2La première partie de l’ouvrage interroge le lien de causalité, présenté dans le champ politique comme évident, entre crise de recrutement dans l’enseignement et perte d’attractivité. Le chapitre 1, co-écrit par Frédéric Charles, Marlaine Cacouault, Serge Katz, Florence Legendre, Pierre-Yves Connan et Angélica Rigaudière, montre comment la « crise de la vocation » communément admise repose surtout, d’une part, sur le durcissement des conditions d’entrée dans le métier, effet des réformes de sélection des enseignant∙es entreprises à partir des années 1970, qui n’ont pas été accompagnées d’une revalorisation jugée suffisante de la rémunération et, d’autre part, sur la transformation du corps enseignant. En effet, celui-ci a perdu ce que l’on pouvait qualifier comme son « armée de réserve » (p. 48), c’est-à-dire à la fois des femmes qui s’orientaient vers cette voie professionnelle pour concilier vie domestique et vie professionnelle et celles et ceux intégrant l’enseignement sans passer par le concours traditionnel, en reconversion professionnelle par exemple.

3Le deuxième chapitre propose d’analyser les représentations du métier enseignant qu’ont les élèves qui s’orientent vers un master MEEF (métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation). Pierre Périer y met en lumière que l’affection pour l’enseignement se comprend dans une « négociation intime » (p. 57) entre métier idéalisé et métier réel, métier pour soi et métier pour les autres. Le désir d’enseigner varie cependant en fonction du degré choisi : consacrer son temps aux enfants, pour le primaire, et à sa discipline, pour le secondaire. Son enquête par questionnaire révèle finalement que ce compromis subjectif semble ébranlé par la perte de reconnaissance du métier ainsi que par la dégradation des conditions de travail.

4La deuxième partie de l’ouvrage approche « la construction sociopolitique » du problème de l’attractivité en deux temps. Les chapitres 4 et 5 orientent l’attention vers les limites des réponses institutionnelles. Après avoir rappelé que « l’attractivité » devient une catégorie de l’action publique en 2012, Alexandre Munoz-Cazieux et Xavier Pons montrent que la contractualisation de l’emploi enseignant (plutôt que le recrutement de fonctionnaires) est présentée politiquement comme la solution ultime face à la pénurie des enseignant·es tout en étant paradoxalement posée comme symptôme de la situation. Les contractuels sont par ailleurs gérés par les ressources humaines à la manière des titulaires, ce qui renforce le vécu paradoxal de leur condition. Ce « problème d’attractivité » semble d’autant plus aigu que le phénomène croissant de l’« abandon de carrière » produit un nouveau marché de la reconversion. Il est analysé par Camille Croizier à travers des échanges en ligne entre des enseignant·es qui partagent le sentiment d’être non informé·es par leur institution sur leurs possibilités de carrière, de la mobilité à la reconversion, et qui s’organisent en une communauté virtuelle. Ce réseau informel légitime la « sortie de classe » définitive (p. 102) et l’orientation professionnelle vers un ailleurs.

5Les chapitres 6 et 7 s’inscrivent plutôt dans la continuité de la première partie puisqu’ils proposent de saisir, par une analyse linguistique, respectivement les liens entre attractivité et recrutement, et la notion de « vocation » enseignante. À travers l’étude textuelle de commentaires libres rédigés par près de 1200 professeurs dans le cadre d’une enquête par questionnaire, Pierre-Yves Connan, Angélica Rigaudière, Frédéric Charles, Florence Legendre Serge Katz et Marlaine Cacouault démontrent que la perte d’attractivité se traduit par le manque de valorisation matérielle, sociale et symbolique. Dans cette perspective, la population enseignante s’exprime sur les tensions existantes entre d’un côté la passion pour leur métier et de l’autre les exigences – élevées – du travail réel ainsi que les moyens – insuffisants – alloués institutionnellement. Or ce déséquilibre se révèle même constituer une des raisons du recrutement difficile dans ce secteur. Axel Kilic décortique quant à lui la « vocation » enseignante dans ses dimensions individuelle et collective. À partir d’une ethnographie participante dans deux écoles primaires et en particulier de l’attention au discours en « off » des enseignant·es (p. 136), l’auteur explique que cette notion renvoie à la fois à un engagement émotionnel, psychologique et moral, inscrit dans une mission relationnelle, et à une norme défensive d’un groupe professionnel peu valorisé.

6Les chapitres de la dernière partie, qui s’intitule « vers des approches comparatives », se focalisent sur trois autres métiers, respectivement les directeurs d’école du premier degré, les coordinateurs des missions de lutte contre le décrochage scolaire (MLDS) et les conseillers principaux d’orientation. L’analyse de ces trois fonctions permet de revenir sur les enjeux spécifiques au champ éducatif tout en explorant, par un regard déplacé, comment l’institution et ses divers espaces sont investis par les enseignant·es : tandis que Cécile Roaux montre que la direction d’école, sans reconnaissance légale (sans statut officiel), est perçue comme une fonction mettant en péril l’égalité entre pairs au point d’être associée à un « sale boulot », Florian Asséré et Dominique Bret soulignent que les missions d’aide à la rescolarisation « à la marge de l’institution scolaire » (p. 160) ou de « chef d’orchestre de la vie scolaire » qu’est le CPE (p. 176) sont appréciées pour l’autonomie et la liberté pédagogique qu’elles procurent. Ce dernier volet de l’ouvrage donne ainsi un éclairage sur les luttes internes au champ éducatif, et prolonge l’analyse sur les valeurs du travail enseignant (égalité, liberté, relation humaine et « care ») permettant de tenir dans un métier en tension jusqu’à parfois inscrire les acteur·trices contre l’institution scolaire qui les met en péril – avec le rejet, par exemple, des enseignements scolaires dans les MLDS, pourtant utiles aux élèves en décrochage, pour privilégier les ateliers pratiques aux thématiques libres.

7Finalement, ces neuf enquêtes confrontent les réponses des autorités politiques en « quête d’enseignants » aux logiques subjectives des travailleur·ses. La catégorie « attractivité » s’érige ainsi en un objet complexe dont les contours varient selon les contextes. Elle peut se penser au présent (l’orientation et l’entrée dans l’emploi) et au futur (les projections dans le métier chez les jeunes, le fait de rester en poste chez celles et ceux qui exercent déjà), au quotidien ou dans une historicité plus longue, de manière individuelle ou collective. Elle se conçoit donc dans une perspective processuelle et interactionnelle puisque l’orientation vers le métier enseignant est pensée par chaque individu au fil de sa trajectoire singulière, mais est aussi négociée avec l’entourage.

8L’ensemble des textes déconstruisent par ailleurs certaines assertions médiatiques et politiques en circulation, qui font « écran aux réalités que [l’attractivité] est censée désigner » (p. 188), et proposent une analyse critique des remèdes politiques apportés. Imprégnés du new public management, ceux-ci oublient la variété des réponses possibles (par la formation, les modalités de concours, les conditions de travail, les tâches à accomplir, les déroulés de carrière, etc.) au profit de solutions salariales et statutaires, trop souvent éphémères et inefficaces, et parfois aux « effets pervers » (p. 168).

9Enfin, en devenant un « outil utile d’analyse » (p. 187) d’un champ, la catégorie d’attractivité favorise la compréhension du système éducatif public français mais aussi de ses professionnels. Elle permet en particulier d’appréhender les trajectoires sociales des enseignant·es (avec quelles dispositions et désirs arrivent-ils·elles ? quelles expériences vivent-ils·elles ? comment tiennent-ils·elles et pourquoi sortent-ils·elles de cette carrière ?), et ouvre des pistes de réflexion stimulantes sur la souffrance au travail dans un contexte professionnel dégradé.