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Jessica Pothet, Parentalités incertaines : ethnographie et sociologie des dispositifs de soutien aux parents

Laurie Genet
Parentalités incertaines
Jessica Pothet, Parentalités incertaines. Ethnographie et sociologie des dispositifs de soutien aux parents, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Le sens social », 2024, 206 p., ISBN : 9782753594050.
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Texte intégral

  • 1 Isabelle Baszinger, Nicolas Dodier, « Totalisation et altérité dans l’enquête ethnographique », Rev (...)

1Dans un contexte où les politiques de soutien à la parentalité s’imposent progressivement comme un pilier des politiques publiques en France, Jessica Pothet propose dans ce livre d’explorer la genèse, la pluralité et les modalités d’application de ces politiques ainsi que des dispositifs qui en découlent, tout en examinant leurs effets sur les parents. L’ouvrage vise à analyser les différentes modalités et pratiques par lesquelles les parents sont accompagnés et orientés dans le cadre des politiques et dispositifs de soutien à la parentalité. L’auteure appréhende également les politiques du point de vue de leurs publics afin de comprendre quels en sont véritablement les bénéficiaires et de cerner leurs conditions parentales. Pour ce faire, Jessica Pothet s’est appuyée sur une méthodologie inspirée de la jurisprudence ethnographique, telle que développée par Isabelle Baszinger et Nicolas Dodier1, qui met l’accent sur l’analyse des interactions et des faits (p. 25). L’ouvrage offre de ce fait des études de cas basées sur des observations engagées, au cours desquelles l’auteure adopte diverses postures : chercheure, chargée de mission, mère de famille. Des encadrés illustrant les données empiriques ponctuent l’ouvrage et étoffent les démonstrations sociologiques. Ainsi, si l’ouvrage a pour objectif d’enrichir l’analyse des politiques publiques dans le champ de la famille et de l’enfance, il n’en demeure pas moins accessible aux professionnels de terrain et aux parents – en fournissant des clés de lecture concrètes notamment. Le propos de l’auteure s’organise en trois volets : d’abord, une analyse de la fabrique politique de l’aide à la parentalité ; ensuite, une présentation de la diversité des dispositifs d’accompagnement et de ce qu’ils recouvrent ; enfin, une exploration des difficultés rencontrées par les parents accompagnés et des effets des politiques de soutien sur leurs parcours et les expériences parentales.

2Le premier chapitre de cet ouvrage explore le processus d’institutionnalisation du soutien à la parentalité en France. À travers une analyse des documents conçus par le Comité national de soutien à la parentalité, Jessica Pothet révèle les tensions et incohérences qui traversent cette politique publique, ainsi que la diversité des orientations qui la composent. Historiquement, les politiques familiales françaises ont d’abord reposé sur des logiques d’assistance et d’assurance universelle, puis sur des logiques visant la protection de l’enfance et le soutien des familles en situation de vulnérabilité. Cette transformation a conduit à l’implication d’acteurs multiples, produisant des politiques fragmentées et cloisonnées. Différentes tentatives de définition du soutien à la parentalité ont émergé, sans consensus entre acteurs associatifs et institutionnels. Par conséquent, trois orientations principales structurent les référentiels d’action : la réussite éducative, qui valorise le rôle parental dans l’éducation scolaire des familles populaires ; la prévention de la délinquance, qui responsabilise et parfois judiciarise le rôle parental ; et l’intérêt supérieur de l’enfant, qui promeut une parentalité « positive » et bienveillante. Ces orientations révèlent non seulement la diversité des approches, mais aussi les tensions persistantes entre ces orientations, qui freinent une réelle institutionnalisation du soutien à la parentalité, lequel demeure, de fait, fragmenté.

3Le deuxième chapitre examine deux grandes catégories d’actions du soutien à la parentalité : celles fondées sur l’adhésion volontaire des parents et celles qui exercent une injonction via des dispositifs coercitifs. Ce soutien est perçu comme un instrument d’opportunités, mais il révèle aussi des tensions entre responsabilisation et prise en charge des parents. Ce chapitre propose ainsi une analyse de l’opérativité de quatre dispositifs et des contraintes inhérentes aux cadres établis.

4D’abord, les Réseau d’appui et d’accompagnement des parents (REAAP) visent à favoriser l’échange entre parents volontaires autour de leur quotidien éducatif. Ce dispositif permettrait la réassurance de la fonction parentale avec l’acquisition de savoir-faire et la remise en question du rôle éducatif, tout en proposant aux parents un temps pour eux-mêmes. Les analyses révèlent que ces groupes parentaux sont homogènes en termes de catégorie sociale, de difficultés rencontrées, de contenus abordés et de normes éducatives partagées. Le caractère réflexif de l’accompagnement suggère aux parents de déconstruire les normes éducatives héritées, tout en s’inscrivant dans une norme admise, définissant ainsi le soutien parental comme une forme de responsabilisation face à la vulnérabilité sociale.

5Les actions éducatives familiales (AEF), qui ont été institutionnalisées après 2013, s’adressent quant à elles aux parents disposant d’un faible capital scolaire et visent à les sensibiliser aux exigences scolaires. Ces dispositifs cherchent à promouvoir une parentalité orientée vers les normes scolaires dominantes, utilisant les outils et ressources de l’éducation populaire. Toutefois, cette approche peut isoler les parents des réalités sociales et matérielles qui influencent leur capacité à s’investir dans l’éducation de leurs enfants. La « requalification » scolaire (p. 90) intrinsèque à ce dispositif induit une forme d’assistance éducative qui reste centrée sur les obligations scolaires, sans considérer les réalités sociales des parents concernés.

6Les stages parentaux relèvent, en revanche, d’une logique coercitive en réponse à des problématiques d’absentéisme scolaire et ont pour vocation de responsabiliser les parents en leur imposant des obligations. Dans ces dispositifs, l’absentéisme des enfants est conçue comme un signe de carences socio-éducatives au sein de la famille. Cette judiciarisation de la parentalité a alors pour effet de culpabiliser les parents, si bien que ces stages parentaux créent un climat de stigmatisation des parents et des jeunes, en particulier ceux issus des milieux les plus précaires.

7Enfin, le placement familial est un dispositif qui vise à éviter les ruptures familiales tout en soutenant la reconstruction de la parentalité. Toutefois, l’analyse questionne les critères de jugement du danger et l’absence de cadres conceptuels pour structurer les accompagnements. L’équilibre recherché entre responsabilisation parentale et contrôle des pratiques repose ici sur une co-construction avec les familles, où les professionnels n’imposent pas de solution, mais cherchent à encourager une prise de responsabilité des parents face à leurs réussites comme à leurs échecs.

8Pour clore ce chapitre, Jessica Pothet propose ensuite une synthèse croisée des différents dispositifs présentés. Elle souligne la diversité des formes de parentalité et l’hétérogénéité des normes parentales admises. Aussi, elle met en lumière la « publicisation de l’intime » (p. 134) au sein de ces dispositifs et expose que le soutien à la parentalité s’adresse non seulement aux familles en difficulté, mais aussi à celles qui cherchent, de manière volontaire, à améliorer leurs compétences parentales. En ce sens, la dualité entre ciblage et stigmatisation des familles reste au cœur des débats, notamment concernant les attentes sociales placées sur les familles. Ce chapitre montre que les politiques de soutien à la parentalité oscillent entre un discours d’adhésion et d’accompagnement des parents et un discours plus injonctif qui responsabilise voire pénalise les parents. Jessica Pothet propose par la suite des pistes d’analyse qui pourraient bénéficier de développements supplémentaires, en ce qui concerne les pratiques professionnelles au sein de ces dispositifs. Elle souligne la capacité des professionnels à travailler en horizontalité, en partageant leurs expériences individuelles et subjectives tout en employant une rhétorique scientifique. Cette adaptabilité, ainsi que les postures critiques et hybrides des professionnels, révèlent une flexibilité face aux défis de l’accompagnement parental qui demande à être davantage explicitée.

9Le troisième chapitre rend compte des éléments qui façonnent la parentalité et met particulièrement à jour une « parentalité de classe » (p. 146), propre aux parents des milieux populaires. Jessica Pothet propose alors une analyse qu’elle qualifie elle-même de brute, fondée sur des « critères, parfois perçus légers sur un plan scientifique » (p. 150), mais qui fait ressortir une dimension émique de l’expérience parentale. L’auteure propose une mise en récit de ce que les parents perçoivent et de ce qu’ils vivent dans leur rôle de manière subjective, en abordant leurs quotidiens, les difficultés qu’ils rencontrent, les besoins qu’ils expriment et les arbitrages éducatifs qui s’imposent à eux au sein des dispositifs. L’auteure explore également les effets du soutien à la parentalité sur les parents accompagnés : ces dispositifs induisent une défense de leur part, qui les amène à redéfinir le partage des responsabilités avec l’institution scolaire. Les parents verbalisent également l’influence de la violence vécue au quotidien. Pour les mères qui s’emparent des dispositifs de manière volontaire, l’expérience immédiate est désenclavée et permet de nouvelles possibilités d’organisation du quotidien, favorisant une acculturation des enjeux éducatifs et scolaires. À l’issue de ce court chapitre, le lecteur peut rester dans l’attente d’analyses plus approfondies. Les analyses effectuées sur douze entretiens mettent en lumière des éléments significatifs de l’expérience parentale, mais soulignent également la nécessité d’explorer plus en profondeur les dynamiques sociales et individuelles sous-jacentes.

10Ainsi, cet ouvrage conclut que les dispositifs de soutien à la parentalité nient les inégalités de vies et reproduisent des normes d’éducation « positive » (p. 184). La forte responsabilisation des parents et particulièrement des mères est articulée à des accompagnements empathiques, mais hétérogènes de la part des professionnels. Au terme de ce livre dense et original, le lecteur comprend tout l’intérêt de s’attarder plus avant sur l’analyse du soutien à la parentalité, de la pluralité de ses formes et de ses incidences.

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Notes

1 Isabelle Baszinger, Nicolas Dodier, « Totalisation et altérité dans l’enquête ethnographique », Revue française de sociologie, no 38, 1997, p. 37-66.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Laurie Genet, « Jessica Pothet, Parentalités incertaines : ethnographie et sociologie des dispositifs de soutien aux parents », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 13 février 2025, consulté le 28 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/lectures/66838 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13b7q

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Rédacteur

Laurie Genet

Docteure en Sciences de l’éducation et de la formation - Université Paris Cité.

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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