• 1 Nous reprenons dans ce compte rendu le choix des auteur∙ices des formules toujours au féminin « d’e (...)

1Cet ouvrage collectif s’intéresse à la relation de travail entre les employées de ménage exerçant à domicile et leurs employeuses1. À partir de celle-ci, qui expose tout particulièrement les salariées à la « domination sociale », l’ambition des auteur∙ices est de proposer un éclairage sur les relations salariales dans leur ensemble. L’ouvrage est issu d’un programme pluridisciplinaire auquel ont collaboré des chercheur∙euses en sociologie, en sciences de l’éducation et en anthropologie. Trente entretiens ont été réalisés avec des employeuses et des employées de ménage, et constituent le matériau commun à l’ensemble des chapitres de l’ouvrage. Celui-ci est structuré en trois parties. Dans la première, Alizée Delpierre, Didier Demazière et Gaspard Lion s’intéressent à la spécificité d’un travail exercé dans l’espace particulier qu’est le domicile des employeuses. Dans la deuxième, Yann Benoist revient sur la construction progressive des rôles d’employée et d’employeuse dans la relation de travail. Dans la troisième, Martine Janner-Raimondi et Izabel Galvao cherchent à définir l’appréciation des enquêtées du « travail bien fait ».

• 2 Mauss Marcel, Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, Paris, (...)

4Travailler au domicile de son employeuse renforce cette relation salariale particulière. Cet espace est en effet riche d’enjeux de pouvoir symbolique : par exemple, des employeuses interdisent l’accès à certaines pièces qui forment une « sphère d’intimité », même quand cela pose des problèmes matériels à l’employée pour les contourner ou accéder à un point d’eau. Puisque le recours aux employées externalise des tâches domestiques auparavant réalisées par les employeuses, ces dernières se considèrent tout aussi compétentes – voire plus – que les professionnelles, posant le problème de la reconnaissance de leur travail. Le domicile est aussi un lieu coupé du regard extérieur, jamais contrôlé par l’Inspection du travail, où l’employée est isolée de tout collectif de travail. Il se prête donc particulièrement à l’exercice de violences de la part des employeuses. Le peu de conscience de certaines employeuses quant aux conditions de travail et de vie de leurs employées peut ainsi choquer à la lecture de l’ouvrage ; ainsi de cette cadre infantilisant la demande d’augmentation de son employée, Sofia, au motif que son propre salaire, très confortable, n’a pas été revalorisé cette année-là. En entretien, les employeuses sont nombreuses à reconnaître que leur employée fait preuve d’une productivité impressionnante en réalisant davantage de tâches que celles qu’elles lui demandent : par exemple, au lieu de simplement faire les carreaux, nettoyer aussi toutes les parties en plastique autour des fenêtres. Ce qui pourrait être considéré comme un don selon la terminologie de Mauss2 est cependant perçu comme « allant de soi » par les employeuses, qui se soustraient à l’obligation de contre-don ou n’offrent en échange que des compensations subjectives comme leur affection ou leur reconnaissance.

• 3 Molinier Pascale, Le travail du care, Paris, La Dispute, 2013 ; compte rendu de Thomas Le Guennic p (...)

6En conclusion, la profession d’employée de ménage à domicile reste peu reconnue socialement, économiquement et politiquement, comme en témoigne son absence de dénomination stabilisée. L’ouvrage questionne le paradoxe de ces emplois encouragés par les politiques publiques, alors qu’ils sont mal rémunérés et précaires, exercés principalement par des femmes immigrées, sans progression de carrière. Le travail est pénible physiquement et use la santé, d’autant plus que si la durée du travail dans chaque domicile est courte, elle oblige à une productivité importante sur place et est assortie d’un temps gratuit passé dans les transports entre les différents lieux de travail. Dans un phénomène déjà bien décrit de délégation du travail du care aux femmes les plus précaires3, l’activité des employées de ménage les fatigue et les conduit à l’observation amère que leur propre logement est moins bien entretenu que celui de leurs employeuses. Mais contre les représentations d’un travail « non qualifié », les auteur∙ices exposent longuement les compétences techniques, organisationnelles et émotionnelles nécessaires pour fournir un travail de qualité, c’est-à-dire visible et sensible, reconnu, ajusté aux attentes de l’employeuse sans qu’elle ait à les exprimer voire à les penser explicitement. Il faut mettre au crédit de l’ouvrage le fait de prendre au sérieux, par la description, les tâches effectuées au quotidien et de lutter ainsi contre l’invisibilisation de ce travail – même si l’on peut regretter l’absence d’observations. Contre une description manichéenne, il explique également en quoi cet emploi peut être investi positivement. La diversité des logements et des tâches, le temps qui passe vite car il y a beaucoup à faire, le caractère visible et palpable du travail (l’avant / après du ménage) sont autant de critères appréciés par ces femmes des milieux populaires.