Navigation – Plan du site

AccueilLireLes comptes rendus2025Virginie Gautron, Par-delà l’aveu...

Virginie Gautron, Par-delà l’aveu. Remords et justice pénale

Clément Beunas
Par-delà l'aveu
Virginie Gautron, Par-delà l'aveu. Remords et justice pénale, Chêne-Bourg, RMS édition, coll. « Déviance et société », 2024, 258 p., ISBN : 978-2-88049-563-3.
Haut de page

Texte intégral

1L’ouvrage de Virginie Gautron part d’un paradoxe : formellement écartées d’un système judiciaire qui se réclame de la neutralité et ne se préoccupe théoriquement que des seuls faits, les émotions des auteurs d’infraction sont pourtant scrutées avec attention à toutes les étapes de la procédure pénale au point qu’elles déterminent, pour une part, la sévérité des sanctions qui leur seront imposées. C’est précisément l’objectif de l’ouvrage que d’élucider cette énigme en explorant la façon dont l’expression de remords participe des décisions pénales.

2L’autrice déploie pour cela un cadre théorique original situé à la croisée de la sociologie de la déviance, du droit et des émotions. Délaissant l’ethnographie des procès, régulièrement mobilisée par les sociologues qui s’attachent à étudier les émotions qui traversent le tribunal, l’enquête s’intéresse plus largement à la manière dont les remords des justiciables affectent l’ensemble du processus pénal, de la phase d’instruction au suivi post-sentenciel. Elle s’appuie pour cela sur un vaste matériau récolté au cours de plusieurs recherches menées depuis 2014 et composé, pour l’essentiel, d’entretiens conduits auprès de différents acteurs judiciaires et médicaux (magistrats, CPIP, experts psychiatres, médecins coordonnateurs, psychologues, etc.)  ; et de corpus de dossiers judiciaires soumis à une analyse quantitative.

3Le premier chapitre, qui s’appuie sur une démarche historique, retrace d’abord « le processus d’euphémisation des ressorts émotionnels de la justice pénale » (p. 31). Cette dernière, fortement empreinte d’une dimension religieuse valorisant la pénitence, entreprend un mouvement progressif de sécularisation et d’euphémisation de la place officiellement dévolue à l’aveu, même si ce processus témoigne davantage, selon l’autrice, d’une occultation que d’une réelle mise à distance.

4Mobilisant des dossiers judiciaires et des entretiens conduits auprès de professionnels de la justice pénale, le deuxième chapitre retrace finement la « fabrique collaborative du déviant émotionnel » (p. 61). Cette figure de la déviance est co-construite par une diversité d’acteurs, des policiers aux acteurs de la probation en passant par des magistrats ou des experts psychiatres, qui produisent, mobilisent et complètent des documents relatifs aux justiciables à tous les stades de la procédure pénale. Ces acteurs s’attachent à évaluer la sincérité des remords par-delà le langage des aveux, en scrutant pour cela la régularité et la sincérité des excuses, ainsi que les manifestations d’émotions.

5Pour que ces remords soient perçus comme sincères, il faut qu’ils s’expriment selon de multiples critères de légitimité : ils doivent être jugés authentiques, désintéressés, spontanés, mais ne pas sembler effusifs ou forcés… « [L]es justiciables se retrouvent dans une position d’équilibriste, dès lors que tout excès émotionnel apparaît aussi malvenu qu’une marque d’insensibilité » (p. 93). Pour évaluer leur sincérité, ce n’est pas uniquement la parole qui est jaugée, mais aussi les corps (à travers la recherche de signes d’afflictions, de regards fuyants, etc.) et les actes (via l’attention accordée aux demandes d’excuses et de réparation, ou aux manifestations auto-agressives, par exemple). De tels critères s’avèrent discriminants, dans la mesure où l’expression des émotions selon des modalités perçues comme légitimes est socialement située. Les réactions qui s’écartent de ces attendus implicites (comme l’indifférence ou l’hostilité) sont quant à elles perçues comme autant de témoignages de « déviances émotionnelles ».

6Or, comme le souligne le troisième chapitre, cette évaluation des déviances émotionnelles puise dans un registre de savoirs disparates issus de la psychanalyse, de la psychiatrie ou la psychocriminologie. Si les déviances émotionnelles tendent à être perçues comme le signe d’une dangerosité accrue et sont fortement associées à un risque de récidive, de tels constats, qui s’appuient sur des critères flous, évasifs ou tautologiques, semblent davantage relever du sens commun des acteurs qui les mobilisent qu’ils ne s’appuient véritablement sur des acquis scientifiques robustes.

7« Puisque les déviances émotionnelles sont envisagées comme le signe d’une potentielle dangerosité, une grille de lecture utilitariste légitime des sanctions plus sévères ou des mesures de sûreté au titre de la protection de la société et de la prévention de la récidive » (p. 130). C’est ce mouvement de pénalisation accrue des déviances émotionnelles qu’éclaire le quatrième chapitre. Même si l’analyse se montre prudente, les décisions de justice étant multifactorielles et le poids des remords difficile à isoler, elle n’en relève pas moins la plus forte répression qui s’abat sur de ce type de déviances à toutes les étapes de la procédure pénale, de la décision d’une détention provisoire au suivi post-sentenciel.

8Comme le relève le dernier chapitre, les déviances émotionnelles ainsi constituées deviennent objet de traitement, et légitiment une prise en charge qui oscille entre logique de soin et objectif de redressement moral. Si les acteurs de l’application des peines tendent à préconiser ou à imposer des soins dans un objectif de prévention de la récidive, les soignants, de leur côté, peuvent s’inquiéter de ce qu’ils perçoivent comme une intrusion des logiques judiciaires dans leur accompagnement thérapeutique, se retranchant au besoin derrière le secret professionnel auquel ils sont soumis. C’est dans ce contexte que l’on assiste en France, et à la suite d’un mouvement emprunté dans les pays anglophones, au développement d’une psychocriminologie prescriptive positionnée à la lisière du soin. Ambitionnant de travailler sur le «  passage à l’acte » ou la « prévention de la récidive », le vocabulaire technique sinon positiviste sur lequel elle s’appuie tend à masquer ses objectifs normatifs de redressement moral et d’amendement.

9L’ouvrage, qui constitue une lecture relativement ardue et s’adresse à un public informé, offre une analyse érudite et très solidement étayée de la façon dont les émotions traversent les philosophies contemporaines de la peine. À rebours de l’idée selon laquelle la justice pénale s’en tiendrait au jugement froid et dépassionné des faits, il montre au contraire la recherche constante de condamnés dociles, collaboratifs, repentants et satisfaits de la peine qui leur est infligée. Les émotions contraires, envisagées comme des déviances émotionnelles, constituent à l’inverse une « circonstance aggravante officieuse » (p. 212) et légitiment des peines plus sévères, auxquelles s’ajoutent des tentatives de réforme et de correction.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Clément Beunas, « Virginie Gautron, Par-delà l’aveu. Remords et justice pénale », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 04 février 2025, consulté le 09 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/lectures/66719 ; DOI : https://doi.org/10.4000/138in

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search