2De 1945 à 1967, tout d’abord, les mobilisations se centrent principalement sur les problèmes des mères de famille. Jusqu’aux années 1960, les organisations familiales, qu’elles soient de tendance communiste comme l’Union des femmes françaises (UFF) ou catholique comme le Mouvement populaire des familles (MPF), et les organisations syndicales aident les femmes à alléger les tâches reproductives (domestiques et éducatives) dont elles doivent s’occuper. Les femmes représentent aux yeux de ces organisations des vecteurs de modernisation de la société française. Ces structures les aident ainsi à accéder aux outils domestiques modernes (machines à laver mises en commun, par exemple) et revalorisent leur rôle dans les exploitations agricoles. Ainsi, la Jeunesse agricole catholique féminine (JACF), dans ses discours et argumentaires, fait des femmes les inspiratrices de la modernisation agricole. Déjà responsables de certains secteurs dans les exploitations (laiterie, basse-cour, par exemple), elles tiennent aussi les comptes et peuvent donc impulser les nouvelles orientations, selon la JACF. Les syndicats ne sont pas en reste dans ce mouvement d’émancipation des femmes des tâches reproductives pour les intégrer aux activités productives : la salarisation des femmes se développe et les questions qui les touchent spécifiquement trouvent un écho avec la création de commissions femmes à la CGT comme à la CFTC ou d’un magazine féminin à la CGT. Les orientations diffèrent néanmoins : si la CGT s’oriente autour des droits des femmes au travail (retraite à 55 ans, indemnisation du congé maternité, par exemple), la CFDT se préoccupe davantage du cadre de vie (logement) et de la prise en charge collective du travail domestique (création de crèches, garderies, services sociaux, etc.). Dans toutes ces organisations, la thématique de la conciliation entre les tâches reproductives et productives s’impose.

3Les mobilisations, à partir des années 1968, présentent une double évolution. Premièrement, le cadre de vie devient l’enjeu majeur et la thématique de la conciliation entre tâches reproductives et productives passe au second plan. Des organisations héritières des mouvements familiaux des années précédentes deviennent le moteur des mobilisations. Par exemple, la confédération nationale des associations populaires des familles devient la confédération syndicale du cadre de vie (CSCV) en 1976. Ses revendications s’élargissent aux questions de consommation. L’idée est la suivante : des meilleures conditions de travail ne présentent que peu d’utilité si le cadre de vie détériore les conditions d’existence (absence de mode de garde pour les enfants, temps de transport ou encore coût de la vie et du logement trop élevé). Deuxièmement, les mobilisations pour la reconnaissance des compétences des travailleuses se multiplient durant les années post-68. Par exemple, la CFDT réclame la revalorisation du travail et des salaires des aides ménagères et des travailleuses familiales. Aussi, en 1972, plus de mille femmes ouvrières dans la laiterie Entremont à Quimper se mettent en grève pour être mieux payées. Ou encore, l’UFF revendique la création d’un statut pour les femmes qui travaillent dans les exploitations agricoles et qui y occupent pourtant un rôle indispensable. Il s’agit notamment de leur permettre d’accéder au congé maternité. Par ailleurs, au sein des syndicats, les femmes remettent en cause la répartition des tâches militantes. Pourtant, ces militantes se tiennent pour la plupart à l’écart du féminisme, ce mouvement restant perçu comme « bourgeois ».

4À partir des années 1980 et jusqu’au début des années 2000, les questions de reconnaissance professionnelle prennent le dessus. Alors que la crise de 1975 et la dépression des années suivantes se font de plus en plus sentir sur les politiques publiques et l’économie française en général, l’activité des femmes progresse encore, mais elle se polarise : les femmes occupent 80 % des temps partiels, sont sujettes à la précarité et leur contribution à l’économie domestique demeure peu visible. Par ailleurs, les organisations syndicales comme la CGT ou encore la CFDT interrompent leur dynamique d’ouverture aux enjeux qui touchent les femmes. La CGT se recentre sur les conditions de vie des classes populaires tandis que la CFDT se consacre à la question de la représentativité des femmes dans ses instances dirigeantes (politique des quotas), espérant que la féminisation permette de porter plus fortement dans un second temps les questions qui concernent les femmes. Les mobilisations féminines prennent alors d’autres formes, telles que les coordinations. Elles font l’objet de regroupements autonomes. C’est le cas par exemple des mobilisations des institutrices et surtout des infirmières à la fin des années 1980 ou encore des assistantes sociales dans les années 1990. Les femmes participent aussi aux mouvements plus massifs comme les grèves et manifestations de 1995 contre les politiques néolibérales. Elles restent cependant peu visibles dans la presse comme dans les assemblées générales. En parallèle, les mobilisations pour le cadre de vie notamment via la CSCV se poursuivent. Des collectifs de mères apparaissent aussi notamment dans le prolongement des marches contre le racisme des années 1980. Les femmes et les jeunes filles maghrébines gagnent en visibilité. Par exemple, le collectif des Nanas Beurs regroupe 400 adhérentes en 1985 et intervient dans le débat public. Leur mobilisation qui articule rapport de genre et de race montre les lacunes du modèle d’intégration républicain.

5À partir des années 2010, s’ouvre une nouvelle phase où les mobilisations féminines populaires prennent plus de place dans l’espace public. Les politiques néolibérales accroissent la précarité et réduisent les services publics et les politiques redistributives. Les mobilisations pour la revalorisation des métiers à prédominance féminines se maintiennent (infirmières, accompagnantes d’élèves en situation de handicap). Dans le même temps, les mobilisations pour la justice sociale et contre la précarité dans les classes populaires se multiplient, à l’instar du mouvement des Gilets jaunes, dans lequel les femmes participent avec les hommes aux mobilisations contre la hausse des prix des carburants. Certaines acquièrent une forte visibilité, comme Priscilla Ludosky, aujourd’hui considérée comme une des fondatrices du mouvement. Les femmes figurent aussi en bonne place dans les mobilisations contre les réformes des retraites à partir de 2019. Leurs revendications y trouvent un écho, notamment en raison de leurs carrières interrompues par la maternité. Pour terminer, Fanny Gallot souligne que des causes féministes trouvent un écho dans les mobilisations de femmes populaires ; c’est le cas par exemple du mouvement #Metoo dans les organisations syndicales, notamment à l’UNEF et à la CGT où des femmes se mobilisent pour dénoncer les agressions sexuelles qu’elles subissent.

6L’étude de Fanny Gallot n’identifie pas vraiment une tendance unique dans l’évolution des mouvements populaires féminins tant leurs objets et leurs modes de mobilisation sont diversifiés. Elle souffre dans cette version d’une absence de définition claire de l’objet. Le propos porte-t-il sur les mobilisations portées par des femmes ou pour les femmes en général ? Les cas étudiés montrent qu’il s’agit un peu des deux, sans être pour autant exhaustif dans chaque cas. Les critères de sélection des mobilisations ne sont pas explicités. L’historienne développe également le cas des mobilisations des femmes en faveur de la construction d’écoles pour les enfants kanaks. Les raisons de ce choix ne sont pas explicitées alors que ce cas est le seul dans le livre à illustrer des mobilisations féminines pour des territoires colonisés par la France. Par ailleurs, peut-on et faut-il toujours considérer que les associations de consommateurs ou pour le cadre de vie comme le CSCV relèvent de mobilisations pour les femmes ? La portée de leur action n’est pas sexuée a priori.

7Ces quelques questionnements exposés, le livre demeure – il faut le dire – une riche synthèse des mobilisations féminines populaires et répond à son objectif qui est de rendre visibles les contributions des femmes aux mouvements collectifs.