1Lors de l’élection présidentielle de 2017, les bouleversements dans l’offre électorale et les péripéties de la campagne ont été lus dans l’espace médiatique comme un changement radical de la vie politique française. Dès son titre, cet ouvrage collectif vient nuancer ce commentaire : les électrices et les électeurs se sont orienté·e·s dans ce moment politique confus avec des systèmes d’opposition ancrés dans des dispositions et des contextes stables.

4Les résultats se présentent en 7 chapitres : les chapitres 2 à 4, comme le chapitre 8, partent de notions clés de la sociologie politique, quand les chapitres 5 à 7 étudient certaines institutions de socialisation politique.

5Le chapitre 2 se penche sur l’importance du clivage gauche-droite parmi les électeurs du FN. Loin de constater un « dépassement » de cette opposition, on remarque plutôt dans ce vote une réactualisation de celle-ci. Le QSU permet de mettre au jour un « continuum droitier » (p. 95) chez la grande majorité des enquêté·e·s déclarant un vote frontiste. Pour cette large portion de l’électorat frontiste située « en bas à droite » de l’espace social, le vote FN se situe dans la continuité d’une « conscience sociale légitimiste » (p. 76) qui les oppose aux groupes précaires jugés improductifs. Pour ce groupe, le vote FN devient un vote de droite dicible parmi d’autres. Les enquêté·e·s moins ancré·e·s à droite continuent à se référer à une relation antagoniste entre haut et bas de la société, tout en adhérant aux positions xénophobes du FN.

6Le chapitre 3 reprend la notion d’identification partisane pour comprendre la relative fidélité de l’électorat des Républicains à François Fillon face aux turbulences de la campagne. Cette loyauté n’est pas une propriété mais « le fruit d’un travail dynamique et continu qui se déroule dans [les] groupes primaires professionnels, religieux, familiaux et amicaux » (p. 106). Ces groupes d’électeurs et d’électrices dessinent à leur intersection le noyau dur de l’électorat de droite : assez âgé, issu des classes favorisées, à fort niveau de revenu et avec une forte proportion de catholiques pratiquant·e·s. La fidélité au candidat est d’abord celle à une « famille politique » qui se conjugue souvent à l’histoire familiale des enquêté·e·s et à une homogénéité politique de leur groupe de pairs. Cet électorat n’est pourtant pas d’un seul bloc ; en témoignent les trajectoires contrastées lors du second tour et après : une partie plus âgée, éduquée et catholique vote Emmanuel Macron au second tour, quand une fraction plus populaire, jeune et provinciale se tourne vers Marine Le Pen. Ces déplacements contraints par la structure des choix se transforment parfois en vote d’adhésion aux législatives.

7À l’inverse, le chapitre 4 montre comment la conjugaison des ancrages sociaux a produit une « infidélité » de l’électorat socialiste. Celle-ci se lit d’abord comme le produit d’un vote stratégique, selon des stratégies « produites ou tout au moins favorisées par le jeu politique » (p. 165) et sa conjoncture changeante en 2017. Cependant, le vote stratégique ne semble possible que pour les électrices et électeurs disposé·e·s à s’informer, à s’intéresser à la campagne et à se représenter un horizon des issues possibles du vote. Ces stratégies ne sont pas sans effet sur les préférences, de nombreux interviewé·e·s finissant par préférer le candidat choisi par stratégie. Enfin, les votes stratégiques des électeurs de François Hollande en 2012 révèlent aussi des choix par affinité sociale : le groupe le plus âgé et au plus fort capital économique tend à préférer Emmanuel Macron, quand les plus jeunes et les plus précaires tendent à se reporter sur Jean-Luc Mélenchon, les électeurs de Benoît Hamon se plaçant en position intermédiaire. Les stratégies sont ainsi avant tout des accélérateurs de divergence et de réalignement au sein d’un groupe déjà clivé.

8Se situant dans une commune rurale de la Somme, le chapitre 8 est construit autour de la pertinence de l’indice de prédisposition politique de Lazarsfeld (IPP), indice visant à prédire le vote d’enquêté·e·s à partir de leurs « variables lourdes » traçant à grands traits leur profil social (profession, lieu de résidence, religion). Le propos insiste sur l’importance de dépasser cette première approximation pour mieux prendre en compte les trajectoires sociales des individus, resituer leur champ des possibles électoraux et ne pas en rester à la formule réductrice que les enquêté·e·s sont « bien à leur place ».

9En partant d’enquêté·e·s exerçant des métiers « vocationnels » (commerçants, infirmières, policiers), le chapitre 5 explore comment les contextes professionnels forment les rapports ordinaires à l’institution électorale et aux politiques publiques : les policiers développent une approche « inquisitoire » (p. 203) du social, les deux infirmières en hôpital ont un rapport désabusé à la politique face à la dégradation des conditions de soin, alors que les commerçants observent la politique d’abord au travers de la scène locale dont ils sont tributaires et acteurs. Les professions sont donc des « contextes en contexte » (p. 185) dont on ne peut apprécier les effets politiques qu’en retranscrivant leurs inégales positions matérielles et symboliques.

12Pour chaque terrain abordé, les différentes contributions retranscrivent donc comment les ancrages sociaux continuent à orienter le vote des électeurs et des électrices dans une conjoncture qui dévalue des repères précédemment acquis, tout en resituant le moment électoral dans les trajectoires individuelles et collectives qui ont façonné les rapports à la politique. Si l’introduction et la conclusion fournissent en ce sens une vision d’ensemble pertinente et cohérente, le dialogue entre contributions est rare au sein des développements. L’ouvrage n’en reste pas moins riche par l’ampleur de l’enquête et par la diversité des points d’entrée dans le scrutin. Il ouvre des pistes fécondes pour l’étude des diverses dispositions et contextes – parfois en tension – qui orientent les comportements électoraux des individus.