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Olivier Mahéo (dir.), Les minorités au musée. Réflexions franco-américaines

Christophe Zhang
Les minorités au musée
Olivier Maheo (dir.), Les minorités au musée. Réflexions franco-américaines, Paris, La Documentation française, coll. « Musées-Mondes », 2024, 348 p., ISBN : 978-2-11-157927-9.
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Texte intégral

  • 1 « Raconter et exposer les minorités : médiations muséales en France et en Amérique du Nord », Insti (...)
  • 2 Vergès Françoise, Programme de désordre absolu : décoloniser le musée, Paris, La Fabrique, 2023
  • 3 Voir par exemple la lettre ouverte de Louise Thurin, alors étudiante à l’École du Louvre, publiée e (...)

1Depuis sa création en 2008, la collection « Musées-Mondes » de la Documentation française s’est imposée comme une référence, tant par la variété et l’originalité de ses publications que par sa capacité à être en prise avec les problématiques qui animent le monde des musées aujourd’hui. Cet ouvrage, dirigé par Olivier Mahéo, en est une excellente illustration. Issu en partie d’un colloque qui s’est tenu en avril 2022 à Paris1, il rassemble 21 contributions autour d’une thématique devenue incontournable, comme en témoignent les critiques régulières adressées ces dernières années à l’institution muséale en raison de son héritage colonial2 et de son manque de représentativité3. Des préoccupations auxquelles le Conseil international des musées (ICOM) a fait écho en introduisant les notions d’« inclusivité », d’« accessibilité », de « diversité » et de « participation des communautés » dans sa nouvelle définition du musée, adoptée en septembre 2022.

  • 4 Apparue au début des années 1990, l’expression « musée de société » renvoie à une catégorie de musé (...)

2Bien que très actuelle, la question des minorités n’est pas tout à fait nouvelle dans le monde muséal. Elle émerge dès les années 1960 avec l’apparition des musées communautaires (culturally specific museums en anglais) aux États-Unis, à l’image du DuSable Museum de Chicago (Illinois), premier musée africain-américain dont Olivier Mahéo retrace l’histoire dans l’introduction. Par la suite, l’essor de la nouvelle muséologie à partir des années 1970 a permis de développer une approche critique des musées remettant en cause leur prétention à l’universalité du fait de leur lien historique avec la culture occidentale et la classe bourgeoise. Depuis lors, de nombreux établissements ont reconsidéré leur rapport au patrimoine et aux publics, parfois sous la pression de revendications minoritaires. À travers de nouvelles formes d’exposition, de médiation, d’enrichissement et d’étude des collections, certaines de ces institutions ont tenté d’introduire de nouveaux acteurs et de nouveaux discours, dans une démarche visant à mieux prendre en compte les populations marginalisées et exclues. L’ouvrage dirigé par Olivier Mahéo explore quelques-unes de ces initiatives – issues pour l’essentiel de musées de société4 – qui ont eu lieu au Canada, aux États-Unis et en France.

3Annoncée d’emblée, l’ambition du livre est de « déplacer le regard, pour prendre comme point de départ la perspective minoritaire » (p. 13) là où d’autres travaux ont abordé la question des minorités en l’inscrivant au sein d’une histoire des musées et des politiques patrimoniales. Ce faisant, il s’agit de « comprendre ce qui se joue dans la volonté d’être représenté dans les institutions les plus prestigieuses » (p. 13) et d’« envisager la minorité dans sa capacité à agir, dans ses relations avec les musées et les sites patrimoniaux » (p. 29). Ce programme, plus proche des sciences politiques que de la muséologie, présente l’avantage de considérer toutes les formes d’interaction possibles entre minorités et musées, une ouverture qui se reflète dans le profil varié des auteurs (professionnels mais aussi artistes et chercheurs, spécialistes des musées ou non) tout comme dans la grande diversité des études. Celles-ci se distinguent autant par leur objet que par leur méthode, et illustrent une pluralité de situations mettant en scène différents groupes minoritaires.

4Dans le détail, force est de constater que certaines contributions, en particulier celles ayant pour cadre les musées français, adoptent pleinement le point de vue de l’institution muséale. C’est le cas par exemple du chapitre consacré aux arts de l’Islam au musée du Louvre, dans lequel Constance Jame revient sur les motivations politiques qui sous-tendent les actions menées par le département qui leur est dédié au sein du musée. Cet écart avec les intentions initiales de l’ouvrage révèle avant tout une différence de culture. Comme le rappelle Olivier Mahéo dans son introduction, la notion de « minorité » se heurte de part et d’autre de l’Atlantique à des contextes politiques et intellectuels variés qui en conditionnent la réception dans le paysage muséal. Au Canada et aux États-Unis, les minorités font l’objet d’une reconnaissance institutionnelle et légale, tandis qu’en France, le modèle de l’universalisme républicain s’oppose fortement à la visibilisation du fait minoritaire. Loin d’être un obstacle, cette distance entre le contexte nord-américain et le contexte français rend leur comparaison encore plus pertinente, à l’heure où les revendications minoritaires tendent à transcender les frontières et à devenir un enjeu mondial.

5Si le titre du livre renvoie aux minorités de manière générale, les contributions se concentrent en réalité sur le cas des minorités ethnoraciales, délaissant, entre autres, les questions relatives au genre, aux populations LGBTQIA+ ou encore au handicap. Cette restriction est en partie liée au poids historique de la colonisation, de l’esclavage et de l’immigration dans les trois pays dont sont tirées les études de cas. Ainsi, sur les 21 contributions que comporte l’ouvrage, dix portent sur la question des peuples autochtones, trois sur l’esclavage et six sur l’immigration. L’introduction mentionne, certes, la notion d’intersectionnalité, formalisée par Kimberlé Crenshaw, qui met en lumière le possible cumul des assignations minoritaires et ses conséquences en termes de stratification sociale et de discrimination. Dans l’ouvrage néanmoins, seul Dominique Cadinot offre véritablement matière à réflexion à ce sujet, avec son chapitre sur l’Arab American National Museum, dans lequel il analyse l’évolution du projet scientifique de l’établissement en regard des préoccupations des nouvelles générations qui intègrent de plus en plus les équipes du musée.

6Face à l’étendue du propos, les quatre parties qui structurent l’ouvrage apportent une plus grande clarté dans l’enchaînement des contributions, même si ces dernières auraient souvent pu circuler d’une section à une autre. Les deux premières parties, intitulées « Mobilisations patrimoniales » et « Représentations de soi », sont celles qui répondent le plus fidèlement aux questions posées dans l’introduction. Elles présentent des actions concrètes menées par des groupes minoritaires pour muséaliser leur patrimoine ou, à l’inverse, se réapproprier – matériellement et discursivement – un patrimoine qui a été muséalisé contre leur gré. Au fil des chapitres, les questions soulevées par ces initiatives apparaissent dans toute leur complexité. Dans son article portant sur les musées en plein air d’Oconaluftee (Caroline du Nord) et de Diligwa (Oklahoma), Barry Stiefel raconte comment les nations cherokees ont lutté pour prendre le contrôle de ces établissements et imposer leurs propres récits face à l’histoire dominante. Son analyse révèle surtout le lien étroit qui unit la préservation du patrimoine à l’économie locale, dont le maintien est indispensable à la survie des communautés. Dans un autre registre, Carole Delamour interroge les catégorisations qui encadrent les processus de rapatriement des objets autochtones en Amérique du Nord, soulignant leur inadéquation avec les représentations que les communautés – en l’occurrence les Ilnuatsh du Pekuakami – ont d’elles-mêmes. Le plus souvent, ces dernières n’ont d’autres choix que d’adopter une posture pragmatique pour faire aboutir leurs revendications, acceptant de fait l’essentialisation qui leur est imposée, sans quoi elles ne peuvent récupérer leur propre patrimoine.

7La troisième partie, intitulée « La fabrique du discours muséal », revient plus spécifiquement sur le traitement, par les musées, de thématiques en lien avec les minorités. Privilégiée par plusieurs auteurs de cette section, l’approche comparatiste permet de confronter différentes interprétations d’un même fait ou phénomène historique, et d’observer leur traduction muséographique. C’est ce que fait notamment l’article de Gaëlle Crenn sur les expositions consacrées à l’internement des Japonais-Américains pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans la même section figure également une contribution originale, celle du photographe Nicola Lo Calzo, dont le travail autour de l’Underground Railroad, le réseau clandestin qui permettait d’assurer la fuite des esclaves des États-Unis vers le Canada, pose la question de l’assemblage et de la mise en forme d’un patrimoine historiquement invisibilisé et qui, par essence, avait vocation à être dissimulé.

8La quatrième partie « Coproduction et dialogue » présente enfin quelques collaborations initiées par des musées, dans l’optique de faire avec les minorités plutôt que de faire pour. Dans son enquête de terrain réalisée au Mucem, Alina Maggiore montre comment l’exposition BARVALO / Roms, Sinti, Gitans, Manouches, Voyageurs... a vu son propos évoluer sous l’impulsion d’un comité d’experts dont les membres étaient issus pour moitié de différents groupes romani. Cette participation, motivée par une démarche à la fois politique et scientifique, a toutefois débouché sur un certain nombre de difficultés, sensibles à travers les doutes et les requêtes formulés par le comité ainsi que le départ de certains experts en raison de la surcharge de travail et de l’absence de rémunération. Une situation qui rappelle que ces nouvelles pratiques muséales relèvent encore souvent de l’expérimentation, y compris en Amérique du Nord, comme l’illustre l’étude de Geneviève de Muys, Matthieu Gill-Bougie et Caroline Lantagne sur les approches inclusives du Musée de la civilisation à Québec (Québec).

9L’ouvrage d’Olivier Mahéo dresse finalement un panorama contrasté des rapports qu’entretiennent les minorités ethnoraciales avec le monde des musées. Surtout, il pose en filigrane une question encore taboue à ce jour mais cruciale pour l’avenir de l’institution muséale : celle d’un partage plus équitable des responsabilités et du pouvoir de décision entre les communautés et les professionnels. Un horizon que de nouveaux modèles de gouvernance, régulièrement réclamés par les minorités, permettront peut-être un jour d’atteindre.

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Notes

1 « Raconter et exposer les minorités : médiations muséales en France et en Amérique du Nord », Institut d’histoire du temps présent, musée du quai Branly – Jacques Chirac, Paris, 20 et 21 avril 2022

2 Vergès Françoise, Programme de désordre absolu : décoloniser le musée, Paris, La Fabrique, 2023

3 Voir par exemple la lettre ouverte de Louise Thurin, alors étudiante à l’École du Louvre, publiée en juin 2021 en écho au mouvement Black Livres Matter (en ligne : https://www.artistikrezo.com/art/chers-musees-la-reaction-des-institutions-museales-au-mouvement-blacklivesmatter.html).

4 Apparue au début des années 1990, l’expression « musée de société » renvoie à une catégorie de musées s’inscrivant dans le sillage de l’ethnologie et des arts et traditions populaires. Résolument extensive, elle intègre dans son champ des écomusées, des musées de plein air, des musées d’histoire ou d’ethnographie ainsi que des musées thématiques.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Christophe Zhang, « Olivier Mahéo (dir.), Les minorités au musée. Réflexions franco-américaines », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 03 juin 2025, consulté le 20 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/lectures/67507 ; DOI : https://doi.org/10.4000/141ss

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Rédacteur

Christophe Zhang

Élève conservateur du patrimoine en spécialité « Musées », Institut national du patrimoine (INP).

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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