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Mathias Quéré, Quand nos désirs font désordre. Une histoire du mouvement homosexuel en France, 1974-1986

Victoria Ciarlet Thaon
Quand nos désirs font désordre
Mathias Quéré, Quand nos désirs font désordre. Une histoire du mouvement homosexuel en France, 1974-1986, Montréal, Lux Éditeur, coll. « Hors collection », 2025, 220 p., ISBN : 9782898331961.
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Texte intégral

1Quand nos désirs font désordre. Une histoire du mouvement homosexuel en France, 1974-1986 est le second ouvrage de Mathias Quéré. Issu de ses travaux de recherche en histoire contemporaine, cet ouvrage entend pourtant s’éloigner de l’exercice universitaire. En effet, « à l’heure où le mouvement queer contemporain français est en quête de son histoire » (p. 9), il s’agit pour l’auteur de raconter l’histoire de celles et ceux qui ont lutté pour leurs droits afin de participer à la transmission d’un héritage communautaire et à la fabrique d’imaginaires. La première originalité du livre tient donc à son objet même, et dans le fait de retracer via la mobilisation de sources multiples une histoire jusqu’ici largement ignorée. Tracts, brochures, récits et journaux – éparpillés dans différentes archives du territoire métropolitain – ont été utilisés pour « reconstituer le puzzle » (p. 11) des formes d’organisation du mouvement et de ses outils. Cet assemblage souligne la seconde originalité du livre : loin de se cantonner aux mobilisations homosexuelles parisiennes, l’auteur s’intéresse à plusieurs espaces urbains et ruraux, et inclut les organisations et militantes lesbiennes – pourtant bien souvent invisibilisées. Cet entremêlement donne ainsi à voir les différents contextes, alliances et conflits avec lesquels les militant·es ont composé tout au long des années 1970 et 1980.

2Dans les trois premiers chapitres, l’auteur revient sur la structuration d’un mouvement homosexuel mixte afin de questionner ses mythes fondateurs, de donner à voir la diversité des organisations qui ont contribué à sa formation ainsi que les différents courants politiques qui l’ont traversé. Alors que l’imaginaire collectif tend à situer la naissance de la lutte homosexuelle dans la continuité des mouvements de 1968, avec la création du Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR), d’autres acteurs ont occupé une place importante. Tout d’abord, cette dynamique révolutionnaire a coexisté avec d’autres, plus conservatrices et héritées des années 1950. Par exemple, l’association Arcadie, fondée en 1953, avait pour objectif de démontrer la respectabilité de l’homosexualité en dénonçant ses déviances. Toujours active en 1974, c’est l’un de ses membres qui est à l’origine de la création des Groupes de libération homosexuels (GLH), qui se multiplient et se diversifient selon des lignes politiques différentes tout au long des années 1970. Si ces groupes essaiment, c’est surtout parce qu’ils répondent aux besoins de la jeunesse homosexuelle sur l’ensemble du territoire : rompre l’isolement en offrant un espace de parole et d’affirmation identitaire. Ce n’est que progressivement que se développe une réflexion sur l’engagement militant et qu’une coordination à l’échelle nationale s’organise. Dans ce cadre émerge le concept de militance qui, en rupture avec le militantisme classique, promeut une dimension existentielle de l’engagement. Il s’agit alors de s’investir pleinement et selon des modes de vie nouveaux. Une réflexion autour de l’identité homosexuelle apparaît également, opposant deux courants : un courant communautaire, qui revendique un droit à la différence, et un courant révolutionnaire, qui propose un combat global contre l’ordre dominant. De cette opposition naissent différentes ramifications du mouvement, en fonction des conflits internes qui émergent dans les groupes et des possibilités de convergence avec d’autres mobilisations. Si beaucoup revendiquent une lutte commune avec le féminisme, la réalité est plus disparate : certains militants des GLH font preuve de sexisme à l’égard de leurs camarades lesbiennes, tandis que celles-ci peinent parfois à se reconnaître dans des mouvements où les sujets liés à l’hétérosexualité restent centraux. Ces conflits sont à l’origine de la création d’organisations lesbiennes, à l’instar des Groupes lesbiennes (GL). Par ailleurs, malgré la théorisation d’une possible convergence des luttes d’émancipation, la recherche d’alliances demeure complexe. Certaines organisations de gauche, comme le Parti communiste français (PCF), se montrent hostiles à l’égard de l’homosexualité, qu’elles associent à la bourgeoisie ou à une déviance, et contestent la légitimité politique de la lutte homosexuelle.

3Les chapitres 4 à 6 décrivent le retour d’une mobilisation centrée sur la lutte contre la répression. En effet, si le mouvement homosexuel se structure, c’est bien parce que le XXsiècle est marqué par une forte répression sociale, législative et policière de l’homosexualité. Celle-ci redevient une préoccupation centrale pour les organisations militantes avec la multiplication d’affaires judiciaires contre les homosexuels entre 1977 et 1979. Pour y répondre, les militant·es adoptent une approche plus revendicative – qui passe par l’investissement des scènes médiatique, culturelle, judiciaire et électorale – afin d’acquérir une plus grande visibilité et d’influer sur l’opinion publique. Cette nouvelle orientation donne lieu à l’apparition d’une organisation dédiée : le Comité d’urgence anti-répression homosexuelle (CUARH), dont l’objectif est de mener une campagne contre les lois homophobes. Ce combat favorise la convergence avec les militantes lesbiennes qui subissent également ces discriminations. Ainsi, certaines rejoignent le CUARH et proposent « une façon inédite de lier lesbianisme et féminisme » (p. 95) en revendiquant un militantisme mixte aux côtés des hommes homosexuels. Les élections présidentielles de 1981 sont alors perçues comme l’occasion de mettre fin à la législation discriminante. Les militant·es du CUARH investissent la campagne afin de pousser les candidats à se positionner sur la question de l’homosexualité. Une grande marche nationale est organisée avant les élections, la plus grande d’Europe à cette date, témoignant de l’espoir que représente l’accession de la gauche au pouvoir. Après l’élection de François Mitterrand, l’objectif est de faire respecter les promesses de campagne, grâce à l’abrogation de l’article 331-2 du Code pénal en 1982, mettant fin à « un régime d’exception de quarante ans pour les homosexuels et les lesbiennes » (p. 113).

4Les chapitres 7 à 9 abordent les transformations du mouvement dans les années 1980. L’arrivée au pouvoir d’un gouvernement socialiste, le tournant de la rigueur – y compris moral et politique – ainsi que l’épidémie de sida affectent profondément le mouvement. La fin de la législation homophobe et l’influence des États-Unis favorisent d’abord le renouveau d’un militantisme existentiel afin de « vivre les nouvelles possibilités d’émancipation » (p. 129). Celles-ci passent par l’émergence d’une « nouvelle géographie homosexuelle » (p. 133), avec des lieux de sociabilité commerciaux ou associatifs répartis partout en France. Les militant·es investissent également la radio, avec la création d’émissions et de chaînes homosexuelles. La presse reflète par ailleurs ce basculement du rapport de force en faveur de « l’affirmation d’un monde homosexuel » (p. 138). Cependant, cette affirmation ne revêt pas les mêmes objectifs pour tou·tes. Si l’analyse politique prime toujours chez les militantes lesbiennes, les milieux gais laissent place au « développement d’un capitalisme gai » (p. 141) et d’une culture centrée sur le corps et les loisirs. Durant cette période s’organise également une homosexualité de droite, voire d’extrême droite avec la création du groupe Gaie France en 1986. Dans ce contexte, et malgré le retour de certaines formes de répression – notamment policières –, les revendications politiques sont donc délaissées au profit du développement de liens relationnels. Le CUARH disparaît progressivement tandis qu’une nouvelle priorité émerge avec l’apparition du sida. L’épidémie réoriente peu à peu l’ensemble des forces militantes autour de cette question. Alors que la presse multiplie les publications stigmatisantes à l’égard des homosexuels et que la maladie inquiète, les militant·es se rapprochent pour la première fois du personnel médical et scientifique. Aux côtés de la lutte contre la stigmatisation, de premières associations d’aide aux malades et de prévention se développent – à l’instar d’AIDES en 1984 – et participent à l’invention d’une « nouvelle gestion politique des corps » (p. 187) afin de limiter les risques de contamination. Celles-ci sont d’autant plus nécessaires que le gouvernement tarde à agir. Pour autant, il faut attendre 1989 et la création d’Act Up pour que le combat politique fasse son retour dans le militantisme homosexuel.

5Sans être simplement chronologique, l’ouvrage de Mathias Quéré adopte une approche processuelle, qui permet de saisir les évolutions et dynamiques du mouvement homosexuel français dans toute leur complexité. Refusant une lecture homogénéisante et linéaire, l’auteur donne à voir l’ensemble des courants politiques, dissensions et contextes socio-politiques avec lesquels les militant·es ont composé tout au long des années 1970 et 1980. Derrière l’idée d’un « éternel recommencement » (p. 159) se dessinent en réalité des mutations – plus ou moins profondes – au gré des circonstances et des générations de militant·es. Loin de l’image d’un mouvement transgressif unique et centralisé à Paris, l’histoire racontée dresse le tableau de luttes plurielles. Cependant, le choix de l’auteur de s’éloigner des cadres théoriques en faveur d’une restitution descriptive peut poser question. Si les mobilisations sont particulièrement bien documentées, une analyse plus approfondie des trajectoires, pratiques et interactions militantes ainsi que des rapports sociaux de pouvoir qu’elles mettent en jeu aurait favorisé une réflexion sur les continuités, tensions et recompositions du militantisme queer. Une telle analyse s’avère d’ailleurs intéressante pour outiller les luttes actuelles, caractérisées par une plus forte visibilisation des vécus lesbiens, trans et non-binaires ainsi que par un effort de convergence avec d’autres mobilisations.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Victoria Ciarlet Thaon, « Mathias Quéré, Quand nos désirs font désordre. Une histoire du mouvement homosexuel en France, 1974-1986 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 23 mai 2025, consulté le 19 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/lectures/67477 ; DOI : https://doi.org/10.4000/1405x

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Rédacteur

Victoria Ciarlet Thaon

Doctorante en sociologie.

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

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