ce qu’il explique par des techniques préventives diverses – expulsions réalisées en matinée, présence de déménageurs, etc. – qui rendent assez improbable le déploiement de résistances de la part des locataires.

• 2 Outre une analyse « menée dans les locaux du service de recouvrement d’un grand bailleur social » ( (...)
• 3 Cf. « Comment l'État déloge les pauvres », France culture, émission La suite dans les idées du 21 j (...)

6Au total, on retiendra qu’en s’appuyant sur une enquête articulant travail sur archives et travail sur données statistiques, observation et analyse ethnographique2, Camille François est parvenu dans cet ouvrage à décrire de manière très fine les mécanismes pouvant conduire les locataires les plus démunis à faire l’objet d’une procédure d’expulsion. Le travail argumentatif mené valide ainsi très largement la thèse selon laquelle c’est finalement de gré et de force, c’est-à-dire « par un savant mélange de contrainte et de persuasion […] que les agents de l’État poussent chaque année des milliers de familles à abandonner leur logement » (p. 201). On relèvera par ailleurs que l’ouvrage présente la qualité d’être très peu jargonnant : la réflexion sociologique menée ne s’épuise pas en effet dans un vocabulaire trop spécialisé, ce qui le rend très accessible, et donc appropriable bien au-delà du champ des seuls spécialistes en sciences humaines. On regrettera par contre que l’administration de la preuve ne s’appuie pas davantage sur l’outil statistique mobilisé par l’auteur pour réaliser son travail de recherche. S’il s’agit manifestement là d’un choix réalisé par Camille François de présenter ses résultats en « langage naturel »3, il n’en reste pas moins vrai que le lecteur risque parfois de se sentir frustré de ne pas trouver beaucoup d’éléments statistiques corroborant les positions défendues par l’auteur. Par exemple, il est dommage que les résultats de la régression permettant de saisir les déterminants des jugements rendus par les tribunaux d’instance ne soient pas présentés, ne serait-ce qu’en annexe.

• 4 C’est la position défendue par Friedrich Engels contre Pierre Joseph Proudhon. Cf. Friedrich Engels (...)

7Quoi qu’il en soit, il est certain que ce livre satisfera le lectorat soucieux de comprendre la fabrique sociale des expulsions locatives et, plus largement, de réfléchir au rôle que l’État y joue. À l’évidence, cet ouvrage lui donnera la possibilité de constater que, même si le locataire n’est pas au propriétaire ce que le salarié est au capitaliste4, l’État contribue tout autant à la soumission des dominés dans les rapports sociaux de location de logement qu’il ne le fait dans les rapports sociaux de production.