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Laure Rinié, L’égalité femmes-hommes dans la formation. Les stratégies de valorisation du « féminin »

Clémentine CALLEN
L'égalité femmes-hommes dans la formation
Laure Rinié, L'égalité femmes-hommes dans la formation. Les stratégies de valorisation du « féminin », Paris, L'Harmattan, coll. « Prix Scientifique », 2024, 212 p., ISBN : 978-2-336-43209-0.
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Texte intégral

1Cet ouvrage, issu d’un travail de Master de sciences de l’éducation et de la formation, a pour ambition de traiter de manière interdisciplinaire ce que l’auteure nomme les « stratégies de valorisation du féminin », permettant de compenser les difficultés auxquelles sont confrontées les femmes dans la sphère professionnelle et plus particulièrement dans un contexte de formation. Pour ce faire, l’autrice questionne les leviers que la formation continue peut permettre de lever sur l’égalité des genres mais également les freins auxquels elle se heurte. Le propos est organisé en trois parties. D’abord, un état de l’art permet de mieux appréhender les concepts tels que « stéréotypes », « rôles sociaux » ou encore « invisibilisation » qui seront, ensuite, utilisés dans la partie empirique. Puis, l’autrice discute ses résultats au regard des concepts féministes qu’elle qualifie d’« émergeants » tels que l’intersectionnalisme ou la mixité.

2Le propos est ouvert par un état de l’art conséquent, qui occupe près de la moitié de l’ouvrage. Il définit de manière concise les concepts qui caractérisent le féminin en s’attachant à comprendre ce que regroupent les stratégies compensatoires (qui visent à surmonter une difficulté en modifiant son comportement) ainsi que la notion de « féminisme différentialiste » (p. 36) tout en mettant en lumière les limites d’une certaine « valorisation du féminin » (p. 55). En quelques lignes, l’autrice parvient à faire découvrir au lecteur les fondamentaux de la sociologie du genre en déconstruisant les notions d’« inné » et d’« acquis » ou encore des « stéréotypes » dans les différences comportementales genrées. Pour pallier ces différences genrées dans le monde professionnel, diverses stratégies peuvent être mises en œuvre à l’échelle individuelle ou de l’entreprise telle que le développement des soft skills, un management féminisé ou encore du réseautage entre pairs. À une échelle plus macro, dans la sphère scolaire (notamment lors des années transitoires permettant l’entrée en formation professionnelle comme la troisième et la terminale), plusieurs plans ont été mis en place pour permettre aux jeunes filles de casser le plafond de verre. Toutes ces stratégies incitent cependant à la féminisation des professions dites masculines, mais jamais l’inverse. L’autrice arrive alors à la définition du « féminisme différencialiste » (p. 35), qui vise à trouver l’égalité entre les genres dans leur différence.

3Cette manière d’envisager la société questionne l’hégémonie du standard masculin (nous vivons dans « un monde fait par et pour les hommes », p. 39). Une vision plus féminine du monde social et plus particulièrement du monde économique permettrait, dans cette perspective, aux femmes de transférer les compétences développées dans leur vie personnelle à leur sphère professionnelle. Cela étant, dans les entreprises, la valorisation des différences entre les genres peut être source d’instrumentalisation des spécificités féminines à des fins communicationnelles ou de marketing. À cet égard, les résultats concrets relatifs à la féminisation de la gouvernance des grandes entreprises montrent pourtant une meilleure opérationnalité de « 48 % supérieure » (p. 46) aux entreprises sans femmes dans la haute hiérarchie. À partir des années 1980, dans de nombreuses sphères et pour mieux se faire accepter, les femmes pionnières dans leur domaine « ont fait oublier qu’elles étaient des femmes allant jusqu’à rejeter la féminisation de leur titre » (p. 49). Le corollaire de ces pratiques est désigné par le terme backlash – c’est-à-dire la stigmatisation des femmes qui ont transgressé leur rôle traditionnel. Les médias ont, de leur côté, largement conduit de nombreuses femmes à ne pas s’identifier au mouvement féministe – par sa diabolisation – permettant par la même occasion au mouvement masculiniste de se développer. Finalement, cet état de l’art survole de nombreuses notions hétéroclites et permet d’introduire et de recontextualiser les propos des enquêtés et des concepts qu’ils mobilisent.

4L’enquête qualitative occupe la seconde partie de l’ouvrage. Elle a été menée sur deux terrains distincts. D’une part Laure Rinié a réalisé un stage professionnel au sein d’un organisme de formation qui promeut une plateforme donnant accès à de multiples ressources sur la thématique de l’égalité des genres dans le milieu professionnel. Cette expérience lui a permis de participer à la création d’un module de formation consacré au congé maternité, mais également d’obtenir de nombreuses données issues de la littérature grise. Pour compléter ce corpus, l’autrice a réalisé sept entretiens semi-directifs avec des professionnel·les varié·es qui exercent dans le domaine de la formation (co-fondatrices d’organisme de formation, juriste, fondatrice de plateforme d’évaluation, auto-entrepreneur·se). Ces personnes ont été contactées sur LinkedIn, avec pour seul critère de sélection le fait d’avoir des missions relatives à l’égalité femmes-hommes (créatrices d’un organisme de formation, de plateforme d’évaluation d’entreprises, start-up, d’une fondation ou encore conseillère en image, journaliste, autrice). Les entretiens ont été réalisés en visioconférence puis retranscrits dans leur totalité afin de pouvoir réaliser manuellement un traitement sémantique. Cette manière de faire a permis de réaliser une description fine des parcours des enquêtés permettant d’introduire leur propos. En effet, les résultats de la recherche sont tournés sur la parole des enquêtés. Cette dernière est par ailleurs très bien développée, laissant peu de place à une montée en généralité des phénomènes observés, ce qui peut parfois être frustrant. L’autrice analyse ains le ressenti de ses enquêté·es sur différentes thématiques relatives au monde professionnel. Ainsi, selon ces dernie·ères, les femmes rencontreraient des difficultés pour imposer directement leur autorité, leurs compétences et leurs savoir-faire (souvent dévalorisés et invisibilisés). Cependant, ces particularités peuvent donner lieu à de nouvelles techniques de management valorisant l’écoute et la concertation. Ces dernières sont attribuées par l’ensemble des enquêtées à l’éducation dispensée majoritairement par la famille et l’école. À l’inverse des petits garçons, les jeunes filles se verraient peu encouragées à l’apprentissage de la confiance en soi. Ainsi, les enquêté·es attribuent ces disparités à l’histoire et « l’instauration du système patriarcal dont les effets perdurent jusqu’à nos jours » (p. 110).

5L’ouvrage se centre ensuite sur l’avis des professionnels de la formation sur une meilleure parité au sein des instances dirigeantes. De nouvelles formes de management féminisés verraient le jour et se centreraient sur les valeurs de l’entreprise en les plaçant au cœur des pratiques managériales. L’objectif serait selon eux de « renverser les stéréotypes pour essayer d’être plus efficace économiquement » (p. 121). Ainsi, le congé paternité devrait selon plusieurs enquêté·es prendre la même forme que le congé maternité pour que les femmes n’aient plus à se sacrifier dans leur carrière professionnelle quand elles en ont une. De plus, selon certain·es d’entre eux, les hommes seraient désormais prêts à utiliser leur congé parental. L’analyse de ces résultats est conclue par la mise en avant des différentes manières pour les enquêtés de se positionner idéologiquement vis-à-vis du concept de féminisme. Cette question soulève alors des réactions complexes dues à la polysémie du terme, mais aussi à ses représentations médiatiques. Les enquêté·es affirment tou·tes être favorables à l’égalité homme/femme dans le milieu professionnel. Il et elles soutiennent cette cause en proposant par exemple des formations, mais pour autant certain·es ont des difficultés à se qualifier de « féministe ». Ainsi, il et elles estiment que ce concept peut associer la femme à une victime ou, plus discutable encore, à son ventre permettant d’enfanter, notamment dans les courants « valorisant la femme Gaïa ».

6La dernière partie de l’ouvrage est consacrée à la discussion des résultats. L’accompagnement des femmes dans leur parcours professionnel permettrait en partie de réduire les effets des stéréotypes de genre. En valorisant le féminin dans certains types d’activités professionnelles, ces secteurs peuvent tendre à se féminiser, tant par la diffusion de valeurs féminines que par une « revalorisation de compétences considérées comme spécifiques aux femmes » (p. 176). Mais les spécificités dites féminines peuvent « être instrumentalisées et détournées au profit […] du renforcement des stéréotypes de genres ». Dans cet ouvrage, Laure Rinié arrive finalement à plonger le lecteur dans un sujet qui l’anime. On retrouve dans son style d’écriture son engouement pour le sujet qu’elle ne tait pas. Ses appétences, ses connaissances et son militantisme (développé au travers de différentes postures : de femme, de mère mais également de formatrice) affirment son positionnement sur le concept de « féminisme différencialiste ». La neutralité axiologique n’est donc pas de mise, promouvant une nouvelle manière d’appréhender la recherche que l’autrice va incarner lors d’un nouveau défi qu’est le doctorat.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Clémentine CALLEN, « Laure Rinié, L’égalité femmes-hommes dans la formation. Les stratégies de valorisation du « féminin »  », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 23 avril 2025, consulté le 16 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/lectures/67219 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13soc

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Rédacteur

Clémentine CALLEN

Doctorante en Sociologie à L’Université de Bordeaux, Centre Émile Durkheim.

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

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