Full text
- 1 Comité International Olympique, Charte olympique, 2024, p. 95.
- 2 Jacques Defrance, « La politique de l’apolitisme. Sur l’autonomisation du champ sportif », Politix, (...)
- 3 Voir Valentin Guéry et Igor Martinache (dir.), « (Dé)politiser les Jeux olympiques », Cahiers d’his (...)
- 4 Nathalie Fabry et Sylvain Zeghni, « Pourquoi les villes ne veulent-elles plus accueillir les Jeux O (...)
1Avec plus de 3 milliards de téléspectateurs et téléspectatrices, les Jeux Olympiques (JO) d’été représentent le plus grand spectacle du monde. Une vitrine rêvée pour faire passer ses messages, quand bien même la charte olympique, sorte de règlement de la compétition, prévoit dans son article 50.2 qu’« aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique »1. Dès 1896, l’histoire des Jeux modernes regorge ainsi d’entorses à la « politique de l’apolitisme »2 menée par ses instances3. Et si les populations et les autorités locales rechignent de plus en plus à accueillir la compétition en raison notamment des coûts pour les finances publiques4, les candidatures à l’utilisation des JO à des fins de propagande ne faiblissent pas. C’est ce que rappelle la dernière livraison d’Hérodote, la revue de géopolitique fondée par Yves Lacoste, au travers des 8 contributions qui la composent.
2Les deux premières, signées respectivement par Jean-Loup Chappelet et Pascal Gillon, se penchent sur les luttes feutrées pour la gouvernance du sport mondial. Toutes deux montrent que si le Comité International Olympique (CIO) a jusqu’à présent réussi à maintenir sa prééminence en la matière, il n’en subit pas moins les assauts des fédérations Internationales (FI) de certaines disciplines, et une relative concurrence de la part d’autres organisations intergouvernementales. Le rapprochement entamé avec l’Orgnisation des Nations Unies (ONU) depuis une trentaine d’années peut ainsi se lire comme une entreprise visant à maintenir son hégémonie tout en réaffirmant les valeurs universalistes qui justifient le gigantisme de la manifestation.
3La notion d’héritage traduit tout particulièrement cette prétention du mouvement olympique à charrier toutes sortes de bienfaits, matériels comme immatériels, dans le sillage d’un événement aussi démesuré qu’éphémère. C’est à elle que Pierre-Olaf Schut consacre son texte en se concentrant sur le cas de Paris 2024. Invitant à distinguer output et outcome, c’est-à-dire les actions mises en place au nom de l’héritage et les résultats de ces dernières, il analyse l’héritage comme une politique publique à même de mettre en mouvement toute une série d’acteurs, en particulier dans les clubs sportifs et l’éducation nationale, sans pour autant que l’on puisse en attendre des effets durables, notamment en termes d’augmentation de la pratique physique de la population.
4La cérémonie d’ouverture des JO de Paris ambitionne de marquer les esprits en s’affranchissant de l’enceinte close d’un stade pour proposer un défilé nautique sur la Seine qui doit se terminer en apothéose devant la tour Eiffel. Un pari risqué compte tenu des moyens conséquents à déployer pour assurer la sécurité d’un tel dispositif, comme l’évoque Médéric Chapitaux dans son texte. Cet enjeu, qui rappelle que les JO sont une vitrine de choix aussi bien pour le militantisme que pour le terrorisme, revêt de multiples dimensions et se déploie également en ligne, comme le rappelle l’entretien réalisé avec Pierre André, spécialiste de la gestion des risques pour la compétition. L’organisation des JO doit ainsi se prémunir de millions de cyberattaques anticipées, qui peuvent atteindre différents postes liés directement (billetterie) ou indirectement (réseaux de transport) à la bonne tenue de la compétition, ce qui implique la coordination et la préparation de divers acteurs.
5Les deux articles suivants nuancent l’idée selon laquelle les compétitions sportives constitueraient un levier indéfectible du sentiment national. En étudiant le cas des jeux méditerranéens organisés en 2018 dans la ville de Tarragone en Catalogne, André Suchet montre que, porté par quelques entrepreneurs de cause locaux, à commencer par le maire fédéraliste Josep Fèlix Ballesteros, le projet est fortement contesté localement à compter de l’été 2015, en raison de son coût et de son improvisation. Loin d’être une vitrine pour l’identité catalane, la manifestation a finalement lieu en présence du roi Felipe VI et en langue castillane, tandis que l’opposition est tenue à distance par les forces de l’ordre, assistées par les nervis du parti d’extrême-droite Vox. Pauline Soulier étudie pour sa part les usages du sport dans la construction d’une identité nationale kosovare, ceci pour en montrer les limites. Si le territoire de l’ex-Yougoslavie a réussi à se faire reconnaître par le CIO et à capitaliser sur les résultats de ses représentants sportifs, l’autrice pointe que cela ne suffit pas pour autant à diffuser un sentiment d’appartenance nationale au sein de la population, en raison notamment de la persistance d’identités sportives nationales autres, serbes et albanaises au premier chef.
6Le dernier article de ce numéro, signé par Médéric Chapitaux et Philippe Terral, ne porte pas à proprement parler sur l’olympisme. Il s’intéresse à la question des liens entre sport et islamisme, récemment érigée en problème public. S’appuyant sur des entretiens auprès de plusieurs responsables du renseignement français et sur des rapports pour partie confidentiels rédigés par leurs services, les auteurs mettent en évidence les principaux angles de préoccupation de ces derniers en matière d’usages des clubs et des pratiques sportives à des fins de « communautarisme », de « radicalisation » ou de préparation au « terrorisme », mais aussi un certain nombre de points aveugles et de généralisations abusives, en raison notamment d’une méconnaissance de l’organisation du sport en France. Leur texte invite ainsi implicitement à poursuivre les recherches sur cette thématique afin d’éviter les amalgames et stigmatisations qui l’entourent.
- 5 L’historiographie a depuis bien établi le renoncement à contre-cœur face à une importante mobilisat (...)
- 6 Pour un exemple à propos du boycott en France de la coupe du monde de football masculin organisée p (...)
7Incarnant un nouvel avatar de la manière dont les JO pénètrent quantité d’espaces sociaux d’ordinaire plutôt imperméables au sport, ce dossier a le mérite de rappeler l’importance (géo)politique du sport et de proposer des pistes fécondes pour l’aborder. La longueur réduite des articles et l’imprécision relative de la méthodologie et des sources sur lesquelles certains des textes s’appuient peuvent malgré tout laisser au lectorat de ce dossier un sentiment d’inachèvement et de survol des enjeux abordés. Outre certains raccourcis ou erreurs factuelles, comme la mention dans l’éditorial (p. 7) du boycott des JO de Los Angeles en 1984 par l’URSS5, on peut être frustré par le manque d’incarnation des acteurs collectifs, comme s’ils n’étaient constitués que d’un seul homme, et l’absence d’analyse, dans les différents cas traités, de l’espace des prises de position au regard de l’espace des positions sociales6. Bref, l’absence d’une sociologisation des enjeux qui aurait nécessité également de faire varier les échelles. Une manière peut-être de rappeler l’écart qui existe entre géopolitique et sociologie.
Notes
1 Comité International Olympique, Charte olympique, 2024, p. 95.
2 Jacques Defrance, « La politique de l’apolitisme. Sur l’autonomisation du champ sportif », Politix, n° 50, 2000, p. 13-27.
3 Voir Valentin Guéry et Igor Martinache (dir.), « (Dé)politiser les Jeux olympiques », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 158, 2023.
4 Nathalie Fabry et Sylvain Zeghni, « Pourquoi les villes ne veulent-elles plus accueillir les Jeux Olympiques ? Le cas des JO de 2022 et 2024 », Revue Marketing Territorial, n° 4, 2022.
5 L’historiographie a depuis bien établi le renoncement à contre-cœur face à une importante mobilisation aux États-Unis pour bannir les Soviétiques et leurs alliés, assortie de menaces pour leur intégrité physique. Voir notamment Robert Edelman, « The Russians Are Not Coming! The Soviet Withdrawal from the Games of the XXIII Olympiad », The International Journal of the History of Sport, vol. 32, n° 1, 2015, p. 9-36.
6 Pour un exemple à propos du boycott en France de la coupe du monde de football masculin organisée par l’Argentine en 1978, voir Jean-Gabriel Contamin et Olivier Le Noé, « La coupe est pleine Videla ! Le Mundial 1978 entre politisation et dépolitisation », Le Mouvement Social, n° 230, 2010, p. 27-46.
Top of pageReferences
Electronic reference
Igor Martinache, « « Géopolitique de l’olympisme », Hérodote, n° 192 », Lectures [Online], Reviews, Online since 20 September 2024, connection on 10 November 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/65443 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12bxd
Top of pageCopyright
The text and other elements (illustrations, imported files) are “All rights reserved”, unless otherwise stated.
Top of page