• 1 Par emploi, l’autrice entend à la fois les emplois directs liés aux activités principales (fabricat (...)

1La prise de conscience que le développement économique des pays occidentaux s’est réalisé aux dépens de l’environnement conduit aujourd’hui à la mise en œuvre de politiques de régulation environnementale pour réaliser une transition écologique. Pour autant, cela n’est pas sans poser des problèmes, à l’instar du dilemme entre préservation de l’environnement et préservation de l’activité économique. Dans cet ouvrage, Mireille Chiroleu-Assouline s’appuie sur une importante revue de littérature pour évaluer les impacts de la transition énergétique sur l’emploi1 et proposer des politiques macroéconomiques de réduction de ses effets négatifs.

• 2 Le bouquet énergétique est la répartition des différentes sources d’énergies primaires utilisées da (...)
• 3 Cette expression renvoie au fait que tous les pays ne se fixent pas les mêmes objectifs de réductio (...)

2Les deux premiers chapitres étudient l’incidence de la régulation environnementale (taxation du carbone, etc.) sur l’emploi dans différents secteurs, qu’il s’agisse de la production de biens polluants comme l’automobile, d’industries énergivores comme celles de l’acier et du ciment, ou des filières énergétiques elles-mêmes. Les secteurs les plus touchés par la hausse des prix du carbone sont amenés à se transformer en profondeur : modification du bouquet énergétique2, nouvelles technologies, délocalisation. La solution adoptée et les conséquences sur l’emploi dépendent alors de plusieurs paramètres. D’abord, pour minimiser leurs coûts de production, les entreprises peuvent substituer certains facteurs de production par d’autres moins coûteux, mais les effets sur l’emploi peuvent être complexes à déterminer. Ensuite, Mireille Chiroleu-Assouline invite à prendre en compte la possibilité pour les entreprises de répercuter une hausse des coûts de production sur les prix de vente, tout en sachant que cette possibilité dépend de leur pouvoir de marché, de l’exposition à la concurrence internationale, et de l’existence de politiques environnementales asymétriques3. Enfin, à propos du secteur de l’énergie, l’économiste effectue une comparaison intéressante : « la transition énergétique peut être vue comme une destruction créatrice schumpetérienne » (p. 32). Certains secteurs comme celui des énergies fossiles sont amenés à décliner, d’autres à croître. Se pose alors la question de savoir si la perte d’emplois dans les premiers est compensée par une création dans les seconds. Tandis qu’un certain consensus est observé dans la littérature sur l’idée que l’intensité en main-d’œuvre des énergies renouvelables est généralement plus élevée, Mireille Chiroleu-Assouline nuance ce constat en tenant compte des effets géographiques différenciés sur l’emploi et des enjeux de transférabilité des compétences. Par exemple, certains pays très dépendants des exportations de ressources fossiles pourraient être perdants.

• 4 L’autrice note le fait que dans ce contexte, l’adjectif « vert » peut être ambigu car il peut être (...)

3Le chapitre trois s’intéresse ensuite au verdissement de l’économie à travers l’étude des emplois verts4 et verdissants. Mireille Chiroleu-Assouline s’y penche sur plusieurs secteurs. Elle insiste d’abord sur l’agriculture biologique et l’exploitation forestière, qui sont redynamisées par la transition écologique. Puis elle aborde l’économie circulaire, qui devrait créer des emplois locaux pérennes, et la rénovation énergétique. Enfin, elle montre que l’économie du partage, « fondée sur le partage ou l’échange de biens (automobile, logement, outils), services ou connaissances » (p. 52), peut tout à la fois créer de nouveaux emplois liés aux besoins de maintenance, et en détruire d’autres en diminuant la demande de biens (voitures, bureaux, etc.). En outre, Mireille Chiroleu-Assouline remarque que les métiers de ces secteurs restent très masculins, avec notamment une sous-représentation des femmes dans les secteurs de la construction et de la production d’électricité, ainsi que dans les emplois qui nécessitent des compétences numériques avancées. Elle pointe donc un risque d’aggravation des disparités professionnelles entre les hommes et les femmes.

• 5 ADEME, Transition(s) 2050. Choisir maintenant, agir pour le climat, Angers, ADEME, 2021.
• 6 Pisani-Ferry Jean et Mahfouz Selma, Les incidences économiques de l’action pour le climat, Paris, F (...)

4Dans un quatrième chapitre, l’économiste complète son analyse en évaluant plusieurs formes de modélisations macroéconomiques. Si ces modélisations ont l’avantage de fournir un cadre général qui intègre les créations et destructions d’emplois ainsi que les interactions entre secteurs, elles négligent toutefois les rétroactions macroéconomiques, et les hypothèses retenues à l’origine des modélisations conditionnent fortement les résultats obtenus. Par exemple, les quatre scénarios visant la neutralité carbone en France en 2050 modélisés par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME)5 et le rapport Pisani-Mahfouz ont des conclusions opposées, le second montrant que la politique climatique aboutit à une baisse de l’activité économique par rapport à un scenario business as usual6. Par ailleurs, l’autrice souligne que ces modélisations sont confrontées à l’enjeu de rendre compte de multiples désalignements, qu’ils soient temporels (quand les pertes d’emplois précèdent des gains d’emplois), spatiaux (quand les nouveaux emplois apparaissent dans d’autres régions), éducatifs (quand les niveaux de compétences requis n’ont pas été développés) ou sectoriels (en raison de l’évolution des chaînes de valeur).