2Rédigée par Sylvia Faure et Stéphanie Tralongo, la première contribution porte sur l’hétérogénéité des offres de méditation sur le marché du soin de soi. Malgré leur « air de famille », les pratiques méditatives se divisent en deux formes sociales distinctes qui orientent différemment l’activité cognitive. En lien avec les sagesses orientales, la méditation dite « conventionnelle » invite à accéder à une conscience plus large que soi, dans le silence et sans attente de résultat. Au rythme des indications verbales de thérapeutes ou de coachs, la méditation dite de « pleine conscience » vise à mener un travail spécifique sur sa propre intériorité afin de réguler les émotions négatives et de produire du bien-être. L’article documente alors la porosité entre cette seconde forme de méditation, plus explicitement thérapeutique et laïcisée, et les autres techniques proposées sur le marché du développement personnel.

3La seconde contribution du dossier prend pour objet l’engagement dans la pratique du yoga postural moderne chez les individus diplômés du supérieur long. À partir d’une enquête qui mêle questionnaire, entretiens et observation participante, Marie-Carmen Garcia, Mélie Fraysse, Pierre Bataille et Brice Lefèvre montrent que le yoga est associé par ses adeptes à une recherche d’optimisation de soi. Ils et elles s’engagent dans des pratiques corporelles d’autocontrainte, souvent inconfortables, ainsi que dans un travail émotionnel de régulation d’émotions fortes et négatives. On note également une tendance à penser son corps comme un temple à entretenir : rejet d’aliments jugés néfastes, pratiques de jeûne, rejet du tabac ou de l’alcool, etc… L’article explore les liens entre cette conception particulière du soin de soi, marquée par un souci d’excellence cognitive et corporelle, et la population majoritairement féminine et hautement diplômée qui s’adonne au yoga.

4Dans une perspective plus microsociologique, l’article de Heiko Royet-Galante analyse l’engagement de quatre enquêtés dans une démarche de développement personnel, c’est-à-dire dans un travail méthodique de transformation de soi. Pour ces enquêtés, le recours au développement personnel intervient dans un contexte de déstabilisation biographique, comme à la suite de crises professionnelles ou familiales. Insatisfaits de leur quotidien et subjectivement désajustés à leur rôle social, ils trouvent dans l’entreprise de soi l’opportunité de dégager des marges de manœuvres. Ils apprennent alors à développer un rapport réflexif au temps et à l’avenir, s’engagent intensément dans de nouvelles pratiques sportives et/ou culturelles, tandis que certains en viennent à sortir du salariat pour se reconvertir comme indépendant. La rupture avec l’ancien mode de vie est encadrée par les enseignements du coach en développement personnel David Laroche. À travers les différents exemples étudiés (enseignante en crise, boulanger en quête d’ascension sociale, cadre en reconversion), l’article souligne la tension entre une possible affirmation de soi et l’intégration dans un cadre néolibéral qui valorise l’entrepreneuriat et l’autodiscipline.

6La cinquième et dernière contribution du dossier a pour objet les professionnelles du conseil conjugal et familial. À partir d’une étude ethnographique d’un groupe de formation de conseillères au planning familial, Martial Vildad montre que leur formation s’organise autour d’un mantra régulièrement répété par les intervenantes : « pour pouvoir accompagner les autres, il faut être au clair avec soi-même ». Les séances d’apprentissage s’apparentent donc à des groupes de parole, encourageant les apprenties conseillères à développer une « connaissance de soi » psychologisante à travers des pratiques introspectives et la réévaluation de leur histoire personnelle. Elles sont par exemple incitées à trouver le fil rouge de leur existence, c’est-à-dire à repérer dans leur parcours biographique un principe unifiant (comme l’envie d’aider ou l’écoute des autres) susceptible de rendre compte de leur vocation au conseil conjugal et familial. L’auteur montre que ces dispositions à parler de soi constituent une source de légitimité professionnelle, dans la mesure où il n’est pas possible pour ces conseillères de rivaliser sur le plan des connaissances théoriques avec les autres professionnels du couple et de la famille (comme les psychiatres ou les psychologues). À partir de cette étude de cas, l’article propose une définition sociologique du concept d’introversion, conçu comme un mode spécifique de connaissance de soi, résolument internaliste et essentialiste.

7Au prisme des différentes études empiriques qu’il réunit, ce numéro de Regards Sociologiques explore à nouveaux frais la nébuleuse du développement personnel. Il met en évidence la forte hétérogénéité des offres de développement personnel et de leurs appropriations. Ceci étant, ces techniques du bien-être partagent toutes une même focale sur la transformation individuelle, qui reste une condition de leur possible commercialisation. Ainsi, les différentes contributions du dossier reviennent tour à tour sur la diffusion de l’imaginaire néolibéral qui en résulte, entretenant la méconnaissance du poids des structures sociales.