Louis Lasnon, L’écologie politique. Des racines idéologiques à l’heure du choix

Texte intégral
1Dans un contexte d’urgence climatique, Louis Lasnon présente aux lecteurs et aux lectrices les fondements théoriques de la pensée écologique qui ont inspiré l’écologie politique d’aujourd’hui en France. Dans cet exercice, l’auteur s’intéresse aux nuances politiques et à leurs divergences actuelles au regard des contextes historiques et théoriques dans lesquelles ces pensées ont évolué. Prenant pour point de départ la diversité des candidatures lors des primaires d’EELV en 2021, il s’interroge sur la capacité de ces figures aux visions contrastées à incarner une même représentation de l’écologie. Cette réflexion sert de fil conducteur à l’ouvrage, qui propose de démêler et clarifier les discours et les courants de l’écologie politique contemporaine en tenant compte de son histoire et de ses fondements théoriques.
2Une double préoccupation guide les lecteurs et les lectrices tout au long du livre : celui de mettre en lumière le « polymorphisme idéologique » (p. 15) de l’écologie politique d’une part, et d’apporter des éléments de clarification d’ordre politique aux citoyens et citoyennes soucieux et soucieuses de l’écologie d’autre part. « [À] l’heure des choix » (p. 15), l’ouvrage est une invitation à exposer les connaissances théoriques d’un point de vue historique et politique de l’écologie. Pour appuyer son étude, Louis Lasnon distingue dès l’introduction trois termes : l’écologie politique, l’écologisme et l’écologie. Bien qu’ils se nourrissent mutuellement, ces concepts ont des significations distinctes. L’écologisme désigne un courant de pensée axé sur la protection de l’environnement et des êtres vivants. L’écologie politique, quant à elle, représente l’intégration de ces valeurs dans les programmes gouvernementaux. Enfin, l’écologie est définie comme une science qui étudie les relations entre les êtres vivants, leur environnement et les autres formes de vie. Pour l’auteur, l’écologie constitue le socle idéologique et scientifique sur lequel reposent l’écologisme et l’écologie politique.
- 1 Voir Jean Zin, « Qu’est-ce que l’écologie-politique ? », Écologie & politique, no 40, 2010, p. 41-6 (...)
3Parce que l’écologie est à appréhender comme une « doctrine en constante construction »1, le premier chapitre (p. 17) propose une analyse des divers textes théoriques et courants de pensée qui, à partir du XVIIIe siècle, ont contribué à façonner le paysage politique de l’écologie politique d’aujourd’hui. L’histoire de la pensée que propose l’auteur retrace avec soin les influences, les ruptures, les continuités ou les dualités qui existent entre ces différentes théories. Elle illustre l’évolution de la pensée écologique, en insistant particulièrement sur la place accordée à la nature et sur le processus par lequel l’écologie est progressivement devenue une discipline scientifique autonome.
- 2 Ils sont : l’écologie ultra libérale, l’écofascisme, l’écologie capitaliste libérale d’État, l’écol (...)
4En s’appuyant sur ces fondements, le deuxième chapitre présente les courants de l’écologie politique moderne. Bien que souvent présentée comme une idéologie de gauche, le chapitre donne à voir la diversité de la pensée écologique qui s’imbrique dans des champs politiques parfois très éloignés. Il suggère ainsi deux relations permettant de structurer une typologie de l’écologie politique : l’égalité économique contre la liberté économique, et l’ordre politique contre la liberté politique. En s’appuyant sur le classement proposé par Thierry Brugvin ce chapitre explore huit systèmes politico-économiques2, couvrant un large spectre idéologique allant de l’extrême droite à l’extrême gauche, en incluant les différentes nuances intermédiaires propres à ces systèmes. Ce chapitre éclaire ainsi, pour chaque catégorie, les particularités et les singularités de ces courants et leurs fondements idéologiques et théoriques, rappelant, à la lumière d’aujourd’hui, le polymorphisme idéologique de l’écologie politique moderne qui n’est plus « seulement un corpus d’idée et de données scientifiques, mais […] une véritable dynamique sociale dans lequel chacun tente d’apporter des solutions » (p. 139).
- 3 Ils et elles étaient Yannick Jadot, Sandrine Rousseau, Delphine Batho, Éric Piolle et Jean-Marc Gov (...)
5Le chapitre trois aborde l’histoire de l’écologie politique en France et explore les contours des débats portés par les partis politiques qui s’en revendiquent d’une part, et met en lumière ce qui fait que les partis écologistes comme les Verts n’ont « jamais réussi à bâtir “une grande maison commune” » (p. 145) d’autre part. Le chapitre décrit à travers quatorze périodes (1970 à 2024) la structuration et l’institutionnalisation progressive de plusieurs partis politiques écologiques qui se forment et se construisent en début d’années 1970. Une partie importante de ce chapitre consiste à restituer ces périodes dans leurs contextes historiques, économiques, politiques et sociaux. Elle détaille dans le temps les dynamiques internes et les stratégies politiques des différents partis étudiés (Les Verts, EELV), mettant en avant notamment les alliances, les scissions internes, les démissions, les recompositions ou les unions des différents groupes et des partis politiques. Dans la deuxième partie du chapitre, soucieux de démêler ce qu’est l’écologie politique aujourd’hui, l’auteur étudie de manière comparative les programmes politiques des cinq candidat·es de la primaire écologiste de 20213. Cette comparaison permet d’éclairer les différences entre ces différent·es candidat·es afin de « faire apparaître l’éternelle équivocité de l’écologie politique » (p. 194) tout en pointant le « socle idéologique commun » (p. 216) propre aux partis écologistes.
- 4 Notamment le Pape François, Lynn White ou Eric Voegelin.
6Le quatrième et dernier chapitre ouvre une réflexion sur « la structure idéologique quasi religieuse » (p. 225) de l’écologie qui, du fait de son rapport aux valeurs, semble prendre des attributions de la religion. L’auteur s’interroge : selon « quels axes le chemin de l’écologisme peut-il croiser celui de la religion ? » (p. 226). Il procède pour ce projet à l’élaboration d’un commentaire de différents auteurs4 et donne à voir à travers les six injonctions « écologico-religieuses » (p. 247) comment « l’écologisme, de même que les religions, tente d’influer sur l’être social, physique, rationnel et spirituel de l’être humain » (p. 247).
- 5 Voir par exemple les travaux sociologiques de Joseph Cacciari, « Les guichets de la misère énergéti (...)
7Dans son ensemble, l’ouvrage rappelle l’urgence de sensibiliser les citoyens et les citoyennes pour lutter contre la crise climatique (p. 262). Le polymorphisme idéologique de l’écologie politique offre paradoxalement, pour Louis Lasnon, la possibilité à « tous, en théorie d’être écologique » : « si nous ne sommes pas tous, effectivement écologiste, nous pouvons tous, en théorie, le devenir » (p. 265). Dans le même temps, l’ouvrage semble présenter l’adhésion aux « valeurs écologiques » comme une réalité sociologique largement partagée au sein de la population. Il aurait peut-être été pertinent de questionner et de nuancer cette idée, afin d’approfondir l’analyse et d’encourager un débat plus large5. Par ailleurs, il aurait aussi été intéressant de mettre davantage en lumière les critères méthodologiques ayant guidé la sélection des auteurs et autrices mobilisé·es, ce qui aurait aussi permis de clarifier les choix théoriques et les perspectives privilégiées dans l’étude. L’ouvrage propose néanmoins une exploration riche et stimulante de l’écologie politique et de ses fondements, offrant une ressource précieuse pour toutes celles et ceux qui souhaitent mieux comprendre les racines idéologiques qui continuent d’influencer ce champ aujourd’hui.
Notes
1 Voir Jean Zin, « Qu’est-ce que l’écologie-politique ? », Écologie & politique, no 40, 2010, p. 41-69.
2 Ils sont : l’écologie ultra libérale, l’écofascisme, l’écologie capitaliste libérale d’État, l’écologie capitaliste libérale, l’écologie confédérale solidaire, l’écologie démocrate solidaire d’État, l’écologie solidariste centralisée et l’écologie anarchiste solidaire utopiste. Voir Thierry Brugvin, « Quels sont les courants de l’écologie politique et de la décroissance ? », Anti-K, 7 février 2018. En ligne : https://www.anti-k.org/2018/02/07/courants-de-lecologie-politique-de-decroissance/, cité p. 69.
3 Ils et elles étaient Yannick Jadot, Sandrine Rousseau, Delphine Batho, Éric Piolle et Jean-Marc Governatori.
4 Notamment le Pape François, Lynn White ou Eric Voegelin.
5 Voir par exemple les travaux sociologiques de Joseph Cacciari, « Les guichets de la misère énergétique. Le traitement social des impayés d’énergie des ménages comme mode de production, de tri et de moralisation des “consommateurs” à l’ère de la transition énergétique », Sociétés contemporaines, vol. 105, no 1, 2017, p. 53-78 ; Jean-Baptiste Comby, Écolos, mais pas trop… Les classes sociales face à l’enjeu environnemental, Paris, Raisons d’Agir, 2024 ; Matthieu Grossetête, « Quand la distinction se met au vert. Conversion écologique des modes de vie et démarcations sociales », Revue Française de Socio-Économie, vol. 22, no 1, 2019, p. 85-105 ; Hadrien Malier, « Greening the poor ; the trap of moralization », The British Journal of Sociology, vol. 70, no 5, 2019, p. 1661-1680.
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Référence électronique
Ségolène Lefébure, « Louis Lasnon, L’écologie politique. Des racines idéologiques à l’heure du choix », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 22 janvier 2025, consulté le 19 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/lectures/66643 ; DOI : https://doi.org/10.4000/134xx
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