• 1 Le projet de genre "restitutionniste" renvoie à l'idée d'associer la question de genre à l'écologie (...)

1Le 19 novembre 2022, le collectif d’extrême droite Némésis a tenté de perturber la manifestation organisée par l’association NousToutes, contre les violences faites aux femmes. Ces militantes revendiquent un engagement identitaire et nationaliste, fondé, selon elles, sur un engagement féministe. La visibilité et l’émergence de ces « nouvelles femmes de droite » dépendent ainsi avant tout d’un contexte, d’une adaptation et d’une redéfinition des pratiques militantes, dans le cadre des évolutions législatives (légalisation du mariage entre personne de même sexe en 2013), intellectuelles (essor des gender studies), communicationnelles (démocratisation des réseaux sociaux, plateformes de diffusion (Youtube)...), militantes (nouvelles pratiques médiatiques des Femens) et environnementales (un nouveau rapport à la nature). Ces militantes disposent de nouveaux modes d’action, plus actuels et incorporant un ensemble d’acquis culturels (égalité homme/femme dans la réalisation de soi) au sein de prises de positions conservatrices ou « restitutionnistes »1. L’autonomie des femmes, l’égalité des droits, la liberté de choisir sont désormais des thèmes mobilisés dans un contre-mouvement qui prône un retour vers la valorisation de la féminité, et son expérience irréductible, la maternité. Si ce courant est aussi hétérogène que les mouvements féministes, il requalifie (selon ses propres méthodes et visées idéologiques) la question du sujet politique (c’est-à-dire le groupe au nom duquel agir et dont on cherche à défendre l’intérêt), du féminisme et des femmes.

• 2 Un des slogans de la Marche pour la vie, janvier 2021.

2En filigrane de l’ouvrage d’Andrea Dworkin (1983), Magali Della Sudda traite de « nouvelles » femmes de droite, avec un rapport à l’égalité (acquise et non remise en cause) et une sociologie spécifique. En se fondant sur un corpus (rassemblé entre 2014 et 2020) constitué d’observation des différents groupes et sites internet, des pages Facebook et des médias en lignes (plateformes d’information, chaînes Youtube) mais aussi d’entretiens approfondis (au sortir des fortes mobilisations de 2012-2013), informatifs et informels, Magali Della Sudda analyse les raisons de l’émergence et la visibilité de ces groupes de militantes de droite. Cela revient à se demander si la réactualisation des questions de genre et de féminisme des années Hollande d’une part, et les enjeux environnementaux (la nature donnant une légitimité nouvelle) d’autre part, n’ont pas été l’occasion, pour ces militantes, d’une reconquête des espaces médiatique et politique. D’origine favorisée, catholiques, ces militantes ont des profils sociologiques différents de leurs prédécesseuses : elles ont eu accès aux études supérieures, souvent orientées vers la communication, qu’elles mettent efficacement au service de leurs causes. S’ajoute à cela une rupture générationnelle dans les modes d’actions et les valeurs défendues : ces nouvelles militantes se revendiquent du féminisme et instrumentalisent des slogans et des idées féministes, comme « Mon corps, mon choix, mon corps, mon droit »2, dans une logique de retournement réactionnaire, emprunt ici de modernité.

• 3 Dans le cas spécifique des Antigones, le militantisme de clavier renvoie à la diffusion d’un projet (...)

5Cela s’accompagne de la création de sites internet, ou de « pages » dédiées sur les réseaux sociaux3, un ensemble de modes d'actions qualifié de « quiet politics ». Ce terme a été développé pour décrire les actions des mouvements de l’ultra-droite étatsunienne de la fin du XIXème siècle qui luttaient contre l’Equal Rights Amendment. Mais l’autrice rappelle que le déploiement de ce militantisme ne se borne pas aux espaces numériques. L’usage de modes d’action plus conventionnels, comme la manifestation, reste prédominant bien que ce choix ne revête pas le même sens selon les groupes et le projet politique. Concernant les nationalistes comme les Caryatides, l’usage des symboles traditionnels est mis en avant pour marquer une identité et une filiation avec les ligues féministes des années 1930. « Militer avec féminité » s’entend comme l’idée d’opposer au féminisme de la seconde vague la mise en valeurs d’attributs jugés valorisant pour la femme et qui rappelle l’idée d’une différenciation sexuée à conserver. Afin de marquer leur dissociation et désapprobation à l’égard d’autres groupes féministes, des groupes peuvent également organiser des "actions chocs" ou des coups d’éclat qu’on peut qualifier d’interpellations de l’opinion publique de manière assez rapide et non-déclarée. L’occupation du local des Femen par les Antigones en mars 2013 en constitue un exemple paradigmatique.