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Mathilde Larrère, Guns and roses

Maud Marcelin
Guns and Roses
Mathilde Larrère, Guns and Roses. Les objets des luttes féministes, Bordeaux, Éditions du Détour, 2022, 236 p., ISBN : 978-2-493229-04-5.
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Texte intégral

  • 1 Voir Larrère Mathilde, La garde nationale de Paris sous la monarchie de Juillet : le pouvoir au bou (...)

1Historienne du XIXe siècle, Mathilde Larrère est spécialiste de l’histoire des révolutions françaises du XIXe siècle, des rapports que les citoyens entretiennent avec l’État et des stratégies de maintien de l’ordre, en particulier durant la révolution de 18301. Depuis plusieurs années, la chercheuse revendique une approche engagée et féministe, rejetant dès lors le concept de neutralité de l’Histoire. Active depuis 2013 sur les réseaux sociaux tels que Twitter, où elle y publie des éphémérides historiques sous forme de « mini-discours », Mathilde Larrère utilise sa notoriété pour construire, au-delà de ses travaux académiques, un projet de vulgarisation scientifique qu’elle développe à l’occasion de collaborations avec le monde journalistique (Arrêt sur images, Mediapart, Politis) et qu’elle poursuit aux Éditions du Détour depuis 2018 avec Des Intrus en politique. Femmes et minorité : dominations et résistances avec Aude Lorriaux, Il était une fois les révolutions (2019) et Rage Against the machisme (2020), qui creusent les thématiques abordées dans ses chroniques et textes sur Twitter.

2Malgré les réticences du monde universitaire envers l’adoption d’un mode d’énonciation militant dans le cadre des recherches, l’historienne assume un style combattif teinté d’ironie, accompagné – une nouvelle fois – des illustrations de Fred Sochard. Il se manifeste dès les premières pages, au détour d’une explication concernant la problématique de l’essai (« PS : ce livre étant aussi un objet, il peut servir dans la lutte contre le patriarcat, par exemple en le lançant contre un harceleur de rue », p. 7). On retrouve également ce style au travers de titres de chapitres percutants ou encore dans la conclusion d’une démonstration relative aux collages féministes : « “LES HOMMES ONT CRU QU’ILS POUVAIENT NOUS EFFACER DE L’HISTOIRE, RÉ-ÉCRIVONS LA !”, interpelle un collage. Je fais au mieux mes adelphes ! », (p. 37). Ce choix stylistique, bien qu’il ne soit pas académique, contribue à l’efficacité et à la fluidité de l’argumentaire.

3Composé de six volets précédés d’une introduction et suivis d’un index, Guns and Roses est le produit d’une réflexion autour de l’histoire des femmes et de leurs luttes à partir d’objets du quotidien, en réponse à l’essai Rage against in the machisme (2020), dans lequel l’historienne explore les luttes féministes depuis la Révolution française. Elle choisit dès lors de se pencher sur une vingtaine d’objets tels que le cintre, le fusil, le carnet de chèque ou encore la crinoline, symboles d’émancipation et de liberté difficilement acquises, comme le suggère le titre de l’ouvrage, en référence au discours victorieux de Rose Scheidemann, syndicaliste suffragiste en 1912 : « Ce que la femme qui travaille veut, c’est le droit de vivre, pas simplement d’exister – le droit à la vie comme la femme riche a le droit à la vie, et au soleil, à la musique et à l’art […]. L’ouvrière doit avoir du pain, mais elle doit aussi avoir des roses » (p. 152). À travers ce panorama d’objets convoités ou instrumentalisés par les féministes, Mathilde Larrère dresse le portrait de femmes illustres et retrace leur combat pour des droits aussi fondamentaux que le droit de vote (Hubertine Auclert participe à la libre disposition du salaire d’une femme mariée), le droit de disposer de son corps (Madeleine Pelletier œuvre pour le droit à l’avortement) ou encore le droit de se vêtir (Olympe Adouard met fin au port de la crinoline). L’engagement de l’autrice permet ainsi à un public néophyte et curieux de saisir l’approche transversale des combats féministes étudiés.

  • 2 Voir Bard Christine (dir.), Les féministes de la deuxième vague, Rennes, Presses universitaires de (...)

4Cette histoire matérielle des luttes féministes est nourrie par l’analyse informée d’événements historiques clés, comme la barricade de la Place blanche défendue par les femmes en 1871, pour évoquer le droit de s’armer, ou la publication dans Le Nouvel Observateur du « Manifeste des 343 », dans lequel plus de trois cent trente-et-une femmes reconnaissaient avoir avorté2. En refusant la traditionnelle organisation chronologique, l’essai parvient à mettre en dialogue différentes expériences de luttes féministes : celles du passé et du présent. Ce procédé structurel permet de rendre compte des causes communes et la circulation d’idées d’une époque à une autre, comme cela est démontré par l’historienne avec les germes et les couronnes, utilisées le 14 juillet 1881 pour dénoncer le Code civil qui oppresse les femmes et repris par la suite par le MLF en 1970 : « Les féministes qui ont décidé de faire pousser une gerbe funéraire à l’Arc de triomphe se souvenaient-elles que quatre-vingt-neuf ans et presque un mois avant, d’autres féministes avaient aussi organisé une action de couronne à fleur ? […] De 1881 à nos jours, mêmes couronnes, mêmes combats » (p. 82). La structure du témoigne dès lors de la capacité de synthèse du livre tout en démontrant l’ampleur de sa documentation ainsi que la qualité des recherches menées.

5L’ouvrage se distingue également par sa dimension polyphonique et atypique : en plus de ponctuer son propos de titres placés en exergue et d’illustrations d’une page des objets discutés (inspirés des tags féministes, banderoles et collages de militantes), Mathilde Larrère intègre à la fin de chaque chapitre un choix de textes relatifs aux problématiques qui viennent d’être explorées. Nous retrouvons ainsi la pétition d’Hubertine Auclert, qui vise à réclamer la séparation de biens légale entre les époux, les réflexions de Madeleine Pelletier sur l’avortement et la dépopulation, publiées en mai 1911 dans La Suffragiste, l’un des « premiers textes féministes parlant ouvertement de règles » (p.142), ou encore la chanson d’Anne Sylvestre, « Non tu n’as pas de nom », prônant le droit à l’avortement. L’ensemble est complété par un index des objets qui oriente vers des références permettant de prolonger l’exploration des différentes thématiques abordées.

6En définitive, cet essai est l’aboutissement d’un travail documenté et riche sur les objets convoités et instrumentalisés qui tracent l’histoire des luttes féministes en France. Il permet au lecteur de voyager dans le temps en saisissant les plus grands enjeux féministes, encore actuels pour certains.

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Notes

1 Voir Larrère Mathilde, La garde nationale de Paris sous la monarchie de Juillet : le pouvoir au bout du fusil ?, thèse de doctorat, Paris, Université Paris 1, 2000.

2 Voir Bard Christine (dir.), Les féministes de la deuxième vague, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Archives féministes », 2012.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Maud Marcelin, « Mathilde Larrère, Guns and roses », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 09 mars 2023, consulté le 16 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/lectures/60445 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.60445

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Rédacteur

Maud Marcelin

Étudiante en master de spécialisation en études de genre dans les six universités de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

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