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Pierre-Benoit Roumagnou, Traquer. La police parisienne et les protestants en 1685

Mathieu Nicati
Traquer
Pierre-Benoît Roumagnou, Traquer. La police parisienne et les protestants en 1685, Paris, PUF, 2024, 291 p., ISBN : 978-2-13-086456-1.
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Texte intégral

  • 1 De manière réflexive l’auteur présente ainsi sa démarche dans le numéro 353 du podcast Paroles d’hi (...)

1Cet ouvrage se situe à la croisée de deux champs historiographiques, l’histoire de la police et l’histoire du protestantisme. Selon une méthode originale alliant les approches de la micro-histoire à celles de l’histoire des institutions, l’ouvrage analyse, d’une part, l’application de l’édit de Fontainebleau (1685)  révoquant celui de Nantes (1598)  par les agents de la monarchie louisquatorzienne et, d’autre part, les implications sociales de cet édit auprès de la minorité protestante du royaume et de Paris en particulier. En se focalisant sur le « comment » de la révocation de l’édit de Nantes, Pierre-Benoit Roumagnou innove puisque la plupart des travaux relatif à cette décision royale s’est concentrée sur ses causes politico-religieuses, autrement dit sur le « pourquoi »1. Parmi les sources consultées, deux fonds d’archives fournissent l’essentiel des données, celui du lieutenant général de police Gabriel Nicolas de la Reynie (1625-1709) et du commissaire Nicolas Delamare (1639-1723). Il convient cependant de ne pas escamoter les nombreuses autres correspondances épistolaires compulsées comme celle du procureur général du parlement de Paris. L’apport principal de cette monographie réside dans l’étude des mesures mises en place par les forces de l’ordre dans la « traque » (p. 27) des protestants en amont et en aval de l’édit de 1685. L’ouvrage comporte en plus un second niveau de lecture. Il restitue en effet, de manière transversale, les différentes stratégies individuelles et collectives élaborées par les protestant·es afin de contrecarrer l’action policière, militaire et plus largement étatique les prenant pour cible. Oppression, interception et stabilisation forcée sont les trois modalités coercitives auxquelles correspondent les trois parties du livre.

2L’étude de la dimension oppressive de l’action policière est particulièrement fouillée. Celle-ci à défaut d’être impulsée par la révocation de 1685 en est renforcée. Elle se déploie simultanément sur trois sphères sociales concentriques : la censure de l’expression religieuse des réformés dans la sphère communautaire, la régulation des corporations dans la sphère professionnelle, le contrôle des individus et des familles dans la sphère intime. Au niveau communautaire, l’espace de socialisation le plus englobant, l’action policière se traduit par la suppression de l’assistance confessionnelle, la fermeture de cimetière comme celui du faubourg Saint-Germain la destruction de lieu de culte tel le temple de Charenton. Concernant la sphère professionnelle, les proscriptions frappant les travailleurs et travailleuses réformé·es se multiplient. Dès le début des années 1680 au moins, les maitres-artisans de confession protestante n’ont plus le droit de former des apprentis. Cela a pour conséquence de les appauvrir sur le plan matériel et, sur le plan socio-professionnel, de réduire la surface sociale des réseaux de solidarité calvinistes. Autre point remarquable, il devient interdit aux hommes d’exercer l’activité d’imprimeur-libraire afin d’endiguer la circulation d’ouvrages. Les femmes protestantes sont également ciblées, elle se voient légalement empêcher d’exercer le métier de sage-femme. Mais c’est dans la sphère intime que l’immixtion du pouvoir politique et de ses agents se manifeste de la manière la plus intrusive. Elle consiste notamment à rendre obligatoire la présence de prêtre catholique au chevet des mourants de la religion réformée et à convertir de force la femme et les enfants des pères de familles revenu au catholicisme. L’argumentation de Roumagnou démontre de façon convaincante que ces interventions multiscalaires permettent aux autorités de quadriller l’espace social et donc d’appliquer une pression considérable sur la minorité protestante.

  • 2 Londres, Amsterdam et Genève sont les trois principales destinations des calvinistes fuyant l’intol (...)
  • 3 On pense surtout au célèbre antagonisme curial entre les clans Seignelay et Louvois, l’un dirigeant (...)

3L’interception des réfugiés protestants originaires de la capitale ou de province et fuyant le royaume après la révocation constitue la seconde modalité coercitive mise en œuvre par les autorités. C’est peut-être celle qui se révèle la plus dépendante du travail de renseignement effectué en amont auprès de la population parisienne et provinciale, des « indicateurs stipendiés » (p. 102) et des espions « donneurs d’avis » infiltrés dans les grands centres du Refuge2. Sur la base des informations remontées du terrain, les agents de la police passent à l’action. Philippe Perrin se distingue des hommes de mains de la Reynie par son efficacité et sa proximité avec le lieutenant général de Police lequel assiste en tant que témoin à la signature du contrat de mariage des sa fille. Certains militaires comme François Desgrez (1632-1705), autre familier de la Reynie, sont également mis à contribution. Tous sont chargés de la collecte et du recoupement des sources, de la filature et de l’arrestation des suspects ainsi que de leur interrogatoire. Les missions d’interceptions ne se limitent pas uniquement aux réfugiés protestants mais ciblent également les flux de leurs capitaux financiers et biens mobiliers qui représentent un manque à gagner potentiellement substantiel pour la monarchie. Les agents tentent encore de juguler un troisième type de circulation, celui des passeurs, guides et autres « facilitateurs de la sortie du royaume » (p. 161). La pluralité des missions à effectuer exige la communication et la collaboration entre plusieurs entités administratives. L’historien liste les organes gouvernementaux impliqués dans la traque des Protestants comme suit : la lieutenance générale de police, le secrétariat d’État de la Maison du roi et ceux de la guerre et des affaires étrangères sans oublier les intendants de provinces et les juridictions locales bordant les frontières du royaume avec les Flandres notamment. L’un des apports remarquables du livre de Roumagnou se trouve d’ailleurs dans la relativisation des éventuelles rivalités entre ces entités. L’auteur montre bien que les acteurs étatiques et leurs services n’hésitent pas à secondarisées leurs luttes de pouvoir afin d’optimiser le bon fonctionnement de la machine répressive3.

4Dernière modalité coercitive employée par les autorités, la stabilisation forcée constitue un échec patent. En effet, cette troisième mesure antiprotestante (de même que la seconde) ne parvient pas à empêcher le départ d’environ 180 000 personnes pour le Refuge. Il faut rappeler que les protestants français ne font pas que fuir le royaume. Même s’il y a une disproportion flagrante entre les sorties et les entrée clandestines, ces dernières existent bel et bien. Certains pasteurs comme Jean Gardien Givry et Mathieu Malzac tentent de revenir prêchés illégalement la religion réformée en France et sont arrêtés puis interrogés en 1692. Les autorités se montrent particulièrement attentives à cette pastorale de l’ombre dont les officiants cherchent à entretenir la fragile flamme de la foi interdite par la célébration du culte et l’administration des sacrements. Outre la lutte menée contre l’émigration et l’immigration huguenote, la monarchie encourage aussi le retour au pays des convertis au catholicisme. Quant aux protestants restés sur le sol français et toujours rétifs à la conversion, ils sont enfermés dans des lieux divers. Soit dans des dans prisons telle la fameuse Bastille, soit dans des couvents tel celui de Saint-Germain des prés ou encore dans des maisons de Nouveaux Catholiques. L’incarcération est censée faciliter la conversion des récalcitrants. Une fois celle-ci obtenue (de bonne foi ou la plupart du temps de façade), les autorités se chargent de la réintégration socio-professionnels des individus. Elles vont jusqu’à superviser leur placement dans des corporation de métiers par le biais des commissaires de quartiers. Les dispositifs non seulement judiciaires mais encore sociaux sous-tendant la stabilisation forcée porte l’historien à écrire que la « police chargée de cette besogne rassortissait […] davantage à une police de quartier, avec les commissaires, qu’à une police assurée par des militaires chargés des flux d’individus » (p. 251).

5L’articulation des trois modalités coercitives dans la démonstration de Roumagnou fait de son livre une lecture captivante pour quiconque s’intéresse aux rouages de la monarchie administrative et aux expériences de la clandestinité dans la France de l’époque moderne. Quant à la présence des annexes, elle est malheureusement un peu faible. Certes une belle carte de Paris et une autre retraçant l’itinéraire suivis par les réfugiés pour sortir du royaume par la « route des Flandres » (p. 129) ainsi qu’un tableau recensant les « enfermés à la bastille pour protestantisme » (p. 213) contribuent à donner une tournure immersive et incarnée au propos scientifique mais, il aurait été appréciable de mobiliser un plus grand nombre de pièces en annexes (index nominal, images, graphiques et statistiques) afin d’encore mieux mettre en valeur les résultats de la recherche. Il faut enfin saluer les qualités d’écriture de l’auteur. Phrases nerveuse, chapitre courts, style enlevé poussent le lecteur jusqu’au bout de l’enquête. L’ouvrage très bien construit et finement argumenté permet une compréhension exhaustive des multiples enjeux et échelle d’analyse d’un épisode fondateur de l’action policière parisienne.

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Notes

1 De manière réflexive l’auteur présente ainsi sa démarche dans le numéro 353 du podcast Paroles d’histoire. Celui-ci offre un complément intéressant à l’ouvrage recensé. Voir : https://www.youtube.com/watch?v=SSmK669g70Y

2 Londres, Amsterdam et Genève sont les trois principales destinations des calvinistes fuyant l’intolérance louisquatorzienne au XVIIsiècle.

3 On pense surtout au célèbre antagonisme curial entre les clans Seignelay et Louvois, l’un dirigeant le secrétariat d’État de la Maison du roi, l’autre étant à la tête du secrétariat d’État de la guerre.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Mathieu Nicati, « Pierre-Benoit Roumagnou, Traquer. La police parisienne et les protestants en 1685 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 07 avril 2025, consulté le 12 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/lectures/67154 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13pdd

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Rédacteur

Mathieu Nicati

Mathieu Nicati est assistant-doctorant en histoire moderne à l’université de Genève.

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