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Kari De Pryck, GIEC. La voix du climat

Fabienne Jouty
GIEC
Kari de Pryck, GIEC. La voix du climat, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2022, 214 p., préface de François Gemenne, ISBN : 9782724638707.
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Texte intégral

1Situé à l’interface de la sociologie des organisations internationales et de la sociologie des sciences, cet ouvrage est le fruit d’une recherche menée entre 2014 et 2021. Comme le relève François Gemenne dans sa préface, il s’agit de la « première sociologie politique » (p. 5) du Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (GIEC). Dans ce livre, Kari De Pryck « décortique les processus qui président à la rédaction des rapports, et montre comment le GIEC a construit son autorité scientifique à partir de ces processus » (p. 6). Ce faisant, elle accompagne le lecteur « dans la boîte noire du GIEC » (p. 18) et rapporte chaque étape de la fabrique de l’expertise scientifique dans le contexte singulier de la gouvernance globale du climat.

2Doté de quatre chapitres, l’ouvrage « démysthifi[e] le GIEC » (p. 6) et montre que le facteur principal de son succès est sa capacité à organiser la coopération entre les chercheurs et les diplomates, devenant ainsi une véritable « machine à consensus » (p. 11). Après un premier chapitre consacré à la genèse et à l’organisation interne du GIEC, Kari De Pryck propose un deuxième chapitre centré sur les étapes de la procéduralisation de l’expertise scientifique intergouvernementale. Ensuite, un troisième chapitre voué à l’influence des gouvernements sur les pratiques et les dispositifs mobilisés par le GIEC interroge les effets de cette ingérence étatique. Puis, dans un dernier chapitre, la politiste montre que la mise en scène progressive de l’autorité du GIEC, fondée notamment sur une communication qui se professionnalise, est mise en œuvre pour s’opposer au climatoscepticisme. Enfin, la conclusion de l’ouvrage identifie les défis que l’expertise climatique aura à relever dans un avenir proche.

  • 1 Fondée en 1947, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) est une institution spécialisée de l’O (...)
  • 2 Plus haute autorité environnementale du système onusien, le Programme des Nations Unies pour l’Envi (...)
  • 3 Cf. Pierre-Bruno Ruffini, Science et diplomatie, Paris, Editions du Cygne, 2015.

3Communément qualifié d’institution, le GIEC n’est pas, juridiquement parlant, une institution internationale. Créée en 1988, cette organisation intergouvernementale n’est pas le fruit d’un accord entre des États mais entre des organisations internationales onusiennes : l’OMM1 et le PNUE2. Le portrait esquissé par l’autrice montre alors que, dès ses origines, le GIEC a été institué pour, d’une part, devenir un « point de passage obligé » (p. 13) entre la science et la politique et, d’autre part, maintenir le changement climatique dans l’agenda international. En ouvrant ses négociations aux représentants des États membres des Nations unies, le GIEC rend possible la mise en œuvre d’une « diplomatie scientifique multilatérale »3 inédite.

  • 4 Olivier Nay et Franck Petiteville, « Elements pour une sociologie du changement dans les organisati (...)

4Au-delà des ajustements opérés depuis 1988, le GIEC s’est structuré autour de trois piliers : une instance décisionnelle qu’est l’Assemblée plénière, trois groupes de travail qui regroupent les experts rédigeant les rapports, et un Bureau qui coordonne le processus d’évaluation et organise l’interface entre les gouvernements et les scientifiques. Par ses travaux, le GIEC cadre les savoirs sur le changement climatique et participe activement à la construction du problème climatique ainsi qu’à la législation de certaines solutions avancées. Depuis sa création en 1988, il a connu une institutionnalisation qui s’est opérée à la fois sous la pression des « controverses scientifiques », qui ont poussé les chercheurs à être plus attentifs à leur communication, et sous la pression de « la géopolitique du climat » (p. 202), qui a incité les États à garder l’expertise climatique sous contrôle. Gagnant en autonomie, l’organisation s’est formalisée dans les années 2000 et a accru sa transparence interne afin de résister aux critiques extérieures, et ainsi « gouverner l’ingouvernable » (p. 113). De ce fait, à l’heure actuelle, le GIEC ne se limite pas à son réseau d’experts mais se définit également comme un « univers de règles, de procédures et d’instruments, d’usages, de coutumes, de routines, de représentations, de rôles institutionnels et de configurations d’intérêts »4. Cette double nature consolide son autorité tout à la fois politique et épistémique.

5Nombreux sont les apports de l’ouvrage de Kari De Pryck. Il montre d’une part que la création du GIEC est l’expression d’un « changement épistémologique » (p. 32) marqué par le passage d’une conception locale du climat à une conception globale pour renforcer la coopération climatique. Ce phénomène aurait encouragé l’émergence d’une gouvernance internationale du climat. D’autre part, en empruntant à la socio-histoire, l’autrice réalise une archéologie du GIEC et note que le prix Nobel de la paix reçu en 2007 puis les controverses de 2009 constituent un tournant majeur après lequel le GIEC devient « l’autorité ultime » (p. 36) en matière d’expertise climatique. Aussi, son étude révèle l’influence déterminante des États dans l’organisation et la rédaction des rapports. En décryptant le « long processus de mise en dialogue » (p. 124) entre auteurs et gouvernements pour la rédaction des résumés pour décideurs, la politiste montre alors que la collaboration étroite entre les experts et les politiques favorise « une compréhension collective du changement climatique » (p. 126) tout en conférant au document final une validité diplomatique.

  • 5 Stefan Aykut et Amy Dahan, Gouverner le climat ? Vingt ans de négociations internationales, Paris, (...)

6Critique, Kari De Pryck souligne que, si le GIEC affirme produire des évaluations « politiquement neutres » (p. 191), il lui est parfois difficile de se détacher de ses « présupposés et interprétations politiques et juridiques » (p. 194). De même, la faible représentation d’experts issus de pays émergents ou l’inefficacité politique des rapports interrogent. La thèse de l’ouvrage se trouve ainsi précisée sous cette forme : « le GIEC ne porte pas seulement la voix du climat ; il la construit » (p. 23). Accompagné de tableaux, de cartes, de chronologies, de graphiques, de schémas, d’encadrés et d’un petit dictionnaire, cette étude fournit finalement un riche contenu sur le GIEC, et offre un nouvel aperçu de l’univers onusien. Dans la continuité du travail réalisé par Stefan Aykut et Amy Dahan5, l’autrice reconstruit l’expérience polyphonique du GIEC et éclaire avec nuance les logiques qui structurent les négociations climatiques mondiales.

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Notes

1 Fondée en 1947, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) est une institution spécialisée de l’Organisation des Nations Unies qui assure la veille météorologique mondiale.

2 Plus haute autorité environnementale du système onusien, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) est créé en 1972 pour encourager la coopération internationale en matière environnementale.

3 Cf. Pierre-Bruno Ruffini, Science et diplomatie, Paris, Editions du Cygne, 2015.

4 Olivier Nay et Franck Petiteville, « Elements pour une sociologie du changement dans les organisations internationales », Critique internationale, n° 53, 2011, p. 10 (cité p. 17 dans l’ouvrage de Kari De Pryck).

5 Stefan Aykut et Amy Dahan, Gouverner le climat ? Vingt ans de négociations internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 2015 ; compte rendu d’Emilien Schultz pour Lectures : https://doi.org/10.4000/lectures.17979.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Fabienne Jouty, « Kari De Pryck, GIEC. La voix du climat », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 12 mai 2023, consulté le 02 juin 2023. URL : http://journals.openedition.org/lectures/61159 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.61159

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Rédacteur

Fabienne Jouty

Doctorante contractuelle en histoire au CNRS et à Sorbonne Université, rattachée au laboratoire Sorbonne - Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe (SIRICE).

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