1L’ouvrage de Christina Jialin Wu propose une exploration approfondie du scoutisme dans le contexte colonial de la Malaisie britannique, en analysant ce mouvement de 1910 à 1966, à la fois comme outil d’éducation pour la jeunesse mais aussi comme vecteur des valeurs coloniales. L’auteure s’appuie sur une analyse historique, géopolitique et sociologique pour aborder la question de la place et de l’influence du scoutisme dans la construction identitaire des jeunes Malaisiens dans la colonie.

2Christina Jialin Wu traite deux questions centrales dans son étude. D’une part, elle s’intéresse à la façon dont le scoutisme a contribué à la formation des identités sociales et culturelles des jeunes « Malayans » (p. 44) sous l’Empire britannique. D’autre part, elle cherche à comprendre en quoi le mouvement a servi d’outil à la Grande-Bretagne pour maintenir l’ordre colonial tout en favorisant, paradoxalement, des dynamiques de résistance et de transformation sociale. Ainsi, elle rend compte de la manière dont cette jeunesse, exposée à un système éducatif imprégné des valeurs de l’Empire, s’est positionnée vis-à-vis de la domination de la couronne impériale et a construit son propre rapport à l’indépendance de la Malaisie. 

4Le développement de l’ouvrage se structure autour de cinq chapitres. Christina Jialin Wu commence par présenter l’objectif de l’Empire : préparer les jeunes à devenir des citoyens modèles, « des briques dans le mur impérial » pour reprendre l’expression utilisée tout au long de sa démonstration. Le second chapitre explique comment le scoutisme, en tant qu’institution importée, a été utilisé par l’administration coloniale comme un levier d’uniformisation et de contrôle, mais aussi comme un outil éducatif promouvant la solidarité et la discipline chez les jeunes. Dans le troisième chapitre, elle montre que, sous l’apparente neutralité des activités en plein air et des valeurs morales véhiculées par le scoutisme, se cachait une intention plus subtile de diffuser les mœurs éducatives occidentales et de forger une jeunesse conforme aux idéaux britanniques. Le chapitre suivant met en lumière les tensions ethniques présentes dans la société malaisienne de l’époque et leur renforcement par certaines injonctions occidentales. Il démontre que le scoutisme était un élément fédérateur pour des jeunes de différentes origines (malaisienne, chinoise, indienne), devenant en cela un instrument propice à la gestion des différences sociales et ethnoraciales au travers d’imaginaires promus par le mouvement. En effet, le scoutisme a permis à de nombreux jeunes de développer des liens inter-ethniques autour d’expériences communes, comme des randonnées en forêt, des missions de survie ou encore des jeux de coopération. Dans son dernier chapitre, l’auteure pointe la contradiction interne du scoutisme en Malaisie : alors que le scoutisme prône des valeurs d’indépendance et de responsabilisation individuelle, il cherche d’un autre côté à renforcer les structures du pouvoir colonial, en luttant par exemple contre le communisme.

5C’est à travers cette expérience collective que certains jeunes vont cependant développer un sens critique envers l’autorité britannique. L’auteure note que nombre d’anciens scouts sont devenus des figures importantes du mouvement nationaliste malais, participant à l’émancipation du pays après la Seconde Guerre mondiale. Bien que le scoutisme ait été conçu comme un outil de consolidation de l’Empire, il a paradoxalement contribué à former une génération de jeunes plus ouverts sur le monde et plus conscients des injustices du système colonial. Ce phénomène d’effet boomerang montre comment une institution peut, au cours de son histoire, générer des dynamiques contraires à ses objectifs initiaux de contrôle social.

6Pour conclure, cette étude présente les ambivalences du scoutisme en tant qu’outil colonial. Tout en formant la jeunesse aux valeurs de l’Empire britannique, il a aussi offert des espaces d’émancipation pour certains jeunes Malaisiens, qui ont pu se forger une identité critique à l’égard de la domination coloniale. Christina Jialin Wu livre une analyse nuancée et accessible à un public non spécialiste, en jonglant entre ses nombreuses données, issues d’un travail de recherche rigoureux. Son ouvrage propose une contribution historique importante quant aux questions d’éducation et de jeunesse dans les sociétés postcoloniales. Il attise l’intérêt pour d’autres études socio-historiques, susceptibles par exemple d’analyser de manière ethnographique la résultante de l’influence du scoutisme en Malaisie aujourd’hui.