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Vincent Pouliot, Jean-Philippe Thérien, Comment s’élabore une politique mondiale. Dans les coulisses de l’ONU

Nicolas Lepoutre
Comment s'élabore une politique mondiale
Vincent Pouliot, Jean-Philippe Thérien, Comment s'élabore une politique mondiale. Dans les coulisses de l'ONU, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2024, 298 p., ISBN : 978-2-7246-4200-1.
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Texte intégral

  • 1 Voir par exemple « Comment les COP climat peuvent se réformer », Le Monde, 27 novembre 2024.

1En novembre 2024 s’est tenue à Bakou (en Azerbaïdjan) la 29e conférence des Nations unies sur le climat. Trois points saillants ressortent d’une lecture de la couverture médiatique de cette COP par de grands quotidiens français, comme Le Monde1. En premier lieu, le changement climatique apparaît comme l’exemple archétypique d’un problème de dimension mondiale qui doit être traité par l’ONU : les COP sont présentées comme absolument centrales pour l’avenir de la planète. Deuxièmement, la gouvernance mondiale souffre d’importantes faiblesses, ce qu’illustrent les nombreuses critiques émises envers le résultat de cette 29e COP (financement très insuffisant de la transition environnementale, recul sur la sortie des énergies fossiles, etc.). Enfin, diverses pistes pour améliorer le fonctionnement des COP sont suggérées par certains États ou ONG (par exemple exclure de la présidence les pays ne soutenant pas la transition hors des énergies fossiles, ou exclure de la conférence elle-même les lobbyistes des hydrocarbures) mais elles sont loin de faire consensus. Il s’agit ici d’un cas d’école de ce qu’étudient dans cet ouvrage les politistes canadiens Vincent Pouliot et Jean-Philippe Thérien : la fabrique des politiques mondiales.

2Partant du constat que ces politiques mondiales (définies comme « des plans d’action à l’échelle mondiale sur des questions d’intérêt commun » p. 42) sont de plus en plus nombreuses, les deux auteurs proposent d’analyser la façon dont elles sont construites. Contrairement à ce que l’on pourrait croire à première vue, il ne s’agit pas de détailler un simple processus technique mais bien de révéler les enjeux profondément politiques qui se cachent derrière cette question du « comment ». Les formulations très vagues et polysémiques adoptées par les acteurs de la gouvernance mondiale (la défense d’une « approche globale des opérations de paix ») ne sont en réalité qu’un compromis sémantique qui masque toujours des clivages de valeurs (comme une insistance sur la dimension politique ou militaire des conflits). Conflits et débats ne sont d’ailleurs pas pour les auteurs des « pathologies » à éliminer mais bien le « moteur de la gouvernance mondiale » (p. 258). Après avoir posé le cadre théorique et méthodologique de l’ouvrage dans les deux premiers chapitres, les universitaires développent trois études de cas : les Objectifs du développement durable (ODD), le Conseil des droits de l’homme (CDH), la protection des civils (PDC). Il s’agit de trois politiques parmi les plus ambitieuses de l’ONU qui ont été mises en place dans la même période (à partir des années 2000) et qui présentent d’intéressantes similarités dans leur construction. Les pratiques sont analysées selon un même processus en trois phases. Les auteurs cartographient les acteurs impliqués dans la fabrique d’une politique mondiale, en élargissant le plus possible la focale au-delà des acteurs dominants. Ils inventorient ensuite les modalités d’action (qu’elles soient classiques ou nouvelles, formelles ou informelles) de ces différents acteurs. Enfin, ils analysent les effets politiques de ces modes d’action et notamment les logiques d’inclusion et d’exclusion sous-jacentes. Quant aux clivages de valeur, ils sont principalement mis en lumière à partir d’une étude approfondie des discours produits par les acteurs.

  • 2 Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962 (cité p. 27).
  • 3 Le « pen holding ».

3S’il n’est pas possible d’exposer en détails les dix grandes tendances de la fabrique des politiques mondiales listées par Vincent Pouliot et Jean-Philippe Thérien dans leur dernier chapitre, focalisons-nous sur deux conclusions majeures de l’ouvrage. D’une part, la construction des politiques mondiales n’est pas le fruit d’un processus bien balisé en amont mais comprend au contraire une large part d’improvisation. Lorsque le CDH est créé en 2007 par exemple, les modalités de ce qui va progressivement devenir son principal moyen d’action (l’examen périodique universel) ne sont pas encore définies. La fabrique des politiques mondiales mêle également des modalités tout à fait classiques (telles que le recours à des groupes d’expert) et d’autres bien plus novatrices (à l’instar de la grande enquête « My World » pour les ODD). C’est dans cette optique que les universitaires réinvestissent tout au long de l’ouvrage la notion de « bricolage » développée par Claude Lévi-Strauss2. D’autre part, la façon dont les politiques mondiales sont construites fait l’objet d’intenses luttes. Si l’ONU se targue de proposer des processus de plus en plus inclusifs grâce à l’implication d’un nombre croissant d’acteurs (les institutions onusiennes, les États, les ONG, les entreprises etc.), tous n’ont pas la même vision du monde ni les mêmes intérêts. Le clivage Nord-Sud apparaît ainsi encore particulièrement prégnant, même s’il doit parfois être nuancé. C’est le cas dans le domaine de la protection des civils : les pays du Nord sont globalement les défenseurs d’un humanitarisme libéral et d’une approche principalement sécuritaire de la question tandis que ceux du Sud craignent des politiques trop interventionnistes et insistent sur la nécessité de résoudre les causes profondes des conflits. Pour autant, un certain nombre de pays africains sont particulièrement engagés dans la PDC et plus proches sur cette thématique de ceux du Nord que des autres du Sud (comme le prouvent les « principes de Kigali » adoptés en 2013). En définitive, ce sont les grandes puissances occidentales qui imposent la plupart du temps leurs préférences, notamment parce qu’elles conservent la maîtrise du processus (par exemple en rédigeant les projets de résolution du Conseil de Sécurité soumis dans un second temps à discussion et au vote3).

4Comment s’élabore une politique mondiale peut paraître intimidant au premier abord : le langage de la gouvernance mondiale est parfois très jargonnant et le cadre conceptuel présenté par les auteurs est fourni. Pour autant, Vincent Pouliot et Jean-Philippe Thérien se sont attachés à rendre l’ouvrage le plus accessible possible et à lui donner une vraie cohérence. Ainsi la construction est-elle particulièrement soignée : les études de cas sont organisées selon un plan rigoureusement identique, des tableaux de synthèse parsèment régulièrement le propos et une conclusion clôt chaque chapitre (avec même une mini-conclusion pour chaque sous-partie). Chaque concept ou argument est en outre illustré par un exemple précis. Les étudiant·es en science politique pourront enfin s’appuyer sur la présentation détaillée de la méthodologie (dans le chapitre 2) si leur vient l’envie de poursuivre des recherches dans ce domaine.

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Notes

1 Voir par exemple « Comment les COP climat peuvent se réformer », Le Monde, 27 novembre 2024.

2 Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962 (cité p. 27).

3 Le « pen holding ».

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Pour citer cet article

Référence électronique

Nicolas Lepoutre, « Vincent Pouliot, Jean-Philippe Thérien, Comment s’élabore une politique mondiale. Dans les coulisses de l’ONU », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 16 janvier 2025, consulté le 19 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/lectures/66534 ; DOI : https://doi.org/10.4000/133jr

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