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Axelle Brodiez-Dolino, ATD QUART MONDE, une histoire transnationale. La lutte contre la pauvreté, d’un bidonville à l’Onu

Matthieu Hély
ATD QUART MONDE, une histoire transnationale
Axelle Brodiez-Dolino, ATD QUART MONDE, une histoire transnationale. La lutte contre la pauvreté, d'un bidonville à l'Onu, Paris, PUF, 2025, 594 p., ISBN : 9782130854661.
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Texte intégral

  • 1 Cf. Hély Matthieu, « Frédéric Viguier, La Cause des pauvres en France, Paris, Presses de Sciences-P (...)
  • 2 Brodiez-Dolino Axelle, Le Secours populaire français 1945-2000. Du communisme à l’humanitaire, Pari (...)
  • 3 Brodiez-Dolino Axelle, Emmaüs et L’abbé Pierre, Paris, Presses de Sciences Po, 2009.

1ATD Quart Monde occupe un rôle central dans le domaine des politiques sociales comme l’avait déjà mis en évidence l’ouvrage de Frédéric Viguier1, cité à plusieurs reprises et dès l’introduction. Outre la mise à l’agenda du revenu minimum d’insertion (RMI) en 1987, ATD Quart Monde a joué un rôle important dans la genèse du dispositif « Territoires zéro chômeur de longue durée » (TZCLD). Ce programme est aujourd’hui doté d’un fonds d’expérimentation par une loi de 2016 et a été élargi à cinquante territoires par une loi de 2020. Il a été élaboré par Patrick Valentin, ingénieur catholique engagé au service des plus démunis dans les années 1990, qui va devenir en 2009 animateur du réseau Wresinski emploi-formation au sein d’ATD. Un des nombreux intérêts du travail d’Axelle Brodiez-Dolino est ainsi de documenter le rôle d’une grande association d’action sociale dans l’élaboration des politiques sociales. Ce livre, qui est inspiré de son mémoire d’habilitation à diriger des recherches, vient donc combler une lacune importante d’autant que l’autrice s’est déjà illustrée par ses travaux consacrés à d’autres organisations associatives de premier plan dont un d’un ouvrage tiré de sa thèse de doctorat sur le Secours populaire2 et un autre consacré au mouvement Emmaüs3. Tirant parti de sa connaissance en profondeur du monde des associations de solidarité, l’autrice souligne d’emblée leur rôle désormais incontournable dans « l’économie mixte du welfare », reprenant ici l’expression forgée par Sheila B. Kamerman, professeure à la Columbia University School of Social Work. Documentant avec précision tout le travail de plaidoyer préalable à l’adoption de la loi sur le RMI en 1988 ainsi que d’autres lois relatives à des droits fondamentaux (comme la loi de lutte contre les exclusions en 1998, la Couverture maladie universelle en 1999 ou encore le droit au logement opposable en 2007), l’autrice défend l’idée d’une séquence comparable à celle de l’adoption des lois fondatrices de « l’État-providence » à la française sous la IIIe République. En effet, écrit-elle : « les années 1988-2007 parachèvent ainsi la protection sociale assistancielle […] en édifiant une série de grands droits fondamentaux. Ces lois émanent très largement des associations, qui ont de multiples façons […] milité pour les faire aboutir – et ce, largement sous la houlette d’ATD Quart Monde » (p. 485).

2L’ouvrage est structuré en quatre grandes parties : tout d’abord, une sociohistoire de l’association déclarée en 1961, dont la raison sociale est « Aide à toute détresse » (transformé à partir de 2009 : « Agir tous pour la dignité ») ; une deuxième partie est consacrée à l’une des missions principales d’ATD : produire et rassembler les connaissances de et sur la pauvreté ; une troisième documente le triptyque organisant les façons de s’engager pour la cause et réunissant « volontaires » (salariés faiblement rémunérés), « alliés » (bénévoles) et « militants » (personnes en situation de pauvreté engagées dans l’association) ; enfin, la dernière partie examine les ressorts d’un « plaidoyer associatif », c’est-à-dire la construction « d’une capacité et d’une légitimité à représenter, à parler “au nom de”, à élaborer et porter un discours politique centralisé et cohérent sur les problèmes et leurs solutions – bref, à s’imposer comme héraut et porte-parole légitime d’un groupe social, ici non plus la classe ouvrière mais le “sous-prolétariat” rebaptisé “Quart-Monde” » (p. 388).

3Cette dernière partie est, de loin, la plus fournie et met en lumière le rôle déterminant de deux femmes dont la première a été présidente à l’échelle nationale de 1964 à 1998 et l’autre présidente du Mouvement international ATD Quart Monde de 1974 à 2002. Il s’agit respectivement de Geneviève de Gaulle Anthonioz, fille aînée du frère aîné de Charles de Gaulle (1920-2002) et d’Alwine de Vos van Steenwijk (1922-2002), qui fait partie des premières femmes « volontaires » de l’association. Le volontariat à ATD Quart Monde s’inscrit en effet dans le cadre d’un modèle original qui transcende l’opposition classique bénévolat/salariat car il s’appuie sur un très faible salaire (selon les chiffres actuels : 530 euros par mois la première année puis 630 euros, auxquels s’ajoutent 86 à 250 euros par enfant à charge, selon l’âge, et des allocations logement) et suppose un engagement total au service de la cause des pauvres. Autre statut spécifique à ATD Quart Monde : celui des « alliés » qui jouent un rôle de « marginal-sécant », à l’interface entre plusieurs mondes sociaux (principalement artistique, journalistique et politique). Comme le note l’autrice « Les alliés restent en effet pleinement insérés dans la société et leur rôle est précisément de la “changer” : en faisant “changer les partis politiques, les syndicats, les Églises, les associations, l’État” […] Ils doivent agir partout, lieu de travail compris, pour faire changer les mentalités et les pratiques au service des plus démunis » (p. 361).

4En 1958 a lieu la première rencontre de Geneviève de Gaulle Anthonioz avec le père Wresinski, à l’origine recruté par l’abbé Pierre en 1956 comme aumônier pour prendre en charge le camp de Noisy-Le-Grand, qui accueille les nombreuses familles pauvres, victimes de la crise du logement. Geneviève de Gaulle Anthonioz quitte alors le cabinet d’André Malraux pour se consacrer au « camp de Noisy » et mobilise notamment le soutien de Pierre Sudreau, ministre de la construction en 1958, qui « serait intervenu en personne, à la demande de Geneviève de Gaulle, pour éviter la destruction du camp » (p. 75). Si sa mobilisation au service d’ATD a été aussi intense, ce serait selon l’autrice en raison des réminiscences, ravivées par Noisy, du camp de Ravensbrück où Geneviève de Gaulle a été déportée durant la Seconde Guerre mondiale. Cependant, l’autrice reste prudente sur cette analogie et prend la précaution de ne pas mettre en équivalence l’expérience concentrationnaire et celle de la grande pauvreté. En outre, l’autrice ajoute que « si elle reste et s’engage autant, c’est aussi qu’elle adhère aux approches de Wresinski : l’attention portée au respect et à la dignité au fond de la misère ; la place dévolue au religieux dans ce monde sans sens apparent ; le refus de “l’écrémage” (qui ne reloge que les plus aptes) et de la dispersion des “irrécupérables” […] proposés par les autorités » (p. 358). Enfin, Geneviève de Gaulle mobilise ses réseaux personnels au service d’ATD : en particulier la journaliste Clara Candiani qui lance en 1958 un appel à l’envoi de charbon au camp, ou encore François Mauriac, qui apporte son soutien dans plusieurs articles du Figaro.

5Difficile de résumer ici toute la richesse des connaissances, observations et documents rassemblés par Axelle Brodiez-Dolino dans les 583 pages de l’ouvrage, on peut néanmoins ajouter qu’une autre des caractéristiques d’ATD est également d’avoir réalisé les « premiers travaux systématiques visant à comprendre la pauvreté en société d’abondance » (p. 170). C’est à cette fin qu’est créé, dès l’année 1960, un « bureau de recherches sociales » dont Alwine de Vos sera l’une des chevilles ouvrières. C’est dans ce contexte que seront publiés les actes du colloque de 1964 sous un titre resté célèbre : L’exclusion sociale4. Par ailleurs, Jean Labbens, professeur à la faculté de Lyon et « compagnon de route » d’ATD, sera l’auteur d’une socio-ethnologie du camp de Noisy qui sera publiée en 1965 sous le titre La condition sous-prolétarienne. L’héritage du passé par la maison d’édition d’ATD5. ATD a ainsi œuvré, dès sa fondation, à construire des partenariats avec le monde académique comme avec les organismes de la statistique comme l’INSEE.

  • 6 Voir la note de positionnement du Collectif ALERTE, disponible à l’adresse suivante : https://www.a (...)

6Pour conclure, Axelle Brodiez-Dolino insiste, notamment dans le chapitre 12, sur le rôle d’aiguillon critique joué par ATD en particulier dans un contexte de remise en cause du modèle d’assistance français par les politiques d’activation dans lesquelles « l’imputation de la responsabilité est renversée : de l’État (et/ou de la conjoncture économique), elle se reporte vers l’individu, sommé de “s’activer” pour “s’insérer” et devenir “autonome” plutôt que de s’enferrer la “dépendance” » (p. 494). Cette remise en cause est perceptible à partir de 1998, année à partir de laquelle la perception du RMI dans la population change profondément, marquée par une suspicion « d’assistanat ». L’autrice rappelle ainsi qu’ATD Quart Monde, particulièrement attaché à ce que les plus pauvres puissent retrouver du travail, récuse les politiques d’activation qui « exercent une pression toujours plus forte sur les chômeurs de longue durée pour qu’ils acceptent des emplois de qualité inférieure », et qui « justifient un contrôle social parfois attentatoire aux droits civils et politiques » (p. 502). Pour autant, là où Frédéric Viguier considérait que les pratiques des associations engagées dans la « cause des pauvres » demeuraient, malgré leurs conquêtes, imprégnées par l’injonction de l’État social actif – transformer les exclus en individus autonomes –, Axelle Brodiez-Dolino retient surtout dans sa conclusion qu’ATD est parvenue à construire une « influence non pas ponctuelle et/ou à la marge, mais durable et au cœur des politiques publiques » (p. 571). Certes, l’ouvrage en apporte une preuve indéniable et tout à fait convaincante mais laisse de côté un paradoxe : si de nombreuses associations de solidarité dénoncent avec force les politiques d’activation, dont la loi sur le plein emploi constitue un exemple récent6, ce sont aussi elles qui, en raison de leurs liens forts d’interdépendance avec les collectivités publiques, sont amenées à les mettre en œuvre.

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Notes

1 Cf. Hély Matthieu, « Frédéric Viguier, La Cause des pauvres en France, Paris, Presses de Sciences-Po, 2020, 361 p., ISBN 978-2-7246-2540-0 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 69-2, vol. 2, 2022, p. 185-187, disponible en ligne à l’adresse suivante : https://doi.org/10.3917/rhmc.692.0186.

2 Brodiez-Dolino Axelle, Le Secours populaire français 1945-2000. Du communisme à l’humanitaire, Paris, Presses de Sciences Po, 2006.

3 Brodiez-Dolino Axelle, Emmaüs et L’abbé Pierre, Paris, Presses de Sciences Po, 2009.

4 Le document a été numérisé par le centre de documentation d’ATD et est disponible à l’adresse suivante : https://atd-cjw.centredoc.org/index.php?lvl=notice_display&id=637&lang_sel=fr_FR.

5 Document disponible à l’adresse suivante : https://atd-cjw.centredoc.org/index.php?lvl=notice_display&id=539.

6 Voir la note de positionnement du Collectif ALERTE, disponible à l’adresse suivante : https://www.alerte-exclusions.fr/fr/note-de-positionnement-du-collectif-alerte-sur-la-loi-plein-emploi-et-laccompagnement-des.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Matthieu Hély, « Axelle Brodiez-Dolino, ATD QUART MONDE, une histoire transnationale. La lutte contre la pauvreté, d’un bidonville à l’Onu », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 04 juin 2025, consulté le 20 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/lectures/67544 ; DOI : https://doi.org/10.4000/1422o

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Rédacteur

Matthieu Hély

Professeur de sociologie, Laboratoire Printemps, Université de Versailles St Quentin en Yvelines (UVSQ).

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