2L’ouvrage est divisé en trois parties et vingt-deux chapitres qui suivent globalement la chronologie. La première partie va jusqu’à la rupture par l’armée française du traité de la Tafna conclu avec l’émir Abd el-Kader, soit 1841. Les deux premiers chapitres permettent à Alain Ruscio de s’attaquer à l’idée d’une conquête de l’Algérie en 1830 survenue par accident, suite à une brouille diplomatique. Il remonte ainsi au XVII^e siècle et souligne la multiplication des projets de conquête de l’Afrique du Nord depuis Richelieu, au nom d’abord d’une lutte contre les pirates des « barbaresques », puis d’une mission civilisatrice de l’Europe à l’égard de territoires africains réputés barbares. L’auteur insiste notamment sur la multiplication des plans d’invasions depuis le XVIII^e siècle et la documentation sur Alger réunie par les différents gouvernements français avant et après la Révolution. L’incident du coup d’éventail donné par le dey d’Alger au consul de France en 1827 ne fut qu’un prétexte mis en avant par la France pour justifier une invasion et une colonisation pensées bien auparavant.

3Les huit chapitres qui suivent portent sur la période 1830-1841 avec cinq chapitres qui suivent la chronologie de la conquête et trois chapitres qui s’arrêtent sur les rapports français et algérien à la conquête. La conquête de l’Algérie fut longue et semée d’échecs. Si Alger est rapidement prise en juin 1830, avec des pertes très faibles, les autres villes du littoral offrent une résistance bien plus grande. Non seulement les expéditions de l’été 1830 s’achèvent par des échecs, mais les hésitations quant au territoire à conquérir (Alger ? Alger et sa province ? L’ensemble de la côte algérienne ?) ne permettent pas aux troupes françaises de procéder à une conquête minutieuse et méthodique. Ces hésitations et la difficulté de la conquête entraînent des initiatives variées et peu cohérentes des officiers généraux sur place. Alors qu’en 1834, le traité Desmichels avec Abd el-Kader doit permettre de sécuriser les premières implantations européennes, le général Clauzel lance en 1836 une colonne sur Constantine dans l’espoir de prendre la ville – campagne qui se conclura par un échec et d’importantes pertes françaises.

4Si la réalité de la colonisation en Algérie dans la décennie 1830 fluctue, le monde politique parisien prend largement position pour une colonisation de l’Algérie au nom du devoir de civilisation, dans l’espoir d’y trouver des débouchés économiques ou encore d’en faire un monde à coloniser pour les franges les plus pauvres de la population française. À ces motivations pratiques s’ajoute un prestige recherché par les régimes qui suivent l’Empire et la Révolution française. Face à ce parti « coloniste » en formation, rares sont les voix qui s’élèvent contre la colonisation. L’opposition à la politique coloniale insiste pour sa part sur le coût démesuré en hommes et en argent de l’aventure algérienne. Le dernier chapitre de cette partie est consacré à la société algérienne qui, pendant cette décennie, met progressivement en place une résistance à la colonisation, rapidement personnifiée par l’émir Abd el-Kader, qui n’est pourtant pas le seul – le bey de Constantine offre une résistance acharnée aux Français jusqu’en 1837. Alain Ruscio voit d’ailleurs dans la figure d’Abd el-Kader l’un des fondateurs d’une proto-nation algérienne en formation et d’un État algérien, et met en avant sa capacité à collecter l’impôt, lever et équiper une armée ainsi que la formation d’une ébauche d’administration.

5La deuxième partie s’intéresse au second temps de la conquête, à savoir la période 1841-1851. Cette période est marquée par le gouvernorat de Thomas-Robert Bugeaud de 1841 à 1847, qui décide de lancer une politique de pacification violente de l’Algérie, devant permettre de sécuriser les colonies et de neutraliser Abd el-Kader. Il obtient de Paris des moyens considérables pour y parvenir – près de 100 000 hommes – et s’octroie une large autonomie, quitte à aller contre les directives gouvernementales. Trois chapitres sont consacrés à la chronologie de la lutte avec Abd el-Kader, aux luttes avec le Maroc qui sert un temps de base arrière à l’émir traqué sur le territoire algérien, aux débuts de la conquête de la Kabylie et aux violences des militaires français à l’encontre des populations indigènes. Ces chapitres sont suivis d’un long chapitre thématique sur les conditions de vie très précaires et pénibles des troupes françaises, que l’auteur oppose régulièrement aux officiers de l’état-major issus le plus souvent de l’aristocratie. Cette partie se clôt par un focus sur la manière dont Abd el-Kader a pu résister à l’armée française, notamment par une politique de guérilla reposant en partie sur la possibilité de se cacher au Maroc. Suite aux pressions militaires françaises, l’émir perd néanmoins le soutien du sultan marocain, dont les troupes expulsent les combattants algériens.

6La troisième partie de l’ouvrage est davantage thématique et s’intéresse plus particulièrement aux mécanismes de la colonisation. Souvent, l’auteur doit d’ailleurs dépasser le cadre chronologique retenu, tant certains effets ne sont documentés que sous la III^e République. Cette partie s’ouvre ainsi sur les procédés, notamment légaux, mis en place par les Français pour accaparer les terres algériennes et les transmettre au colon. Ce chapitre est suivi de trois autres qui portent sur le monde des premiers colons. Alain Ruscio met en évidence tout d’abord le caractère cosmopolite de ces colons européens dont la moitié seulement étaient français. Mais il insiste surtout sur les difficultés d’une colonisation largement voulue par Paris mais difficilement mise en place dans des territoires tout d’abord peu sûrs, puis délaissés pendant les années de guerre et enfin disposant de peu de moyens pour permettre l’installation de colons souvent de très modestes conditions. Ces difficultés importantes expliquent non seulement les nombreux retours d’Européens en Europe mais aussi la très lente mise en place des colonies européennes. Ces chapitres, qui montrent également que les Républicains de 1848 entendent suivre la politique menée par la monarchie de Juillet, sont suivis d’un excursus sur le devenir d’Abd el-Kader après sa reddition en 1847. Alors que l’accord de reddition prévoyait un exil dans l’Empire ottoman, les hésitations de la monarchie de Juillet finissante puis de la II^e République transforment le séjour transitoire sur le territoire français en longue période de captivité, qui prend fin avec le début du Second Empire – Napoléon III souhaitant accorder à l’émir l’exil promis. Deux chapitres s’intéressent enfin plus particulièrement à l’attitude des Français à l’égard de l’Islam en Algérie et le rapport des métropolitains aux Algériens et à leur culture.