2L’ouvrage vise premièrement à enrichir la compréhension du « mal-logement » en milieu périurbain et rural en France – des espaces moins explorés que les centres urbains sur la question. L’autre objectif est de dépasser les représentations misérabilistes sur le phénomène en partant du vécu et du quotidien des habitant·es. Le camping à l’année est alors parfois envisagé comme une solution, un moyen d’améliorer temporairement sa position sociale. Troisièmement, l’auteur considère le camping résidentiel comme un espace d’observation privilégié des classes populaires contemporaines. Il s’agit à la fois de montrer la diversité des trajectoires et des styles de vie, et de souligner ce qui fait l’unité de ces populations, particulièrement la forte insécurité de leur statut d’occupation.

3L’ouvrage s’articule autour de quatre chapitres. Les trois premiers explorent des trajectoires et expériences résidentielles types au sein duquel le camping résidentiel remplit trois « fonctions sociales » spécifiques : un moyen d’accéder à la propriété populaire (chapitre 1), une épreuve du déclassement (chapitre 2) et une solution pour échapper à la précarité (chapitre 3). Le quatrième et dernier chapitre étudie la fermeture d’un camping résidentiel et les effets du relogement sur ses résident·es.

4Le premier chapitre se concentre sur la fraction la plus stable des classes populaires et retrace les trajectoires d’accession à la semi-propriété via le camping, à travers l’étude des parcours de logement des ménages vivant dans deux campings privés classés trois étoiles. Ici, contrairement à l’image de « lieu par excellence de la relégation et de la misère sociales » (p. 27), le camping résidentiel est présenté comme une filière d’accès alternative à la maison, plutôt libératrice et source de satisfactions. Ce mode de vie plus accessible offre aux résident·es un cadre conforme à leur idéal d’habitat individuel, souvent forgé depuis l’enfance, dans un environnement rappelant les vacances et propice aux sociabilités. Néanmoins, l’auteur replace ce choix résidentiel dans le contexte de la crise du logement et souligne les « multiples contraintes et risques associés au fait, pour ces résident·es, d’être propriétaires de leur mobil-home, mais pas de leur emplacement » (p. 31). En effet, les risques différent considérablement de ceux encourus par les propriétaires sur le marché immobilier standard, notamment en termes d’insécurité résidentielle. Dans ce chapitre, Gaspard Lion décrit les différentes étapes du parcours résidentiel de ces ménages, de la formulation de leurs aspirations résidentielles jusqu’à l’acquisition du mobil-home. Il montre ensuite comment ils investissent cet espace, initialement conçu pour les loisirs, les aménagements du logement et du jardin et les styles de vie traduisant des enjeux de respectabilité et d’autonomie. Enfin, l’auteur met en lumière la précarité persistante et le manque d’indépendance vis-à-vis des gérant·es, souvent dissimulés derrière les discours mélioratifs des résident·es.

7Le quatrième chapitre porte sur un événement spécifique : la fermeture d’un camping résidentiel où Gaspard Lion a réalisé la majorité de ses observations. Il examine les répercussions de cette expulsion sur les résident·es, qui ne bénéficient pas de la protection accordée par le droit du logement. Bien que l’annonce de l’expulsion déstabilise profondément l’ensemble des occupant·es, leur expérience de la procédure varie selon leur situation personnelle. L’analyse s’attache à décrypter l’ensemble du processus et met en lumière les rapports de force en présence, la construction du camping en tant que « problème public » par les politiques et la mobilisation des résident·es face à la menace de fermeture du camping. Les effets de l’expulsion se révèlent différenciés selon les groupes : reclassement des déclassé·es, déclassement des stables et fragilisation des précarisé·es.

8À travers une analyse fine et nuancée des trajectoires, Gaspard Lion met en lumière la grande diversité des expériences résidentielles en camping à l’année en Île-de-France. S’appuyant sur une démarche ethnographique prolongée et un examen approfondi des récits de vie des ménages, il offre une compréhension intime et incarnée de la construction de ces parcours et styles de vie résidentiels. L’ouvrage gagnerait encore à inclure d’autres facteurs identitaires, tels que les questions raciales, pour enrichir l’analyse intersectionnelle des trajectoires. Par ailleurs, l’auteur souligne également l’importance de saisir cette forme d’habitat dans l’épaisseur même du social, ancrée dans des structures politiques et des rapports de pouvoir. Il invite dans ce cadre à interroger le rôle des gérant·es de camping, acteur·rices clefs de ce sous-marché du logement, qui influencent les transactions et la gestion du lieu de résidence, et exercent un pouvoir discrétionnaire sur le droit au logement. Enfin, au-delà des récits incarnés, cet ouvrage ouvre une fenêtre sur l’intimité des espaces résidentiels, souvent difficiles d’accès, mais centraux dans notre quotidien. À travers de nombreuses photographies, Gaspard Lion adopte une approche sensible pour explorer le « chez-soi » des classes populaires, mettant en lumière leur appropriation différenciée de l’espace domestique. Il montre que, malgré les conditions de logement difficiles, les habitats précaires sont des lieux porteurs de sens et d’attachement.