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Juliette Eyméoud, Claire-Lise Gaillard (dir.), Histoire de célibats. Du Moyen âge au xxe siècle

Isabelle Coquillard
Histoire de célibats
Juliette Eyméoud, Claire-Lise Gaillard (dir.), Histoire de célibats. Du Moyen Âge au XXe siècle, Paris, PUF, 2023, 180 p., ISBN : 978-2-13-084934-6.
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Texte intégral

  • 1 Néanmoins, il faut citer les analyses récentes de Scarlett Beauvalet-Boutouyrie (« La femme seule à (...)
  • 2 Marie Bergström, Géraldine Vivier, « Vivre célibataire : des idées reçues aux expériences vécues », (...)

1À travers les portraits de dix femmes et hommes du Moyen Âge jusqu’au xxsiècle, Juliette Eyméoud et Claire-Lise Gaillard, respectivement docteure en histoire moderne et docteure en histoire contemporaine, questionnent ce que signifie « être célibataire » à diverses périodes, un sujet encore peu étudié en histoire1 mais exploré par la sociologie2. Les contributions de cet ouvrage collectif d’histoire sociale, du genre et de l’intime interrogent l’agentivité des célibataires en portant une attention spécifique aux effets du célibat dans des trajectoires individuelles, et ce afin de se départir du discours normatif faisant de cette situation une catégorie figée.

2La pluralité des expériences de célibat montre en effet qu’il ne peut se réduire à un état de non-mariage. Il existe des célibats, chacun identifiable par différentes pratiques (non exclusives l’une de l’autre) de non-mariage, de non-conjugalité, ou de chasteté, de non-engagement, de non-cohabitation. Reconstruction permanente, la norme sociale du célibat est liée à l’injonction d’une vie devant se construire dans une conjugalité menant à la parentalité. Ainsi, en 1774, Claudine Fauret, personne intersexuée devenue Claude Fauret, peut vivre en homme mais ne peut nouer alliance car son mariage serait non procréatif (chapitre 5). L’expérience du célibat est donc lue en miroir du mariage, du couple, de la chasteté et de la sexualité. Le célibat étant parfois estimé comme un comportement social problématique qui engendrerait l’alcoolisme, le dérèglement des mœurs, la solitude, le retrait de la société, le libertinage, son appréciation fluctue en fonction d’une période, d’une culture, du genre, du groupe social et du contexte démographique.

3Jusqu’à la mi-xviiie siècle, le terme célibat est réservé au célibat ecclésiastique et n’a pas de connotation négative. Lorsque la crainte de la dénatalité et de la décroissance de la population se diffuse dans de nombreux pamphlets, le terme apparait dans les dictionnaires pour désigner l’état inhabituel, voire indigne d’un individu non marié. Les femmes célibataires sont davantage stigmatisées par leurs contemporains – des « vieilles filles » qui ne se réalisent pas dans leur féminité – alors que les hommes célibataires sont de « joyeux lurons » ou de « vieux garçons ». Ainsi, au tournant du xixe siècle, le célibat d’Alexandre Brongniart (chapitre 6) se veut temporaire. Il est perçu comme un temps d’intégration des normes de domination masculine et de stabilisation financière et professionnelle qui le rendra capable d’assumer la charge d’un futur ménage. Progressivement, le célibat devient une préoccupation féminine avec l’affirmation du mariage comme norme bourgeoise, renforcée par les dispositions du Code civil. En effet, la loi légitime la supériorité du mari sur son épouse en lui imposant le devoir de subvenir à ses besoins, de sorte que le travail féminin est un élément de distinction entre la sphère bourgeoise et les milieux populaires. Une femme bourgeoise non mariée reste à la charge de sa famille sous peine d’un déclassement consécutif à son obligation de travailler. Mais, après les pertes de la Première Guerre mondiale, le célibat des femmes semble plus acceptable à la société à cause du déficit démographique masculin. Dans ce contexte de dénatalité, c’est le célibat masculin qui semble un comportement égoïste. Malgré les appréhensions morales vis-à-vis du célibat féminin (autonomie des femmes, comportements jugés immoraux), il n’est pas possible d’imputer aux femmes, à ce moment-là, la responsabilité de leur situation.

4En décentrant le regard de la conjugalité, l’ouvrage permet de redonner sa place aux autres relations existantes dans le célibat. Au ixe siècle, Charlemagne impose le célibat à ses huit filles pour des raisons politiques (chapitre 1). Par crainte de fragiliser la dynastie carolingienne, Charlemagne souhaite les préserver d’un mariage dans la petite noblesse pour s’accorder le temps de préparer une alliance royale. Cependant, ses filles ont une vie conjugale avec des hommes intégrés à la société et assimilés à des époux (ils sont reconnus socialement), un état conjugal qui n’est pas officialisé par l’Église (absence de légitimité juridique). Bien que le couple ne soit pas uni aux yeux de la loi, sa stabilité établie sur un consentement mutuel, exprimée dans la cohabitation et la sexualité, lui confère une légalité et des obligations similaires à celles d’un couple marié (dont la règle d’indissolubilité). Ici, la frontière entre le célibat et le mariage se révèle poreuse.

  • 3 Rose-Marie Lagrave, Se ressaisir. Enquête autobiographique d’une transfuge de classe féministe, Par (...)

5Le propos déployé participe à une déconstruction des mythes liés au célibat, notamment l’association entre le célibat et la solitude. Par exemple, au xviiisiècle, certains lettrés et savants se placent hors des contraintes maritales. Le cas du jeune poète François-Antoine Devaux, fils unique d’un chirurgien fraîchement anobli (chapitre 4), montre que le célibataire peut s’inscrire dans un réseau amical et culturel. « Allié[s] d’ascension »3, Devaux et son amie Françoise de Graffigny se confortent dans la construction de leur figure littéraire dans la société.

6La condition sociale influe sur le vécu du célibat. Henriette de Conflans (chapitre 3) illustre la position de la « fille majeure usante et jouissante de ses biens et droits » (p. 42), selon la formulation des notaires pour identifier les femmes de plus de 25 ans, non mariées, qui disposent de leur fortune, du droit d’ester en justice, sans la tutelle d’un homme. Là, le célibat devient un marqueur d’autonomie. Restée célibataire à cause de la déchéance économique de sa famille, Henriette de Conflans jouit de la liberté nécessaire à son entreprise de reconstitution de la fortune familiale et se met au service de la riche duchesse d’Orval. À l’inverse, le célibat peut accentuer une situation de marginalité. Au xixe siècle, il serait une disposition à la folie féminine chez des femmes déjà isolées par leur pauvreté et leur état mental, telles qu’Apolline Leclercq (chapitre 7). En l’absence de la tutelle d’un mari, elle peine à négocier sa sortie de l’asile et se voit même éloignée de sa famille par un placement en province. Bien que le mariage d’amour soit valorisé, les considérations économiques et patrimoniales influent sur la conclusion d’un mariage bourgeois. Au sortir de la Première Guerre mondiale, Jean Antoine Canassi, militaire d’infanterie, considère le mariage comme le moyen d’une ascension sociale (chapitre 10). Voulant satisfaire une attente sociale (fonder un foyer pour engendrer une postérité), il cherche à concilier ses aspirations personnelles et les intérêts de sa famille. Ici, l’alliance se veut à la fois matrimoniale, sociale et économique.

7Le célibat peut être l’expression d’un engagement politique des femmes pour affronter une société jugée inégalitaire et patriarcale, y compris dans la sphère privée. Entre 1908 et 1933, la correspondance entre la doctoresse Madeleine Pelletier et la femme de lettres Arria Ly (chapitre 9) témoigne d’un célibat voulu et vécu comme un sacerdoce militant accessible aux seules femmes d’exception. Si le célibat peut être un choix, d’autres femmes s’en accommodent et en font un moyen d’émancipation et de transgression des rôles assignées à leur genre. Ainsi, à la fin du xixe siècle, Gertrude Bell (chapitre 8) profite d’un célibat non désiré l’exemptant des obligations matrimoniales pour accéder à des professions réputées masculines (archéologue, diplomate et officier politique).

8Une contribution aborde les marges du célibat à travers l’expérience du veuvage, un célibat singulier où le survivant assume seul la charge des enfants. À la fin du xve siècle, Macé Prestaille, 33 ans, bourgeois de Tours, perd son épouse en couche et son nouveau-né, et se retrouve veuf avec trois enfants en bas âge (chapitre 2). Prestaille commande un recueil de prières et de textes liturgiques dans lequel il exprime ses émotions à travers le choix des textes et rappelle la famille qu’il a formée avec sa défunte épouse. Il témoigne de son attachement à sa vie conjugale passée tout en remplissant son devoir de veuf d’entretenir la mémoire de la défunte.

  • 4 Le podcast des deux directrices d’ouvrage, Le genre du célibat, propose d’autres exemples et s’inté (...)

9Somme toute, cet ouvrage collectif offre un tableau précis des diverses formes de célibat choisies ou subies, à travers des contributions portant sur différentes périodes et groupes sociaux, reposant sur des sources variées et originales. Saisi à hauteur d’hommes et de femmes, chaque vécu du célibat témoigne d’une trajectoire individuelle toujours replacée dans une épaisseur sociale et morale afin d’en analyser les faisceaux de causes et conséquences4. Le jeu de miroirs entre les divers portraits permet d’établir son propre parcours de lecture et de redoubler d’attention face aux particularités sociales, culturelles et économiques des individus présentés. Une possible suite à donner à ce volume rigoureux, répondant à son ambition initiale, serait d’établir des comparaisons avec des « histoires de célibats » européennes.

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Notes

1 Néanmoins, il faut citer les analyses récentes de Scarlett Beauvalet-Boutouyrie (« La femme seule à l’époque moderne : une histoire qui reste à écrire », Annales de démographie historique, n° 2, 2000, p. 127-141) et de Jean-Charles Bologne (Histoire du célibat et des célibataires Paris, Fayard, 2004), ainsi que les études d’histoire littéraire. Voir Geneviève Guilpain, Les célibataires, des femmes singulières. Le célibat féminin en France (XVIIe-XXIe siècle), Paris, L’Harmattan, 2012 ; compte-rendu de François-Ronan Dubois pour Lectures : https://doi.org/10.4000/lectures.11133.

2 Marie Bergström, Géraldine Vivier, « Vivre célibataire : des idées reçues aux expériences vécues », Population et Sociétés, n° 54, 2020, en ligne : https://doi.org/10.3917/popsoc.584.0001.

3 Rose-Marie Lagrave, Se ressaisir. Enquête autobiographique d’une transfuge de classe féministe, Paris, La Découverte, 2021 ; compte-rendu de Sofia Aouani pour Lectures : https://doi.org/10.4000/lectures.48494.

4 Le podcast des deux directrices d’ouvrage, Le genre du célibat, propose d’autres exemples et s’intéresse aussi aux marges du célibat : https://legenredescelibats.wordpress.com/podcasts/.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Isabelle Coquillard, « Juliette Eyméoud, Claire-Lise Gaillard (dir.), Histoire de célibats. Du Moyen âge au xxe siècle  », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 25 septembre 2023, consulté le 18 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/lectures/62044 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.62044

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