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Hervé Glevarec, Clément Combes, Raphaël Nowak, Philippe Cibois, Sortir. Sociologie des sorties culturelles des Français.es

Bastien Ruaux
Sortir
Hervé Glevarec, Clément Combes, Raphaël Nowak, Philippe Cibois, Sortir. Sociologie des sorties culturelles des Français·es, Bordeaux, Le Bord de l'eau, coll. « Documents », 2024, 216 p., ISBN : 978-2-38519-070-5.
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Texte intégral

  • 1 Bourdieu Pierre, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit, 1979.
  • 2 Dumazedier Joffre, Ripet Aline, Le loisir et la ville. Tome 1 : Loisir et culture, Paris, Éditions (...)

1Sortir pour aller au musée, à un concert ou au cinéma ne sont pas des actes anodins. C’est ce que démontre Hervé Glevarec et son équipe avec la publication de cet ouvrage de 164 pages (hors annexes). La question de la consommation culturelle mêlée à celle du temps libre a intéressé bon nombre de sociologues depuis La Distinction de Pierre Bourdieu1 et Le loisir et la ville de Joffre Dumazedier et Aline Ripert2, deux ouvrages mentionnés dans cette publication. Pourtant, un demi-siècle après, la palette de propositions s’est diversifiée, dépassant ainsi le diptyque distinction ou distraction. Pour ce faire, les auteurs ont identifié trois notions requises pour la compréhension des motivations de pratiquer (ou non) des sorties : les compétences (degrés de connaissance sur une œuvre faisant l’objet de la sortie), le concernement (engagement vis-à-vis des pratiques culturelles en lien avec un positionnement socio-biographique) et l’attachement (lien avec l’identité et les valeurs d’un individu).

2Prenant appui sur l’enquête quantitative des Pratiques Culturelles des Français de 2018 (PC2018), les auteurs ont poursuivi l’analyse en employant une méthode qualitative. Si la première partie (chapitres 1 à 3) discute la « cartographie sociologique et culturelle des profils de pratiquant.e.s de sorties » (p. 23), la seconde partie dresse une typologie expérientielle transversale à ces profils (chapitres 4 à 7). Toujours dans cette démarche de continuité, les 50 enquêté.e.s ont été recruté.e.s parmi les personnes ayant participé à la première enquête.

3Le premier chapitre reprend les principales données de l’enquête PC2018 et dresse une première typologie des sorties et des pratiquant.e.s, constituée de trois grands domaines de sorties, à savoir les visites, les spectacles vivants et le cinéma, eux-mêmes divisés en 91 genres différents, étudiés au prisme de variables socio-démographiques. Il en résulte que le cinéma reste le lieu de sortie le plus fréquenté et que l’éclectisme des sorties est généralement faible : au sein d’un même type de sortie, c’est souvent le même genre qui est privilégié. À partir de ce constat, une structuration culturelle et sociologique des sorties différencie les fort.e.s pratiquant.e.s des pratiquant.e.s moyen.ne.s. Cette distinction se manifeste par les types de sorties et leurs fréquences, qui peuvent varier selon l’âge ou le genre des individus. De ce constat, les auteurs soulignent trois modes d’acquisition (chapitre 2) que sont l’initiation (ou transmission), l’acquisition (au moment « étudiant ») et la rencontre (avec les œuvres). Si la famille et/ou l’école sont centrales dans l’initiation aux normes et règles implicites d’un lieu culturel, le moment des études permet d’ouvrir à d’autres goûts culturels que ceux du milieu d’origine.

4La rencontre avec un produit culturel est pour les auteurs existentielle, dans la mesure où elle oriente le choix de poursuivre l’expérience d’un type de sortie. Dans cette continuité, le troisième chapitre aborde les conditions des sorties culturelles, c’est-à-dire « ce qui les facilite, ce qui les empêche » (p. 92). Plusieurs aspects sont mentionnés comme le rapport à l’espace public, au corps, mais aussi aux compétences. À la différence des autres pratiques culturelles, la sortie extérieure est régie par des activités, des publics, mais aussi des normes et rapports sociaux.

5Toujours en articulant les trois dimensions (connaissances, concernement, attachement), la deuxième partie de l’ouvrage est consacrée à l’élaboration de la typologie des sorties déjà mentionnée. Cette classification s’appuie sur les « expériences vécues ou attendues » (p. 93) que partagent les enquêté.e.s.

6Dans cette typologie, la sortie intéressante (chapitre 4) est caractérisée par un effort cognitif et une mobilisation de compétences vis-à-vis de l’œuvre. Une sortie est jugée comme intéressante au moment où elle « est susceptible d’apporter du savoir » (p. 93). Renvoyant à une culture classique (académique), le lien entre connaissance et concernement se manifeste ici sous trois formes. Tout d’abord, la notion de découverte se caractérise par l’apport de savoir à travers la médiation d’un.e proche, d’un.e guide ou d’une programmation culturelle. Une sortie est jugée intéressante quand elle permet de parfaire des compétences et fait donc office d’apprentissage. Le but recherché est donc un enrichissement culturel. Ensuite, la transmission peut articuler savoir et identité locale et/ou nationale, l’un et l’autre étant liés à un objet culturel. Enfin, les auteurs soulignent que le qualificatif intéressant a aussi été employé par les enquêté.e.s au sujet d’expériences d’immersion, lorsque la découverte d’une culture s’opère par la pratique des lieux et en échappant à la condition de visiteur.euse. Cela étant, la sortie intéressante (ou source d’apprentissage) peut être caractérisée de « prise de tête » (p. 108) lorsqu’elle est éloignée du concernement des enquêté.e.s ou lorsqu’elle renvoie le public au rôle de simple visiteur.euse.

7Justement, le contournement d’une sortie « prise de tête » donne lieu à la « sortie sympa » (chapitre 5), une deuxième catégorie où s’exprime davantage le concernement et l’attachement. Du côté des sens, la « sortie sympa » est définie comme une expérience totale du fait de sa diversité (objet de la sortie, expérience vécue et son contexte). Cet aspect est également remarquable dans l’exemple du festival, où l’engagement culturel (genres spécifiques ou diversifiés) se combine avec un engagement corporel (espace-temps clos, rythme nocturne, foule). Cette articulation renvoie à la question de l’ambiance et de l’intensité de l’expérience, mais aussi à des pratiques particulières comme la sortie sportive, où l’activité culturelle est structurée par l’activité physique (le vélotourisme par exemple).

8Si la première partie appuyait sur l’importance des profils socio-culturels dans les conditions d’accès aux sorties, ce constat se retrouve avec la « sortie partage » (chapitre 6). L’enquête souligne le fait que, pour les enquêté.e.s, les sorties culturelles sont souvent partagées avec une personne sociologiquement proche. Par ce biais, les auteurs décrivent la sortie comme une « activité publique et partagée » (p. 133), où l’entourage peut aussi bien être considéré comme une contrainte ou une ressource dans la pratique, voire une condition à la sortie (sortir seul.e n’allant pas de soi pour une grande partie des enquêté.e.s). La sortie peut, alors, être considérée comme un « partage d’une expérience de goûts » se poursuivant à l’issue du concert par un échange sur ladite expérience et renvoie, donc, à la notion d’attachement (ou de l’identité personnelle). Par ailleurs, concevoir la sortie comme un moment de partage peut freiner la consommation de ses propres goûts par l’obtention d’un compromis. Par exemple, une personne dont l’entourage ne partage pas la même appétence pour un style de musique aura moins la possibilité de fréquenter un concert de ce style. Cet aspect est d’autant plus visible au sein des couples où la pratique seule est rare, voire inexistante, mais renvoie à une négociation du type de sortie. Chacun va y poser une limite et le couple ne va pas tout partager, mais les sorties communes sont « un élément fondateur du fonctionnement du couple » (p. 143). Aussi, la présence d’enfants au sein d’un foyer modifie le rapport aux sorties culturelles qui deviennent un moment de partage intergénérationnel. Avoir un enfant peut varier la fréquence des sorties, mais aussi sa consommation (par exemple, aller voir en concert un artiste que le parent ne serait pas allé voir seul) avant que celui-ci privilégie, au moment de l’adolescence, des sorties plus autonomes (sans l’accompagnement des parents).

9Si la sociabilité est centrale, le rapport au quotidien l’est tout autant. C’est ce que soulignent certain.e.s des enquêté.e.s qui voient dans les sorties culturelles une échappatoire. Il s’agit là du septième chapitre consacré à la « sortie évasion » (ou « sortie reconfigurante »). À travers différents biens culturels, l’analyse dégage deux perspectives : la confrontation et la compensation. La première renvoie au fait de décompresser du quotidien tandis que la deuxième consiste à s’échapper de la vie ordinaire. En complément à cette dualité, une distinction est soulignée entre des sorties opportunistes qui requièrent des conditions de proximité (parfois improvisées, il peut s’agir d’une exposition ou un spectacle ayant lieu dans une ville proche) et des sorties programmées où la nécessité de vivre les expériences « incontournables » est synonyme de voyage et d’éloignement du quotidien (par exemple, fréquenter un site historique renommé).

10De cette enquête, il résulte que le rapport au plaisir est structurant dans le choix des sorties. Celles-ci constituent à cet égard un objet homogène dans le sens où elles ont toutes en commun d’être conçues comme une alternative à la vie domestique et au temps de travail. Cependant, la grande variété des sorties culturelles en fait un objet composite entrant en concurrence avec d’autres pratiques comme les sorties récréatives (les rave parties par exemple) ou des pratiques domestiques (comme l’usage de plateformes de streaming). En somme, les auteurs soulignent que chaque sortie requiert plus ou moins de compétences générales et spécifiques vis-à-vis de l’objet culturel, à quoi s’ajoute un jeu de concernement et d’attachement, ces deux dimensions étant liées à des conditions socio-culturelles.

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Notes

1 Bourdieu Pierre, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit, 1979.

2 Dumazedier Joffre, Ripet Aline, Le loisir et la ville. Tome 1 : Loisir et culture, Paris, Éditions du Seuil, 1966.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Bastien Ruaux, « Hervé Glevarec, Clément Combes, Raphaël Nowak, Philippe Cibois, Sortir. Sociologie des sorties culturelles des Français.es », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 21 janvier 2025, consulté le 19 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/lectures/66603 ; DOI : https://doi.org/10.4000/1347n

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Rédacteur

Bastien Ruaux

Doctorant au laboratoire Cerrev, Université de Caen-Normandie.

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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