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Cyril Desjeux, Le handicap au pouvoir. Sociologie des droits humains appliquée aux personnes handicapées engagées en politique

Tony Orival
Le handicap au pouvoir
Cyril Desjeux, Le handicap au pouvoir. Sociologie des droits humains appliquée aux personnes handicapées engagées en politique, Fontaine, Presses universitaires de Grenoble, coll. « Handicap, vieillissement, société », 2024, 145 p., préface de Pierre-Yves Beaudot, ISBN : 9782706153259.
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Texte intégral

1Comment devient-on candidat à l’exercice d’un mandat politique en étant en situation de handicap ? De quelles manières et à quelles conditions peut-on exercer des responsabilités politiques en ayant des altérations mentales et/ou physiques qui peuvent temporairement ou plus durablement entraver les capacités ? Comment les personnes handicapées vivent-elles leur engagement au pouvoir ? Ou encore : comment et pourquoi se fait-il qu’en France et ailleurs, à l’international, aussi peu de personnes en situation de handicap occupent des fonctions politiques ? Voilà donc quelques-unes des questions posées par Cyril Desjeux dans cet ouvrage dont la lecture s’avérera particulièrement utile pour quiconque s’intéresse aux personnes qui vivent avec un handicap et en particulier aux enjeux de leur participation citoyenne.

  • 1 Desjeux Cyril, Vote et handicaps. Vers une éthique de la vulnérabilité. Pour aller au-delà de l’inc (...)

2Dans le cadre d’une sociologie des droits humains appliquée aux personnes handicapées, l’engagement en politique apparaît comme un point relativement aveugle. Certes, il existe bien des travaux dans la littérature internationale qui portent sur la candidature aux élections, tandis que d’autres se focalisent plus précisément sur l’exercice du mandat électoral. Mais l’un des intérêts du travail envisagé par l’auteur est de rassembler ici une analyse des deux – c’est-à-dire de chercher à saisir à la fois ce qu’être candidat en situation de handicap veut dire, et ce qu’entrer en politique en étant élu signifie. Son travail sur « le handicap au pouvoir » n’est d’ailleurs sans doute pas à lire isolément : il s’insère dans une trame de recherches qui se répondent mutuellement, en sorte que son ouvrage Vote et handicaps. Vers une éthique de la vulnérabilité1 pourrait, pour le lecteur désireux de découvrir les travaux de Desjeux, constituer une sorte de premier tome, sur le fait d’être électeur en situation de handicap, et Le handicap au pouvoir un second, sur le fait d’être candidat ou élu au pouvoir. Mais comment l’auteur s’y prend-il au juste sur le plan méthodologique pour mener une telle recherche ?

3Pour tenter de décrire comment « faire de la politique » ou « refaire le politique » en étant en situation de handicap – pour reprendre la belle formule de synthèse de Pierre-Yves Baudot, qui préface ici l’ouvrage –, ce travail prend appui sur un matériau hétérogène : 1) une revue de littérature exploratoire, 2) des réunions d’un comité de réflexion constitué à dessein, et 3) des entretiens semi-directifs avec des personnes vivant avec un handicap ayant déjà eu l’occasion de se présenter à des élections ou ayant eu l’opportunité d’avoir déjà exercé un mandat électoral. Composé d’une quinzaine de personnes, pour la plupart conseillers municipaux et membres d’associations faisant référence dans le champ du handicap, le comité de réflexion constitue une ressource et une originalité vis-à-vis des standards de la recherche académique. Les échanges de ce collectif ont manifestement permis d’orienter ou à tout le moins de discuter de la recherche en train de se faire.

4Quant à l’hétérogénéité des matériaux mobilisés, cette hétérogénéité n’apparaît pas comme un frein mais bien comme le carburant d’une recherche ancrée et participative. La capacité à mener des recherches de ce type et à coudre des matériaux protéiformes tient probablement à la maîtrise des ficelles du métier de sociologue et à la riche expérience des recherches-actions telle qu’elles peuvent être menées au sein de l’association Handéo par Cyril Desjeux. Par ailleurs, procéder par entretien et trouver des personnes à enquêter n’avait rien d’une évidence, surtout si l’on garde à l’esprit qu’en France les personnes élues handicapées engagées en politique représentent au niveau municipal moins de 100 élus sur environ 500 000 personnes au total. Cet obstacle a néanmoins été contourné grâce au comité de réflexion qui a joué un rôle de facilitateur pour aller au contact d’élus handicapés et par l’identification de personnes à solliciter via des coupures de presse.

5Formellement, l’ouvrage se décline en deux parties qui correspondent l’une et l’autre à deux plafonds de verre auxquels se heurtent tendanciellement les personnes en situation de handicap : l’un ségrégatif (partie 1) et l’autre capacitaire (partie 2). La première partie saisit l’activité politique par la manière d’y entrer et d’y durer. À ce point, il apparaît que les altérations liées au handicap maximisent les contraintes et pèsent sur la participation politique : les temps programmés de soin ou des aides humaines professionnelles peu conciliables avec les impératifs d’une campagne ou les imprévus ; des temps de préparation ou d’analyse de documents majorés par les altérations pas toujours compatibles avec les échéances courtes du calendrier politique ; ou le recours nécessaire à un chauffeur pouvant empêcher, en cas d’indisponibilité, d’assister à certains évènements, pour tout ou partie, etc. Par là, c’est donc toute la campagne et l’exercice du pouvoir qui sont rendus plus difficiles, obligeant ainsi l’élu handicapé à réaliser des bricolages compensatoires. Mais il y a plus : la personne en situation de handicap peut être parfois instrumentalisée comme une forme de caution au service de la tactique politique, en particulier lorsque le recrutement se fait dans une optique d’amélioration de l’image ou du renouvellement de l’offre politique. Simultanément, ces élus peuvent aussi faire face à une autre ségrégation : voir le territoire politique qui leur échoit circonscrit à celui du handicap. L’analyse des ressorts de ce plafond de verre vient donc expliquer en partie pourquoi il n’y a pas davantage de personnes handicapées engagées en politique et comment elles peuvent être assignées à des domaines supposément en rapport avec leur handicap.

6La deuxième partie de l’ouvrage, plus courte que la première, change d’échelle pour s’intéresser aux limitations des capacités des personnes dans le cadre de leurs activités politiques. La ligne de partage entre plafonds de verre ségrégatif (partie 1) et capacitaire (partie 2) apparaîtra peut-être délicate à saisir tant ces derniers se chevauchent et se recoupent. Cependant, cette deuxième partie donne la possibilité d’entrer dans les dynamiques de délibération et d’échanges de la vie politique, c’est-à-dire dans les plis de la communication de l’élu handicapé dans l’exercice de son mandat. En l’espèce, ce qui ressort le plus à l’analyse, c’est combien la communication des personnes handicapées peut être empêchée. Des stratégies et des outils de communication alternative sont certes utilisés, à l’instar de tableaux syllabiques pour les personnes non verbales ou des systèmes d’amplification sonore pour certaines personnes malentendantes. Mais les outils numériques – qui pourraient être un levier possible pour une communication désempêchée – sont en pratique peu mobilisés. Si l’entrée du handicap au pouvoir peut être source d’innovation, il serait intéressant d’explorer ce que produirait l’introduction de tels outils et la manière dont les interactions pourraient être bouleversées dans ces activités de pouvoir.

  • 2 C’est cette dialectique et cette importance des ressources que l’on a par exemple cherché à analyse (...)
  • 3 C’est ce que nous essayons de décrire, comprendre et expliquer actuellement avec mon collègue Berna (...)

7Ainsi, l’ouvrage Le handicap au pouvoir apporte une riche et incontournable contribution, dans laquelle sont analysées dans le détail les restrictions de participation auxquelles font face les personnes handicapées engagées en politique ainsi que leurs effets cumulatifs. Peut-être aurait-on aimé en revanche que les ressources des personnes et la manière dont ces dernières sont mobilisées ou mobilisables, même par intermittence2, soient davantage mises en avant dans le livre. Ou que soit aussi montrée l’activité de l’exercice des mandats à d’autres échelles, comme par exemple dans le cadre des conseils à la vie sociale, une instance visant à associer les usagers au fonctionnement des établissements sociaux et médico-sociaux3. Mais cela n’enlève rien à la qualité de l’ouvrage et invite surtout à prolonger ce travail.

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Notes

1 Desjeux Cyril, Vote et handicaps. Vers une éthique de la vulnérabilité. Pour aller au-delà de l’inclusion, Fontaine, Presses universitaires de Grenoble, coll. « Handicap Vieillissement Société », 2020. Compte rendu pour Lectures de Marie Schnitzler disponible à l’adresse suivante : https://journals.openedition.org/lectures/41654.

2 C’est cette dialectique et cette importance des ressources que l’on a par exemple cherché à analyser dans Tony Orival, Sandrine Knobé, « Pratiquer des activités physiques adaptées avec un trouble psychique au sein d’un dispositif sport-santé accessible sur prescription médicale Regard sociologique », Staps, Pub. Anticipées (0), I104-XV, disponible à l’adresse suivante : https://doi.org/10.3917/sta.pr1.0104.

3 C’est ce que nous essayons de décrire, comprendre et expliquer actuellement avec mon collègue Bernard Buron dans le cadre d’une recherche sur l’évaluation d’un « Programme d’entraînement à l’exercice des mandats » financée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), en réponse à un appel à projets au titre évocateur : « La participation des personnes en établissement. Relever le défi de l’effectivité ».

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Pour citer cet article

Référence électronique

Tony Orival, « Cyril Desjeux, Le handicap au pouvoir. Sociologie des droits humains appliquée aux personnes handicapées engagées en politique », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 09 avril 2025, consulté le 19 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/lectures/67156 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13pxb

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Rédacteur

Tony Orival

Tony Orival est chercheur au département de sociologie de l’Université de Tours/ CNRS 7324 CITERES et au Usetech’lab (https://usetechlab.com/). Ses recherches s’articulent autour des thèmes suivants : l’éducation, le handicap et la santé, avec un intérêt pour les méthodes qualitatives (et la simulation sociologique en particulier). Ses travaux se concentrent actuellement sur la réception et l’impact des outils numériques et de l’intelligence artificielle dans le champ de la santé.

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