• 1 Rotolo Marina, La production de la ville en contexte labellisé. Matera, Capitale européenne de la c (...)
• 2 Voir notamment Tanchoux Philippe et Priet François (dir.), Les labels dans le domaine du patrimoine (...)
• 3 Le label est attribué à une ville européenne qui propose une programmation culturelle à rayonnement (...)
• 4 Gravari-Barbas Maria et Jacquot Sébastien (dir.), Patrimondialisations. La fabrique touristique glo (...)

1Issu d’un travail de thèse en architecture1, cet ouvrage s’inscrit dans la continuité de travaux en sciences sociales qui portent sur les labels patrimoniaux et culturels. Ancrés dans un contexte de multiplication de ces labels au cours des dernières années, ces travaux s’intéressent généralement à leurs retombées pour les territoires qui en bénéficient2. Consacré au label Capitale européenne de la culture (CEC)3, l’ouvrage propose ici une approche originale, puisque son analyse porte sur le processus de labellisation. Marina Rotolo invite ainsi les lecteurs à suivre la « mise en œuvre » (p. 28) du label CEC pour la ville de Matera, située en Italie dans la région de Basilicate. Elle propose d’analyser les effets de cette labellisation sur la fabrique urbaine de Matera sur la période allant de l’année 2014 (date d’obtention du titre) à l’année 2019, où Matera est CEC. En préface, Maria Gravari-Barbas resitue le travail de Marina Rotolo au cœur des réflexions menées récemment sur la patrimondialisation4, un néologisme créé pour rendre compte de la « sortie des interférences historiques entre patrimonialisation et construction nationale, au profit d’une mondialisation du patrimoine, mais aussi d’une mondialisation par le patrimoine » (p. 16-17). Les dynamiques de patrimonialisation des villes interfèreraient ainsi avec les circulations d’idées à l’échelle mondiale. En ce sens, la démarche menée par Matera pour la labellisation CEC en fait aux yeux de Maria Gravari-Barbas un « exemple saisissant » (p. 16) de patrimondialisation. Dans l’introduction, Marina Rotolo expose les raisons qui l’ont amenée à travailler sur Matera. Elle évoque la candidature de la ville au label CEC, présentée par les rédacteurs du dossier comme une opportunité pour repenser le développement économique du sud de l’Italie, et faisant selon eux de Matera un modèle pour d’autres villes d’Europe. Il est rappelé que dans les années 1940, la ville était pourtant décriée, du fait de l’insalubrité du quartier troglodyte des Sassi, son centre historique. Dès lors, l’ouvrage poursuit un double objectif : comprendre l’évolution des représentations de Matera des années 1940 à 2019, en analysant le rôle joué par la labellisation CEC dans ce phénomène ; observer les transformations dans les politiques d’aménagement et de gestion de la ville qui en résultent. Le cas de Matera permettrait alors d’observer les stratégies de développement mises en place par une ville moyenne, dans un contexte de « compétition internationale » (p. 27) dominée par les métropoles.

• 5 Landry Charles et Bianchini Franco, The Creative City, Londres, Demos, 1995.

3La deuxième partie est consacrée aux mécanismes d’internationalisation de la production urbaine. Le chapitre 3 décrypte le jeu d’acteurs qui s’opère à travers la démarche de labellisation. Initié par une association d’habitants, le projet de candidature CEC est d’abord instrumentalisé par des candidats aux élections municipales, qui en font un levier pour élaborer des stratégies politiques et opposer leurs visions de la ville. De même, Matera devient une « scène à investir » (p. 130) pour des acteurs politiques nationaux, qui souhaitent montrer leur implication dans ce projet. Ils insistent sur l’opportunité de transformation économique et sociale que représente le label pour le sud de l’Italie, ce qui en fait pour eux un enjeu national. Progressivement, les acteurs locaux sont écartés au profit d’experts internationaux, mandatés dans le cadre de la candidature CEC. Ils impulsent une nouvelle dynamique de production urbaine, en appliquant à Matera les principes de la « ville créative » (p. 142), qui mobilisent la créativité et la culture comme moteurs du renouvellement urbain5. À travers l’aménagement de nouvelles infrastructures et la mise en valeur d’espaces propices à la créativité, Matera devient ainsi une « ville entrepreneuriale » (p. 154), et le but est d’en faire un modèle de « redéveloppement économique à exporter » (p. 154). Le chapitre 4 évoque un exemple de projet urbain lancé dans le cadre de la labellisation CEC, celui de la Piazza della Visitazione, porte d’entrée de la ville. Du fait de sa localisation géographique excentrée, la place a régulièrement fait l’objet de projets d’aménagement destinés à la reconnecter au centre historique. Marina Rotolo montre comment le projet de requalification de la place a cependant davantage pour but de faire rayonner la ville plutôt que de résoudre concrètement des enjeux fonctionnels. Avec sa nouvelle gare, réalisée par l’architecte Stefano Boeri et dont la conception fait écho à l’habitat troglodyte des Sassi, la Piazza della Visitazione doit ainsi « faire évènement » (p. 194), et correspondre à l’image de Matera promue à l’échelle internationale dans le cadre de l’année CEC.

• 6 Cette Fondation a été créée pour porter la candidature CEC de Matera, et a géré la mise en place de (...)
• 7 Mise en place dans le cadre de l’année CEC 2019, l’Open Design School est un laboratoire créatif et (...)

4La troisième partie porte sur les mutations socio-spatiales dans les franges urbaines, laissées à l’écart du processus de labellisation. Dans le chapitre 5, Marina Rotolo propose une déambulation dans les quartiers de Lanera, Serra Venerdi et Spine Bianche. Ses habitants déplorent le fait qu’aucune opération en lien avec l’année CEC n’ait été réalisée pour améliorer la vie dans ces quartiers. Ils expliquent également être peu intégrés au processus décisionnel, à l’inverse des acteurs internationaux. Ce discours vient à l’encontre de la « comunità » (p. 213) promue dans le discours de la Fondation Matera-Basilicata 20196, où l’inclusion des habitants à la démarche de labellisation est soulignée. Le chapitre évoque ensuite le travail mené par l’Open Design School7, chargée de repérer des lieux dans ces quartiers pour y effectuer des installations temporaires durant l’année 2019. Le choix des lieux est lié à leur « potentiel scénique » (p. 250), et ces installations ont pour but de valoriser ces quartiers le temps de l’année CEC, mais n’apportent pas de solutions aux enjeux présents. Le chapitre 6 évoque l’émergence de nouvelles formes de collectifs citoyens. Il repart du projet « Gardentopia », un réseau de jardins partagés créé par des habitants dans un objectif de régénération urbaine. Pour la Fondation Matera-Basilicata 2019, ce projet est le symbole d’une synergie entre l’administration communale, les associations et les habitants, et c’est pourquoi elle s’appuie sur ce projet pour promouvoir la « comunità ». Dans les faits, les habitants expliquent qu’ils n’ont pas de place dans le processus décisionnel, laissé en partie aux architectes. Toutefois, des comités de quartier et coopératives de communautés émergent dans le même temps, pour porter la voix d’habitants de Matera. Ces collectifs considèrent alors l’année CEC comme une opportunité pour « mettre en lumière des périphéries » (p. 279), ce qui a des impacts indirects sur « leurs capacités d’intervention dans l’espace public et leur rôle au sein de l’action urbaine » (p. 279), et des effets bénéfiques sur le long terme.