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Marie-Pierre Lefeuvre, Gaël Chantepie, Camille François, Flavia Leone, Romain Melot, Emilia Schijman, Vivre en copopriété. L’indivision en pratiques

Dominique Vidal
Vivre en copropriété
Marie-Pierre Lefeuvre, Gaël Chantepie, Camille François, Flavia Leone, Romain Melot, Emilia Schijman, Vivre en copropriété. L'indivision en pratiques, La Défense, LGDJ, Lextenso éditions, coll. « Droit et Société », 2023, 189 p., EAN : 9782275029887.
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Texte intégral

1Il est des ouvrages collectifs de pure façade qui juxtaposent des chapitres de qualité inégale sans véritable lien entre eux. Souvent résultats de l’exigence de financeurs qui imposent la production de ce que la novlangue des agences de moyens appelle un « livrable », ils tombent vite des mains et finissent leur courte carrière sous la poussière d’une étagère. Tel n’est assurément pas le cas de ce livre qui, sur le fond comme sur la forme, en est l’exact envers.

2Fruit d’une recherche soutenue par le Plan urbanisme construction architecture (PUCA), il propose une sociologie renouvelée de la vie en copropriété. Autour de deux notions (« la copropriété pratique », « le travail pour l’immeuble ») issues d’une élaboration théorique commune, ses chapitres dialoguent pour préciser ce qui rapproche et différencie les formes de copropriété étudiées. La copropriété, montrent les six auteur.e.s, ne relève pas que d’un domaine spécifique du droit. Elle est aussi au cœur des dynamiques urbaines et des pratiques de citadins. Et les copropriétaires, sans méconnaître les textes, aménagent les normes juridiques en vigueur ou créent du droit en s’accordant sur les règles devant régir la vie en commun. La copropriété se trouve de ce fait « à la croisée de deux tendances contradictoires » (p. 12) : celle qui voit l’avancée de la propriété privée, et celle qui en appelle à la préservation et l’extension des communs.

  • 1 Hélène Richard, Comment les Russes sont-ils devenus (co)propriétaires ? Illégalismes administratifs (...)

3L’idée de copropriété pratique permet d’étudier la copropriété sans s’en tenir aux prescriptions du droit formel. La multiplicité des modes de vie dans les copropriétés révèle en effet que chacune d’elles a des règles spécifiques concernant par exemple l’usage des parties communes, la présence aux réunions de copropriétaires ou la participation à des moments de convivialité. La notion de travail pour l’immeuble, tirée d’une thèse sur la copropriété en Russie, désigne les « activités sociales qui prennent pour objet l’entretien de l’immeuble dans les dimensions matérielles, sociales, voire morales1 ». Ce travail pour l’immeuble n’est pourtant que rarement mentionné en France, où l’analyse de la copropriété porte surtout sur les rôles respectifs du syndic et du conseil syndical. Or il s’observe dans de nombreux immeubles, notamment chez les copropriétaires pour lesquels la possession d’un bien immobilier est d’autant plus valorisée qu’elle résulte d’un lourd effort financier. C’est pourquoi les auteurs ont concentré leur attention sur des copropriétés de couches populaires stabilisées et de classes moyennes, excluant du champ de leur étude les immeubles les plus dégradés et ceux où résident des ménages suffisamment aisés pour en laisser la gestion à des professionnels.

4Après une introduction collective présentant les enjeux du livre, le premier chapitre, signé Romain Melot, dresse, sans prétention à l’exhaustivité, un état de la recherche internationale sur la copropriété. Il en souligne la diversité des formes qui se caractérisent en particulier par la fluctuation des frontières entre gestion formelle et gestion informelle, la nécessité de resituer les pratiques de socialisation dans le contexte urbain plus général, ainsi que la longueur et la fragilité des processus de mobilisation des copropriétaires.

5Dans le chapitre suivant, Gaël Chantepie procède à une analyse comparée du droit français de la copropriété avec plusieurs droits étrangers (anglais, belge, italien, québécois). Il en ressort la rigidité du droit français où l’assemblée générale des copropriétaires joue un rôle prépondérant et où les locataires ne sont pas associés aux décisions concernant l’immeuble où ils vivent. Cette spécificité juridique est d’ailleurs une limite forte à un habitat fondé sur la participation de tous les résidents, quel que soit leur statut d’occupation.

6Marie-Pierre Lefeuvre et Flavia Leone étudient quant à elles les transformations d’une copropriété en Seine–Saint-Denis (chapitre 3). Des règles locales, établies par les copropriétaires sur la durée, régissent le fonctionnement du conseil syndical, les usages des espaces communs et les décisions sur les travaux. L’arrivée d’habitants de couches supérieures dans un immeuble à l’origine principalement habité par des familles de classes populaires a mis en évidence différents rapports à la copropriété. Alors que les premiers occupants s’emploient à éviter la dégradation d’un lieu tenu en signe statutaire, les nouveaux ont une relation plus instrumentale à la copropriété, leur statut social reposant aussi sur des diplômes et des titres professionnels. Moins attachés à la protection de l’ensemble, ils voient par exemple dans les pelouses une extension de la sphère privée plutôt qu’un espace à patrimonialiser.

7Dans le quatrième chapitre, Flavia Leone, seule cette fois, prend pour objet une copropriété populaire de Saint-Herblain. Située à proximité d’un quartier prioritaire de la métropole nantaise, celle-ci est exposée à un risque de dépréciation que les propriétaires s’efforcent de conjurer. Pour cela, les membres du conseil syndical, selon leurs compétences professionnelles et domestiques, s’impliquent dans le travail pour l’immeuble au-delà de ce que prévoit la loi. Les règles autour desquelles ils s’organisent tiennent compte des situations économiques et sociales de chacun, et ce à distance, mais sans les rejeter, des normes juridiques formelles du droit de la copropriété.

8De leur côté, Lucie Élie et Marie-Pierre Lefeuvre s’intéressent à un projet d’habitat participatif dans le sud de la France (chapitre 5). L’immeuble a pour caractéristique d’être issu d’une association loi 1901 avant d’être une copropriété. La subordination du syndicat des copropriétaires au projet associatif est source de tensions, car les habitants doivent constamment agir en pensant qu’ils se sont engagés à vivre ensemble. La qualité des relations de voisinage prévaut cependant dans cet immeuble qui fonctionne grâce à l’entraide comme une « maisonnée », pour reprendre un terme de Florence Weber, et ce d’autant plus que les habitants rejettent le terme même de copropriété. Mais bien plus que le statut associatif, c’est l’engagement dans le projet de ces derniers, notamment les moins bien lotis d’entre eux, qui en assure le bon fonctionnement.

9Au chapitre 6, Emilia Schijman nous conduit à Buenos Aires dans un grand ensemble de 17 000 habitants. Vivant pour beaucoup en situation précaire, ses résidents, sous l’égide d’un groupe de femmes, participent à des degrés divers à la réalisation de tâches qui, sans pallier l’insuffisance des services publics et les conséquences d’importants impayés, maintiennent une vie collective là où le délitement du social pourrait l’emporter. Cette économie est rendue possible par une morale commune qui suscite la collaboration sous peine de sombrer dans le discrédit. Les règles locales ne recoupent pas les normes juridiques, mais s’en inspirent ou les adaptent selon les situations. De la sorte, ces résidentes, administratrices de fait, produisent et mettent en œuvre un droit d’en bas qui tire sa légitimité de son adéquation au vécu de la population.

10Le dernier chapitre résulte d’une enquête exploratoire de Camille François sur les copropriétés au Québec. Il y montre, au prisme de la notion de copropriété pratique, comment les modes de délibération des résidents indifférencient les deux régimes de copropriété en vigueur (copropriété divise, copropriété en indivision). Le système de voisinage, et les obligations morales qui le sous-tendent, en constituent ici encore l’explication première, tant, dans la vie de ces copropriétés, ils exercent une influence plus forte sur les comportements que les normes juridiques.

11Enfin, en conclusion, Marie-Pierre Lefeuvre revient sur les acquis de cette recherche collective et sur ce qui se joue dans la copropriété. C’est pour elle l’occasion de repréciser les notions de copropriété pratique et de travail pour l’immeuble, en insistant notamment sur les processus de communalisation, au sens wébérien, que produit la solidarité forcée de copropriétaires pris entre une individualisation recherchée et une indivision juridiquement imposée. Et loin d’y voir un carcan, elle la considère davantage comme un terreau potentiel d’appropriation collective de l’habitat.

12Ce livre a le grand mérite de relier les débats contemporains sur les communs, la mixité sociale et le vivre-ensemble à des questionnements plus anciens sur le logement en ville, la participation et les usages des terres en propriété collective dans le monde rural. Au croisement de la sociologie urbaine et de la sociologie du droit, il révèle les capacités de collaboration de citadins vivant en copropriété qui définissent eux-mêmes des règles de vie commune, inspirés ou non de normes juridiques.

13Certains lecteurs, attachés à la maison individuelle ou échaudés par des règles communes qu’ils n’ont pu discuter, jugeront peut-être que les auteurs font preuve d’un engouement excessif pour les mérites de la copropriété et du travail pour l’immeuble. La ville, a fortiori au temps de la transition écologique, ne saurait pourtant être pensée qu’à travers les plaisirs de l’anonymat, et aucun citadin un tant soit peu citoyen ne peut désormais ignorer qu’il a en partage, à défaut d’en être copropriétaire, l’espace qu’il pratique. On peut aussi regretter que ce livre ait délaissé certains acteurs (les concierges, les agents de la propreté, les policiers municipaux) avec lesquels les copropriétés interagissent souvent à partir d’arrangements tacites. Mais aucun livre ne peut traiter une question sous tous ses aspects, et ce pourra être l’objet de recherches futures. En attendant, tous les chercheurs en sciences sociales, qu’ils travaillent sur des pays du Nord ou du Sud, tireront grand profit de la lecture de ces 189 pages, dont on espère seulement que le prix élevé de 29 € conduira rapidement à une mise en ligne en libre accès.

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Notes

1 Hélène Richard, Comment les Russes sont-ils devenus (co)propriétaires ? Illégalismes administratifs et socialisation au droit en Russie postsoviétique, thèse de science politique, IEP de Lyon, 2014, p. 48.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Dominique Vidal, « Marie-Pierre Lefeuvre, Gaël Chantepie, Camille François, Flavia Leone, Romain Melot, Emilia Schijman, Vivre en copopriété. L’indivision en pratiques », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 09 octobre 2023, consulté le 10 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/lectures/62250 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.62250

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